Politique de la ville : 40 ans d'échec payés par les Français

LE TONNEAU DES DANAÏDES : des centaines de milliards d’euros ont été déversés dans les quartiers, nombre de «plans banlieue» ont été lancés, une multitude d’agences ont été créées… Il n’empêche, la politique de la ville est un cuisant échec depuis des décennies.

Seule parmi les pays d’Europe occidentale, la France s’est lancée après 1945 dans la construction de «grands ensembles», barres et tours d’immeubles collectifs locatifs, construits par des organismes HLM dans les banlieues des grandes villes, sur le modèle des grands ensembles des pays communistes. Dans les autres pays, la préférence a été donnée à des «cités-jardins», des immeubles bas ou des maisons individuelles, souvent en accession à la propriété, qui répondaient mieux aux désirs des habitants. La préférence pour la propriété d’une maison individuelle est universelle. Mais cette préférence individualiste n’était pas du goût d’urbanistes et d’élus français sous influence collectiviste.

Avec le temps, les défauts du collectivisme sont apparus. N’étant pas propriétaires, les habitants se désintéressaient de l’entretien, des graffitis apparaissaient, les ascenseurs tombaient en panne, les cages d’escalier servaient de poubelles, le trafic de drogue et l’insécurité se répandaient. Le chômage se développait («délit d’adresse»). La qualité des écoles et des écoliers baissait. Les habitants se regroupaient par ethnies, un «apartheid» selon l’ancien Premier ministre Manuel Valls. Les propriétaires, qui étaient des organismes publics, négligeaient l’entretien de l’habitat.

Dès 1973, la circulaire Guichard préconisait d’abandonner la construction de grands ensembles. La situation se détériore Mais la situation continuait de s’y détériorer. Ces quartiers se vidaient de leurs habitants les moins pauvres. Des violences apparaissaient: voitures incendiées, immeubles publics dégradés. Parfois la violence dégénérait en émeutes : en 1981 à Vénissieux (les Minguettes), en 1990 à Vaulx-en-Velin, en 2005 dans toute la France, à partir de Clichy-sous-Bois. À partir de 1988, les pouvoirs publics ont commencé à réagir. Un Comité interministériel des villes et un Conseil national des villes étaient créés. En mai 1990, la loi Besson créait un Fonds de solidarité pour le logement et le droit au logement. Un ministre délégué à la ville était nommé ; en 1991, une loi instituait une «dotation de solidarité urbaine».

En 1996, différentes zones prioritaires étaient définies: ZUS (zones urbaines sensibles), ZRU (rénovation), ZFU (zones franches urbaines), dotées de financements et avantages financiers spéciaux. En 2003, la loi Borloo créait l’ONZUS (Observatoire des zones urbaines sensibles) et l’ANRU (Agence nationale de rénovation urbaine), chargée de financer la rénovation des HLM dégradées. Chaque année, un nouvel organisme voyait le jour: en 2004, la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité), en 2005, les Maisons de l’emploi, en 2006, l’ACSÉ (Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances), en 2007, les CUCS (Contrats urbains de cohésion sociale), en 2008, «dynamique Espoir banlieues». Sans prétendre être complet, on peut aussi citer les «adultes-relais», les contrats locaux de sécurité, les plans territoriaux de prévention et de lutte contre la discrimination, les programmes de réussite urbaine, les programmes de sécurité éducative, les PLIE (plan local pour l’insertion et l’emploi).

Les emplois francs créés en 2013 par François Lamy, le ministre délégué à la Ville de François Hollande sont un échec: 17 000 euros versés sur trois ans à un employeur qui embauche en CDI un jeune de moins de 26 ans habitant un quartier prioritaire. Cette politique de la prime à l’embauche a créé moins de 1000 emplois par mois. En 2014, nouvelle réforme: les 2493 quartiers prioritaires éligibles aux CUCS et 751 ZUS sont transformés en 1300 quartiers prioritaires en métropole, logeant à l’époque 4,7 millions d’habitants (7% de la population). En outre les fameuses ZEP (zones d’éducation prioritaires) devenues RAR (réseaux ambition réussite) en 2006, puis ECLAIR (ambition, innovation, réussite) en 2011) concernent 18% des élèves des écoles primaires et 20% de ceux des collèges. Tous ces organismes de la politique de la ville se marchent sur les pieds et sur ceux des administrations traditionnelles (préfets, sous-préfets, Éducation nationale, police et tous les ministères) et des collectivités locales (les intercommunalités souhaitant remplacer les communes).

En 2018, Emmanuel Macron remet le couvert et charge Jean-Louis Borloo d’un énième plan banlieue. À la surprise générale, le Président rejettera ce plan budgété à 48 milliards d’euros… La rénovation urbaine n’a pas changé leur vie Les deux principaux objectifs de cette politique étaient: la rénovation des immeubles dégradés (démolir des tours pour mettre à la place des immeubles de cinq étages au plus) et la pression du chômage, de l’illettrisme, de la pauvreté, de l’insécurité, des ghettos. Le premier objectif a été en grande partie atteint: entre 2005 et 2015, 594 quartiers ont été rénovés, 151 000 logements ont été détruits, 136 000 ont été construits pour les remplacer et 320 000 ont été «réhabilités». 48 milliards d’euros ont été dépensés. Le deuxième objectif n’a pas été atteint. D’après l’ONZUS, 72% des habitants de ces quartiers considèrent que la rénovation urbaine n’a pas changé leurs conditions de vie, 45% des jeunes y sont chômeurs. Le trafic de drogue et les violences s’accroissent, l’islam radical est devenu prépondérant, les policiers sont de moins en moins respectés, les résultats scolaires des élèves sont en baisse. La situation y est de plus en plus explosive. Des milliards ont donc été gaspillés. Pourquoi ?

Le comité interministériel des villes est aux abonnés absents. D’abord pour des raisons politiques: à la complication de tous les organismes ou types de contrats créés s’est ajouté le trop grand nombre de zones prioritaires. De plus, comme l’indique la Cour des comptes dans un rapport de juillet 2012 sur la politique de la ville, «depuis 2002, 11 ministres ont successivement occupé ce poste», et neuf ministres entre 2013 et 2021. La durée d’un ministre de la Ville est inférieure à un an. Le grand flou Les objectifs de la «cohésion sociale» n’étaient pas faciles à définir. D’après la Cour des comptes, «faute d’objectifs, de normes et de pratiques partagées, l’impact réel des actions menées dans le cadre de la politique de la ville reste donc très difficile à mesurer». Mais surtout la politique du logement française est restée collectiviste. Ce sont les mêmes organismes HLM, constructeurs des logements dégradés à démolir, qui ont construit les nouveaux logements collectifs. La Cour des comptes le déplore: «La proportion de logements en accession à la propriété, inférieure à 10%, est insuffisante».

En France, le logement social locatif public est considéré comme la solution à la «crise du logement» alors qu’il en est la cause. L’Allemagne a vendu plus de la moitié de ses HLM et n’a pas de problème du logement. Aux Pays-Bas, il n’y a pas comme en France deux marchés du logement, l’un public, avec d’énormes avantages fiscaux, financiers et fonciers, et l’autre privé, mais un seul. L’unique avantage dont bénéficient les logements publics hollandais est une garantie de leurs emprunts. Au Royaume-Uni, Margaret Thatcher a fait vendre à leurs occupants des millions d’HLM. Assurer le plein emploi Bien entendu, la suppression des privilèges des HLM et la vente de la plupart d’entre eux ne résoudraient pas tous les problèmes des banlieues. La sécurité devrait y être assurée et les écoles plus performantes.

Et surtout le chômage y serait plus faible si la politique économique assurait le plein emploi, comme en Allemagne, au Royaume-Uni, et dans toute l’Europe du Nord. Ces pays n’ont pas besoin d’une politique de la ville, avec ses multiples organismes, contrats, avantages fiscaux et sociaux, crédits publics. «D’autres pays, la Grande-Bretagne en particulier, ont fait des choix différents en accordant une priorité à l’emploi et au développement économique» dit la Cour des comptes. Pour réduire le chômage, il faudrait rendre nos entreprises plus compétitives en baissant les charges que leur fait supporter un secteur public pléthorique. Bref, il faudrait abandonner le collectivisme qui règne dans notre pays et qui explique l’échec de la politique de la ville.