Une nouvelle terrible pour l’économie et la diplomatie française n’en finit pas de faire des vagues : l’Australie, qui avait en 2016 passé commande à la France et à Naval Group de douze sous-marins, pour un total dépassant aujourd’hui les 50 milliards d’euros, vient de mettre fin au contrat sans préavis, pour se tourner vers du matériel anglo-américain. L’Australie troque des sous-marins conventionnels contre un nouveau modèle de sous-marins à propulsion nucléaire. Le choc est immense, à la hauteur des sommes engagées, mais aussi du camouflet diplomatique représenté par le revirement australien.

Mais la perte du contrat n’est qu’un élément de l’affaire : dans le même temps, les Etats-Unis annoncent la mise en place d’un vaste partenariat stratégique sur la zone indo-pacifique, en s’associant aux Britanniques et aux Australiens, réduisant à néant les efforts français pour s’imposer comme un acteur incontournable de ce secteur du globe.

La vieille et indéfectible alliance des pays anglo-saxons a donc prévalu. Comment s’en étonner ? Il n’y a finalement rien de très surprenant à la décision australienne. Seul le niveau de médiocrité diplomatique de la France lui interdit de le comprendre ce qui se joue là : le déclassement de notre pays, que l’on peut se permettre sans honte de balayer d’un revers de main.

Les déclarations du gouvernement français devant cette claque magistrale feraient sourire si la situation n’était si tragique. Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, parle d’un coup de poignard dans le dos, et se dit très déçu par l’attitude de Biden : « Cette décision unlilatérale, brutale, imprévisible ressemble beaucoup à ce que faisait Donald Trump ». Une naïveté confondante. On croirait, toutes choses égales par ailleurs, entendre le Premier ministre britannique, Neville Chamberlain, déclarer en mars 1939 au moment de l’invasion de la Tchécoslovaquie : « Monsieur Hitler n’est pas un gentleman ». Le Drian s’offusque d’une prétendue trumpisation de Biden. Par ses mots, il fait preuve d’une insoutenable légèreté : quand est-ce que les Français et tout spécialement leurs dirigeants se décideront-ils à comprendre que les Américains, qu’ils soient Républicains, donc « méchants », comme Trump, ou Démocrates, donc « gentils », comme Biden, servent avant tout leurs intérêts ? Pour Trump, comme pour Biden, le mot d’ordre reste : America first.

La France, donc, n’est pas en mesure d’imposer le respect à ses partenaires. Elle n’est pas prise au sérieux, et l’Australie, comme la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, n’ont aucune espèce de scrupules à se détourner d’elle quand cela les arrange. Et Emmanuel Macron porte une responsabilité évidente dans ce cruel état de fait. Comment tenir en estime un président qui pose, à l’occasion de la fête nationale, avec les guignols McFly et Carlito ? Comme juger sérieux le partenariat commercial et stratégique avec un pays qui passe son temps à abandonner, grâce à l’Europe, ses propres industries militaires ? Qui se dote d’un pistolet autrichien, d’un fusil d’assaut germano-belge, et d’un parachute anglo-roumain, avant d’envisager d’acheter des chars allemands ?

Pendant que se déroule ce lamentable épisode, il y en a qui rient à gorge déployée : ce sont bien entendu les Russes, qui contemplent non sans déplaisir notre déconfiture, eux qui furent victimes, en 2015, du lâchage des Français sur une commande de porte-hélicoptères Mistral à la suite des affaires de Crimée. La France de Macron doit donc absorber la honte et l’humiliation de se voir ainsi comptée pour quantité négligeable, et ce n’est pas l’annulation d’une soirée de gala à la résidence française à Washington, initialement prévue ce soir pour commémorer la victoire française aux côtés des Insurgents lors de la bataille de la Chesapeake en 1781, qui fera changer d’avis Biden, Johnson et Morrison. Nous ne sommes plus à l’époque de l’amiral de Grasse. La pente est longue à remonter, et ce n’est pas notre président actuel qui le fera. Pour cela, il faudrait un peu d’idéal, et un peu de courage : or nous le savons, Macron ne possède ni l’un, ni l’autre.

Constance Prazel