Chasse aux sorcières sur les réseaux sociaux

Source [Le Salon Beige] Atlantico a interrogé en parallèle Jean-Yves Camus et Edouard Husson sur l’actualité américaine. 

Qu’est-ce que la théorie QAnon ? Et quelle place occupent les réseaux sociaux dans celle-ci ? 

Jean-Yves Camus : C’est une théorie expliquant qu’une vaste conspiration mondiale composée de pédophiles dirige le monde. Les réseaux sociaux sont des multinationales qui font partie d’un milieu opaque où se côtoient dirigeants politiques et dirigeants du big business. Pour les QAnoniste, la fortune d’un Mark Zuckerberg, Jeff Bezos ou Bill Gates cache forcément de mauvaises intentions. Ils sont partie prenante de ce que les complotistes appellent l’Etat profond. Il y a quand même une différence entre critiquer le forum de Davos parce que s’y pressent les personnes les plus riches de la planète et ceux qui défendent QAnon qui est une théorie objectivement absurde.

Edouard Husson : Ce qui caractérise la vie politique américaine, c’est le développement parallèle de deux systèmes de pensée conspirationnistes. D’un côté, les Démocrates ont cru jusqu’à l’absurde au rôle de Poutine dans l’élection de Donald Trump en 2016. De l’autre, un certain nombre d’électeurs républicains de la mouvance QAnon (mais beaucoup moins nombreux qu’on ne le croit au demeurant) mettent au coeur de leur analyse l’affrontement entre Trump et le « Deep State ». Tout événement du mandat de Trump a été interprété comme un jeu d’échec entre Trump et l’Etat profond, le président étant destiné à remporter la partie. Comme les obsessions conspirationnistes des Démocrates sont le fait de personnes appartenant aux classes supérieures, on ne les décrit pas comme telles. En revanche, on ne cesse de pointer du doigt le conspirationnisme de droite, issu de la classe moyenne, jusqu’à en faire le tout du trumpisme.

Dans les deux cas, d’ailleurs, les réseaux sociaux servent de miroir déformant: ils donnent une importance qu’ils n’ont pas aux partisans du « Russiagate » comme aux gens de QAnon.  Il ne faut pas sous-estimer l’impact des réseaux sociaux: de manière symbolique, les deux réseaux de conspirationnistes se sont rencontrés au Capitole, lors de la journée du 6 janvier. D’après les informations dont je dispose, ce sont des messages du réseau « QAnon » qui ont orienté certains manifestants convaincus vers le Capitole et les ont poussés à l’intrusion, laquelle est venue alimenter la paranoïa des responsables démocrates, à commencer par Nancy Pelosi, qui sont persuadés que Trump est un « fasciste », secrètement aidé par Poutine. Ce qui se passe avec la fermeture de nombreux comptes Twitter et pages Facebook, c’est la chasse aux sorcières d’un réseau de conspirationnistes riches et distingués contre les partisans de Donald Trump, sous prétexte de combattre un réseau de conspirationnistes ploucs et sans le sou.