Droite cherche nouveaux héros désespérément

Source [Valeurs actuelles] Dans Les grandes figures de la droite, d’excellentes plumes nous rappellent les personnages qui ont marqué l’histoire d’un courant politique dense, provoquant nostalgie et mélancolie aux lecteurs.

Que ce livre est cruel. Alors que la droite vit l’un des épisodes les plus désastreux de son histoire, Jean-Christophe Buisson, directeur adjoint du Figaro Magazine, et Guillaume Tabard, rédacteur en chef et éditorialiste politique au Figaro, ont eu la bonne idée de sortir un ouvrage collectif dans lequel de nombreux historiens, journalistes et essayistes retracent le parcours de 21 grands noms qui ont façonné la droite.

De fait, ce livre doit se lire comme un roman. Les historiens Patrice Gueniffey et Arnaud Teyssier viennent coucher sur le papier les histoires de « l’inclassable Napoléon » et de Poincaré, « l’homme de droite idéal ». Les géniaux Jean-Christophe Buisson et Bruno de Cessole s’occupent des nationalistes Maurras et Barrès tandis que Nicolas Baverez et Laetitia-Strauch-Bonart, dans un registre différent, consacrent leurs plumes à Aron et Tocqueville. Toutes ces grandes figures se suivent mais ne se ressemblent pas, sont opposées voir même antagonistes. C’est ce qui fait le charme de ce livre.
 
En lisant cet ouvrage – et les lignes précédentes –, impossible de nier la diversité que nous offre la droite française depuis la Révolution, époque où nait réellement le clivage gauche/droite. Que l’on se réclame du gaullisme, du nationalisme, du libéralisme, du souverainisme, on entre immédiatement dans la famille de la droite. De nos jours, la droite est orpheline de penseurs comme Aron et Maurras, d’hommes politiques comme Napoléon ou de Gaulle. Ici est son grand désespoir.

La nostalgie de la droite

Ce livre rend nostalgique des périodes où la droite était illuminée par de grands esprits et où ses personnages faisaient la fierté de la France, incarnaient une nation. Certains, beaucoup même, s’insurgeront de voir dans la même case le nationaliste et royaliste Charles Maurras et Simone Veil, « incarnation d’une droite progressiste, européenne, libérale et sociale », comme le souligne Anne Fulda. L’un a établi une doctrine contre-révolutionnaire dont la sève a profondément irrigué la droite française. De l’autre, la première femme présidente du Parlement européen, qui n’aimait pas la droite et rejetait le conservatisme. On apprend que, lors du passage de Franz-Olivier Giesbert du Nouvel observateur au Figaro, Veil s’était exclamée : « Ne faites pas ça, mon pauvre ! La droite c’est la haine ! » Les anecdotes sont nombreuses. En 1934, la mère de Simone Veil joue au tennis avec un homme qui les alerte de la montée du nazisme et de l'antisémitisme en Allemagne. C’est Raymond Aron. Sur Maurras, l’on apprend qu’il écrivait un poème sur la femme de Léon Daudet le 6 février 1934. Plus croustillant, Buisson nous livre cette phrase attribuée au général de Gaulle : « Maurras est devenu fou à force d’avoir toujours raison. »

L’ouvrage nous montre l’étendue de la droite. Giscard et Veil, qui collent sur une ligne sociétale empruntée à la gauche, se retrouvent dans le même camp que les conservateurs Joseph de Maistre et la duchesse du Berry, joliment peignés par Charles-Eloi Vial et Eugénie Bastié. De la même manière que Châteaubriand, « bourboniste par honneur, royaliste par raison et républicain par goût » ou Benjamin Constant qui, coup sur coup, soutiendra Bonaparte, pourfendra Napoléon et l’Empire, puis viendra au secours de l’Empereur durant les Cent-jours. De droite oui ? Mais laquelle ?

Les trois droites

Dans un livre sur la droite, il est impossible de ne pas parler de René Rémond. Concepteur des trois droites – légitimiste, bonapartiste, orléaniste –, l’historien a théorisé ces trois courants de pensées, issues de la Révolution. Dans Les grandes figures de la droite, ces courants sont tous représentés à leur mesure, même s’il y a, en fait, bien plus que trois droites. Comme disait Michel Rocard, « quand on n’est ni à gauche ni à droite, on est toujours à droite ».
 
Le bonapartisme d’abord, avec Napoléon Bonaparte, « homme de gauche aux idées de droite un jour, homme de droite aux idées de gauche le lendemain », souligne justement Patrice Gueniffey, spécialiste de la Révolution et de l'Empire. Ils sont peu à pouvoir intégrer ce groupe, sorte de panthéon de la droite. Si Nicolas Sarkozy pourrait y accéder, le général de Gaulle semble être le plus à même d’y être. Comme Napoléon Bonaparte, Charles de Gaulle était au-dessus du clivage gauche/droite, en incarnant parfaitement le parti de l’ordre.
 
« Opposé aussi bien à l’autoritarisme plébiscitaire des “bonapartistes”, qu’à la pastorale pieuse et conservatrice des “légitimistes” », Benjamin Constant, malgré ses retournements de veste successifs, peut aisément être rangé dans la case des orléanistes, lui qui a lutté toute sa vie contre le « danger réactionnaire » des légitimistes. Après Constant, François Guizot incarnera la pensée libérale, au point d’être admiré par Tocqueville, alors auditeur à la Sorbonne. Libéral certes, Guizot n’en reste pas moins conservateur : « Toutes les politiques vous promettront le progrès, la politique conservatrice seule vous le donnera, comme elle seule a réussi à vous donner l’ordre et la paix. »

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