Blanche Streb : "La GPA, c'est la défaite absolue du féminisme"

À Limite, nous pensons que les transgressions éthiques et les effondrements écologiques auxquels nous faisons face sont les deux faces d’une même médaille, celle de la chosification et marchandisation du vivant au mépris de sa dignité intrinsèque. À l’occasion de la révision des lois de bioéthique qui approche, nous nous sommes entretenus avec Blanche Streb, docteur en pharmacie et directrice de la formation et de la recherche pour Alliance VITA, qui vient de publier Bébés sur mesure, le monde des meilleurs (Artège2018).

 

Le CCNE vient de rendre un nouveau rapport, quelques mois après la clôture des états généraux de bioéthique. Quelle est votre impression générale à la lecture de ce texte ?

 

En un mot : pathétique… Avec une impression générale de déception, mais aussi de désolation, car ces questions majeures et notre pays méritaient mieux. Ce comité n’est décidément plus ce qu’il était. Son rôle n’est pourtant pas d’entériner des demandes sociétales ou de compter les points dans un rapport de force, mais d’énoncer et de protéger des principes éthiques fondateurs dans un contexte scientifique et social en mouvement.

 

Imaginons, pour forcer le trait, qu’il y ait une « demande sociétale » de cloner ses enfants, le comité ne devrait pas s’y conformer mais s’y opposer envers et contre tout… Politiquement, on sent le gouvernement en quête d’un chausse-pied. Comment rester en marche vers de nouvelles transgressions tout en créant l’illusion « d’un débat apaisé » ? C’est comme si la forme importait désormais bien plus que le fond…

 

Mais une injustice qui ne créerait pas de désordres serait le symptôme d’une société sacrément malade ou hypnotisée ! Est-ce le monde que nous voulons pour demain ? Les envolées enflammées du CCNE sur le magnifique « temps de démocratie sanitaire et de santé démocratique » ont incinéré les résultats de la consultation citoyenne sur les enjeux les plus débattus. Ils ont été comme volatilisés. Éthiquement, on ne peut que constater un effondrement. Sur certaines thématiques, le Comité se « renie » lui-même en contredisant ce qu’il démontrait avec force et sagesse il y a pourtant si peu de temps.

 

Le CCNE reconnaît que la généralisation de la PMA pour des femmes seules ou des couples de femmes institutionnaliserait une « absence de père ab initio », tout en y étant désormais favorable. On sait par ailleurs que le battage médiatique en faveur de la GPA se poursuit. Les tenants du « droit à l’enfant » ont-ils gagné ?

 

« Cest un droit essentiel d’avoir accès à la procréation » : tels sont les mots du président du CCNE lors de son audition à l’Assemblée nationale. Si la procréation assistée est un droit pour tous, cela revient à considérer que l’enfant est un droit. La consécration d’un droit à l’enfant est en soi un concept ahurissant, mais c’est aussi la porte ouverte à toutes les demandes. Preuve en est, le CCNE est aussi favorable à la procréation post mortem, c’est-à-dire au transfert in utero d’un embryon congelé après le décès du père. Pourquoi refuser aux uns ce qui serait permis aux autres, si c’est le désir qui fait loi ?

 

C’est aussi l’accélération inéluctable vers un eugénisme technologique et libéral et la dégringolade vers l’enfant à tous prix, FIV-3 parents et compagnie.

 

Quant à la GPA, le « cheval de Droit » est bien en marche. La propagande médiatique bat son plein, le tapis rouge offert à Marc-Olivier Fogiel est consternant. On connaît même le prix, 18 000 dollars… Je trouve ça très violent, en tant que femme et mère, de constater qu’on peut nous présenter comme idyllique que la femme soit reléguée au rôle de donneuse d’ovocyte pour l’une, de « femme porteuse » pour l’autre. On voudrait faire croire que la mère « porteuse » est valorisée, alors qu’elle est vaporisée ! La GPA, c’est la défaite absolue du féminisme.

 

Ça me déchire le cœur, j’avoue, qu’on puisse considérer par avance qu’une mère n’est rien, en organisant en même temps la conception, la mise au monde et l’abandon d’un enfant.

 

Rappelons quand même que la GPA est interdite en France. Que dirions-nous de reportages du type « j’ai fraudé le fisc, et j’en suis fier» ?… Le silence complaisant de ceux qui nous claironnent « jamais la GPA » est aussi révélateur du peu de volonté politique de lutter contre la marchandisation du corps des femmes et des enfants.

 

Quels problèmes soulève, à vos yeux, l’autoconservation ovocytaire dont le CCNE envisage maintenant la légalisation ?

 

Cette question n’est pas anecdotique, elle est révélatrice d’un « projet de société ». Ce prélèvement à la source de nos ovules qui pourrait être proposé et remboursé à toutes est un leurre et un immense mensonge fait aux femmes, qui d’ailleurs ne sont pas demandeuses, le CCNE le reconnaît, la demande vient essentiellement des professionnels de santé… Il y a un business à se faire sur le dos, ou plutôt sur le ventre des femmes. L’autoconservation des ovocytes n’est pas une « assurance maternité ». Si un jour les femmes ont besoin de leurs ovocytes, ce qui n’est évidemment même pas certain, il faudra avoir recours à une FIV, dont le taux d’échec, on le sait, est énorme. Les ovocytes ne sont pas les seules cellules à vieillir, l’ensemble du corps est soumis au temps, et encourager culturellement des grossesses tardives est évidemment un non-sens médical, puisque ce sont des grossesses plus risquées.

 

N’est-ce pas prendre la médecine « à l’envers » ? Faire subir de lourds traitements hormonaux, qui ne sont pas sans risques, et une ponction sous anesthésie à des jeunes femmes qui ne sont pas malades à de quoi laisser coi. Cette mentalité qui veut soumettre le corps féminin à l’économie et aux biotechnologies est tout sauf un pas en avant vers l’égalité et « l’autonomie » vers lesquels on prétend nous emmener. La vraie autonomie ne serait-elle pas de donner les meilleures chances aux femmes de concevoir leurs enfants naturellement quand elles sont fertiles, plutôt que de mettre en place les conditions culturelles de repousser leurs grossesses à un moment où elles seront infertiles, et donc contraintes d’avoir recours à la technique ?  Notre vie humaine est faite de « temps » : enfance, adolescence, maturité… La période de fécondité est un temps précieux, éphémère. Vivre pleinement chaque période, dans le réel de la condition humaine et du temps qui s’écoule, n’est-ce pas ce qu’il y aurait de plus précieux pour ne pas passer à côté de sa vie ?

 

Qu’en est-il des recherches sur les cellules embryonnaires ?

 

L’embryon humain disparaît toujours plus dans la tornade relativiste et utilitariste car le CCNE propose de fragiliser encore son encadrement, qui n’a eu de cesse de s’effilocher depuis que la recherche sur l’embryon humain n’est plus interdite.

 

Les embryons humains sont issus des processus de procréation assistée. Quand il y a abandon du « projet parental » qui a justifié leur conception, ils peuvent être donnés à la science. Les CESh sont des cellules souches embryonnaires en culture qui sont commercialisées, importées et exportées, et qui sont au départ issues d’embryons mais qui sont cultivées pour se multiplier « à l’infini ».

 

Pour simplifier la vie des chercheurs, le CCNE propose de dissocier la législation encadrant la recherche sur l’embryon humain de celle des CESh. Cette dernière ne devrait être plus être soumise qu’à une simple « déclaration ». Le CCNE souhaite disculper tout problème moral que pose la recherche par cette pirouette à la Pilate : « La recherche en elle-même n’est pas à l’origine de la destruction de l’embryon ». Bref, le responsable, c’est l’abandon du projet parental : plus aucune responsabilité individuelle. Qu’en penserait Hannah Arendt ?

 

Même si ces cellules sont en culture depuis des années et des années, devons-nous les traiter comme de simples cellules de peau ou de foie issues d’un déchet hospitalier ? Doit-on fermer les yeux sur leur provenance ? Symboliquement, cela « banalise » un peu plus l’instrumentalisation de l’embryon humain. Ne peut-on plus se soucier aujourd’hui de « celui » que nous avons tous été ?

 

Cette incohérence douloureuse nous saute au cœur : pendant que des campagnes d’affichages vegan font dire à un coq ou à un porc « je suis quelqu’un », le plus petit d’entre nous est constamment réduit au silence et à « n’être plus personne »…