Travail dominical : la “co-construction” socialiste

Après avoir combattu la libéralisation du travail dominical, les socialistes font volte-face, toute honte bue. Ils poussent désormais à l’extension de l’ouverture des magasins le dimanche.

JUSQU'À PRESENT, ceux qui s’opposaient à l’ouverture des magasins le dimanche pouvaient être considérés comme d’affreux gauchistes ! Certains ne se sont d’ailleurs pas privés pour nous le dire. La loi par laquelle était en effet venu le coup de boutoir inaugural n’était-elle pas portée par un député UMP, celui des Bouches-du-Rhône, le docteur Richard Mallié ? une proposition de loi de circonstance uniquement pensée pour l’un des plus grands centres commerciaux d’Europe, Plan-de-Campagne ? L’amendement félon si dangereux qui s’introduisit à l’intérieur de la loi de consommation Chatel votée de nuit au Sénat le fut quant à lui par Isabelle Debré, sénateur UMP des Hauts-de-Seine.

Pour contrer la majorité d’alors, à peu près unie sur la question, la gauche avait sonné le branle-bas de combat, mobilisant tous ses tribuns pour monter au créneau et tenter de faire échec à l’offensive du grand diable libéral. On se souvient, entre autres, de la posture intransigeante de Jean-Marc Ayrault.

Les syndicats ne furent pas en reste, qui entrèrent allègrement dans le jeu de la contestation, de la CGT à la CFTC. Contestation exemplaire, résistance d’un moment…

Certes, le président de la CFTC-Paris, devenu depuis vice-président de la CFTC, Joseph Thouvenel, n’avait eu de cesse de dépassionner le débat en demandant à temps et à contretemps ce que signifiait d’être de droite ou de gauche aujourd’hui. Les frontières ne semblent pas précisément nettes. Mais une chose est sûre : quand la loi du travail le dimanche fut signée dans une urgence étrange, elle le fut un jour d’été, au Lavandou, par Nicolas Sarkozy, le 10 août 2009. Par un président de droite.

Construction tactique du cheval de Troie

Six ans après, qu’en est-il de cette vertu de gauche opposée à la rapacité de droite ? Ironie du sort : plus de vertu du tout mais une rapacité encore plus grande, coagulée même. Attardons-nous sur trois exemples révélateurs.

Le socialiste Laurent Fabius, d’abord, participant sans dormir aux Assises du tourisme, vient d’annoncer son intention d’en « remettre une couche » en faveur du travail le dimanche. Le ministre qui a vu tomber dans son escarcelle le développement international et donc le tourisme en sus des Affaires étrangères reprend, à l’identique et sans vergogne, tous les arguments — de droite ? — des partisans de l’ouverture des magasins le dimanche, comme s’il n’y avait eu aucun débat depuis 2006, comme si la gauche à laquelle il est sensé appartenir n’avait jamais rien dit.

Le Medef ensuite affiche sa satisfaction. Le communiqué de clôture des Assises vaut son pesant d’or, avec l’aveu du président, Pierre Gattaz : « Je souhaite que cette méthode de co-construction de l'avenir soit étendue à d'autres secteurs. Ainsi, permettre, sur volontariat, l'ouverture des commerces le dimanche et après 21h est également nécessaire au-delà des simples zones touristiques. » (Les patrons, pourtant, ne sont pas tous favorables à cette « co-construction » du travail dominical.)

C’est ce qui frappe d’ailleurs le plus, y compris lors de réunions au niveau européen, cette capitulation devant la soi-disant rémunération double ou le pseudo-volontariat repris en chœur par les médias comme si ces deux attrape-nigauds pouvaient être un tant soit peu durables. Il n’est qu’à regarder le cas de l’Irlande pour se rendre compte qu’à moyen terme, la libéralisation du dimanche sera totale et que ces compensations sont des leurres pour construire le cheval de Troie qui contentera les grandes enseignes à la manœuvre.

Il n’est pas enfin jusqu’à Anne Hidalgo, nouvellement élue maire de Paris, socialiste pure souche, qui ne lance une mission au Conseil de Paris, prête, semble-t-il malgré ses dires, à revoir sa position comme l’ont montré pendant la campagne municipale ses pas en avant puis ses pas en arrière. Certes, la mission ne plaît pas à Nathalie Kosciusko-Morizet pourtant favorable à l’ouverture dominicale : « Quel besoin de créer une mission d'information et d'évaluation (MIE) qui durera six mois ? Cela fait des années que le débat est posé », estime-t-elle. Mais il y a de quoi être tout de même très inquiet.

Hypocrites et menteurs

S’il y a bien un dossier qui révèle le double visage d’une gauche hypocrite, c’est bien cette question du repos dominical, noyau historique du modèle social et culturel européen.

Fine fleur de notre modèle social français, le repos dominical n’a donc plus grand défenseur politique désormais, tous circonvenus par des lobbies et des agences de communication puissants, alors que tous les sondages, invariablement, disent que les Français – quand il s’agit d’eux au travail – ne veulent pas travailler le dimanche.

Les grandes enseignes de distribution, LVMH, Darty, la FNAC, et bien d’autres font leur gros œuvre de démolition dans l’ombre, sans se soucier de la couleur politique au pouvoir. L’argent n’est d’aucun parti, il surplombe tout. Le bras armé désormais de ces lobbies ? Les socialistes paradoxalement, chez qui prévalent désormais cynisme et pragmatisme.

Le mensonge en cours est même double car dans le même temps que la gauche donne d’une main l’autorisation aux ouvertures du dimanche, de l’autre elle offre l’assurance qu’au grand jamais elle ne veut libéraliser : il s’agit juste d’« assouplir » selon le même mot du ministre du Travail de 2009, Xavier Bertrand. Et il y a évidemment des idiots utiles pour le croire.

Pourtant, comme on la connaît la chanson ! Menteurs décomplexés, sans rougir… Même pas honte de se dédire si rapidement aux yeux de l’Histoire. Je ris d’avance des contorsions dans lesquelles ces donneurs de leçons de 2009 vont se trouver lors de la prochaine loi annoncée de 2015. De peur d’être obligée d’en pleurer.

 

Hélène Bodenez est l'auteur de A Dieu le dimanche ? (Ed. Grégoriennes).

 

Pour en savoir plus :
 Communiqué du Medef
 Assises du tourisme : les propositions du Medef
 Notre dossier : Oui au repos dominical

 

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