Une source d'intelligence de la foi : la piété mariale

Mois de mai, mois de Marie. Non, la piété mariale n'est pas option facultative. Tout ce que la théologie nous dit de Marie nous concerne tous, en tant que membres de l'Église. 

La mère de Jésus ne subsiste pas dans un je ne sais quel « état intermédiaire », difficilement identifiable, qui ne serait propre ni à Dieu, ni aux hommes. C'est là pure mythologie. Non seulement la Vierge est une créature comme chacun d'entre nous, mais de plus il n'est rien de ce qui la touche qui ne se rapporte, d'une façon ou d'une autre, à ce que nous sommes. 

La dévotion mariale n'est pas une aliénation

En contemplant Marie, le croyant n'aliène pas sa dévotion en la projetant sur une réalité extérieure, étrangère à son existence et à sa destinée. Au contraire, la Vierge constitue comme un miroir où il lui est loisible d'appréhender la condition humaine, c'est à dire la sienne, dans ce qu'elle a de plus réussi, de plus achevé.

Si la piété mariale n'est pas une aliénation, c'est précisément parce que Dieu a prévu de nous faire devenir ce qu'elle est déjà. La Vierge représente ainsi notre futur, mais également notre présent. La piété qui se rapporte à elle ne constitue donc pas un rajout superfétatoire et hétérogène à notre foi en Jésus-Christ. S'il en était ainsi, les critiques qui la dépeignent comme un hochet de dévotion pour chrétiens inconsistants ou affectés de sensiblerie aiguë seraient fondées. Heureusement, il n'en est rien.    Marie est un miroir de la condition du croyant parce qu'elle représente ce que l'Eglise est en son essence, sa nature profonde. En effet, notre identité de croyants ne peut être séparée de ce qu'est l'Eglise. C'est en tant que membre du Corps du Christ que le chrétien devient cette création nouvelle issue de la piscine baptismale. Nous ne sommes jamais chrétiens tous seuls, dans notre coin. Non seulement l'Eglise nous a enfantés à la vie nouvelle, mais de plus elle est le milieu vital au sein duquel nous évoluons, en lequel s'opère la communion des saints, même si nous n'en avons pas toujours conscience.

Ainsi une chaîne analogique relie l'Eglise, Marie et chaque fidèle du Christ. Très instructive à cet égard est cette citation d'un sermon d'Isaac de l'Etoile : « L'héritage du Seigneur, au sens universel, c'est l'Eglise ; au sens spécial, c'est Marie ; au sens singulier, chaque âme fidèle. » « Spécial » pour la Vierge doit s'entendre ici dans le sens d'excellence. Marie est de façon éminente ce qu'est chaque fidèle et l'Eglise en tant qu' « héritage du Seigneur ». En regardant la Vierge, nous entrons  dans notre héritage propre.

La Vierge Marie et la fondation du peuple de la Nouvelle Alliance

Qu'est-ce que l'Église ? Pour répondre à cette question, nous pouvons relire Saint Paul. Mais une autre solution s'offre à nous – qui recoupera bien sûr la première : contempler la Vierge. En effet, en ecclésiologie il est une règle qui veut que tout ce qu'on dit de Marie puisse être attribué à l'Eglise. Comme nous sommes dans le temps pascal, et qu'approche la fête de Pentecôte, il est très profitable de vérifier cette règle dans le cas de la fondation du peuple de la Nouvelle Alliance scellée dans la Pâque de Jésus-Christ. Afin d'éviter les acrobaties spéculatives, et d'étayer cet apparentement théologique de l'Eglise et de Marie sur le témoignage apostolique, il sera plus simple de consulter les Ecritures à cette fin. Nous n'y perdrons rien puisque celles-ci restent normatives pour la foi.

Existe-t-il un passage dans les évangiles qui assimile la Vierge au nouveau peuple de Dieu ? La réponse se trouve dans le récit de l'Annonce de la naissance de Jésus faite à Marie :

Marie dit à l'ange : « Comment cela sera t-il, puisque je ne connais point d'homme ? »  L'ange lui répondit : « L'Esprit-Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre ; c'est pourquoi l'enfant qui naîtra sera saint ; il sera appelé Fils de Dieu. » (Lc 1,34-35)

Comment interpréter l'expression « viendra sur toi » à propos de l'Esprit Saint lors de l'Annonciation à Marie ? Cette expression fait référence à la prophétie d'Isaïe 32,15 où le prophète annonce que l'Esprit créera un peuple nouveau : « ...jusqu'à ce que l'Esprit soit répandu d'en haut sur nous, et que le désert se change en verger, tandis que le verger aura la valeur d'une forêt. ». Mais surtout cette expression revient sous la plume de Luc dans le verset des  « Actes de apôtres » où  il est écrit que « l'Esprit viendra sur vous » en parlant des apôtres (Ac 1,8) juste avant la Pentecôte.

Jésus leur répondit (aux apôtres) : « ...Vous allez recevoir une force, celle de l'Esprit Saint, qui viendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre. » (Ac 1,7- 8)

Ainsi ces deux passages font signe en direction de la naissance de l'Eglise. Comme la même prophétie relative à la venue de l'Esprit apparaît dans la péricope de l'Annonciation du troisième évangile, la conclusion s'impose : la Vierge est bien à l'origine du nouveau peuple de Dieu.                              

Une révélation similaire est consignée dans un autre passage des Ecritures du Nouveau Testament. On retrouve l'association de Marie, de l'Esprit et de la naissance de l'Eglise à l'heure de la Croix dans l'évangile selon Saint Jean. Avant de mourir, Jésus livre l'Esprit aux croyants («…inclinant la tête, il rendit l'Esprit » Jn 19,30), confie sa mère au disciple et, de son flanc transpercé et ouvert, d'où coule le sang et l'eau, donne naissance à l'Eglise, de même qu'Eve fut tirée du côté d'Adam endormi.

En Marie saisir la connexion des mystères de la foi

Ainsi, nous ne pouvons comprendre l'Eglise, sa nature comme sa mission, sans fixer les yeux sur la Vierge. D'autres passages tirés des Ecritures pourraient illustrer cette vérité. En méditant les mystères de Marie, par exemple avec le Rosaire (qui sont tout autant, sinon plus, mystères du Christ, les épisodes douloureux se concentrant exclusivement sur la passion de Jésus), ce n'est pas une personne extra-terrestre que nous contemplons, mais la première rachetée ainsi que celle qui est la figure de l'Eglise dans ce qui fait sa spécificité. Or l'Eglise ne nous est pas un corps étranger, puisque c'est en elle que je crois et que je vis avec le Christ.

Intégrer la Vierge dans sa piété ne consiste pas à abdiquer dans l'effort d'intelligence de la foi. La dévotion mariale nous fournit au contraire des lumières décisives sur les mystères conjoints du Christ et de son Epouse, l'Eglise. L'Eglise est sanctifiante : de même Marie est notre mère. L'Eglise est sanctifiée : Marie est la première rachetée (Immaculée Conception). L'Eglise est Ecclesia Mater : Marie est Mère de l'Eglise. On pourrait continuer avec l'Eglise comme Jérusalem descendue à la fin des temps du ciel, d'auprès de Dieu (Ap 21, 10), mystère qu'anticipe la Vierge en son Assomption.

Que les dévots de Marie en restent persuadés : ils n'ont pas vocation à représenter, au sein du peuple des croyants, une chapelle marginale, des disciples  prisonniers d'une sensiblerie d'un autre âge, d'un piétisme dans sa version catholique, ni des chrétiens de seconde zone. La piété mariale, loin de remplacer l'intelligence de la foi par le sentiment, la sensiblerie, reste au contraire une formidable école pour accorder le coeur à la raison, stimuler la méditation contemplative, et intégrer dans un tout harmonieux les différents mystères de la foi, en saisir la connexion savoureuse.

 

 

 

Jean-Michel Castaing est essayiste. Il vient de faire paraître 48 Objections à la foi chrétienne et 48 réponses qui les réfutent (Salvator).

 

 

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