L’Ukraine, territoire stratégique

Périphérie disputée entre la Lituanie, la Pologne et la Russie, l’Ukraine n’a guère connu que trente-deux ans d’indépendance en plusieurs siècles d’histoire. Il ne faut donc guère s’étonner que des volontés d’assujettissement réapparaissent à intervalles réguliers.

Intéressée par l’Ukraine en raison de sa profondeur stratégique, de son rôle d’intermédiation gazière et de son accès aux mers chaudes, la Russie a profité de l’affaiblissement de l’Europe pour tenter de faire revenir la Petite-Russie, dans son aire d’influence traditionnelle.

Pourquoi vouloir contrôler l’Ukraine ?

Vue de Russie, l’Ukraine présente trois intérêts stratégiques. En premier lieu, il donne une profondeur stratégique à la Russie. D’un point de vue historique, la Russie s’est défendue des invasions grâce à la profondeur. C’est pour cette raison qu’elle avait déplacé ses frontières vers l’Ouest : afin de dissuader des agresseurs éventuels de l’envahir.

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En second lieu, l’Ukraine joue un rôle d’intermédiaire entre la Russie, riche en gaz et l’arrière-pays européen, consommateur d’énergie. Pour la court-circuiter, la Russie favorise depuis plusieurs années la construction de grandes infrastructures de transport de gaz russe vers l’Europe et qui contournent l’Ukraine. À l’inverse, les États-Unis souhaiteraient concurrencer le gaz russe en exportant du gaz liquéfié vers l’Europe centrale à l’horizon 2020.

Le troisième enjeu de la conquête du territoire ukrainien est celui de l’accès aux mers chaudes. Historiquement, l’Ukraine constitue le volet méridional de la « fenêtre sur l’Ouest » voulue par Pierre le Grand.

Enfin, n’oublions pas l’enjeu mémoriel : la Russie orthodoxe et slave est née en Ukraine avant de se déplacer vers le nord-est sous la pression des invasions.

Pour la Russie, une prise de risque calculée

La Russie s’est certainement interrogée sur la possibilité de contre-mesures de la part des États industriels occidentaux. Elle sait que l’Union européenne, qui promeut depuis des décennies une politique d’apaisement, critiquera les mesures russes, mais exclura catégoriquement toute intervention militaire. Qui plus est, la Russie a appris du conflit géorgien de 2008 que l’usage de la force militaire à l’encontre de ses voisins lui permettait d’atteindre rapidement ses objectifs de politique étrangère avec un coût stratégique faible à long terme.

En réalité, le monde occidental dispose de peu de leviers lui permettant de dissuader Moscou. Le président Obama, le Premier ministre Cameron et d’autres leaders occidentaux ont averti la Russie que son action militaire aurait un « coût ». Il est toutefois très difficile de mettre en œuvre des sanctions d’une importance suffisante pour être prises au sérieux par Moscou, sans qu’elles nuisent simultanément à ceux qui les prennent.

L’Occident peut protester et annuler des sommets conjoints, mais Moscou n’a jamais considéré que les insultes vaillent la peine d’être prises en considération. Fort de son veto au Conseil de sécurité des Nations-unies, la Russie n’a guère à se soucier d’une action potentielle des Nations-unies.

En outre, la Russie peut se fonder sur les expériences antérieures pour en déduire que les sanctions imposées seront de courte durée. En 2008, l’Occident s’est enflammé verbalement au sujet de la Géorgie. L’année suivante, les États-Unis déclaraient l’annulation des sanctions.

 

Thomas Flichy de La Neuville est professeur à l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr.

 

Pour en savoir plus :
 L’Ukraine, enjeu stratégique ou symbolique ?
 in Synopsis, Centre de Recherche des Ecoles de Coëtquidan, 20 mai 2014.

 

 

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