Le Christ à découvert, plus mystérieux visible qu'invisible

En cette Semaine Sainte, le Christ est à découvert ! C'est en pleine ville qu'il montera au Calvaire. Exposé devant tous, il ne se cache plus. 

Son dernier repas, certes, se déroulera entre amis, avec les intimes. Et son agonie n'aura pas vraiment de témoin. Cependant, il a tenu à ce que la manifestation suprême de son amour soit un événement public. « Il ne convient pas qu'un prophète meure en dehors de Jérusalem », avait-il dit à ses disciples.

Néanmoins le caractère public de sa condamnation et de sa mort, son dénuement extrême lors des derniers moments de son existence, son acceptation du sort commun de l'humanité, la mort, nous rendent-ils la personne de Jésus moins mystérieuse ? Il ne semble pas. Cela ne déstabilise pas toutefois le regard de foi que les chrétiens, qui confessent sa filiation divine, portent sur lui. Pour quelle raison ?

Il est un fait qu’on ne peut passer sous silence en théologie, et que la foi commune accepte sans rechigner : malgré sa manifestation aux hommes, Dieu continue toutefois de rester mystérieux en Lui-même. « Nulle intelligence créée ne peut s'élever jusqu'à connaître l'essence divine autant qu'elle est connaissable » (St Thomas d'Aquin). En effet, si le Dieu chrétien se livre à nous sans retour, Il n'en devient pas pour cela moins transcendant ni moins mystérieux.

Même offert, Dieu reste incompréhensible 

Ce n'est pas parce que la Trinité s'auto-communique aux hommes qu'elle devient un élément du monde. La logique immanente à l'ordre des choses reste impuissante à l'appréhender par le concept. Le mouvement qui porte Dieu vers Dieu, et qui le fait se donner à Lui-même (dans la Trinité éternelle), comme le mouvement qui le pousse à se livrer à nous dans l'Incarnation et la Pâque de Jésus, ces deux mouvements restent tout aussi mystérieux que son essence abyssale.        

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« Il est secret même après sa manifestation ou, pour employer une formule plus divine, il l'est aussi dans la manifestation. Cet aspect de Jésus est caché, et le mystère qui s'attache à lui n'est évacué par aucun discours ni aucune intelligence. Au contraire, il reste non dit, intelligé, il reste inconnu [1]. »

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Il est tout à fait exact de dire que Dieu se montre plus mystérieux en apparaissant qu'en restant invisible. Ce point sera souligné par Pascal : « Il était bien plus reconnaissable quand il était invisible, que quand il s'est rendu visible » (IVe lettre à Mlle de Roannez).

Ainsi sa venue à découvert ne le rend pas plus apprivoisable de notre part. Elle ne fait au contraire que creuser son incompréhensibilité essentielle.

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« On voit le paradoxe : le retrait du sacré ne vient pas de ce qu'il se refuserait en restant dans sa transcendance comme c'est le cas dans les théologies négatives ébauchées par les philosophes, en particulier le néoplatonisme. Il provient au contraire de ce qu'il est pleinement donné : “C'est en se montrant que Dieu se cache”. [2] »  

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La Croix, lumineuse et ténébreuse                        

Cette incompréhensibilité à découvert de Dieu n'est jamais plus explicite qu'à la Croix. C'est lorsque Dieu, en son Fils, est entièrement dépouillé de ses vêtements devant nous, offert en spectacle à tout le peuple, exposé à tous les sarcasmes, à tous les outrages, mais aussi livré à notre contemplation, qu' Il est parfaitement ténébreux, enveloppé de la Ténèbre, totalement obscur. La lumière se change en ténèbres, de même que les ténèbres (du supplice) s'inversent symétriquement en lumière (de l'amour).

L'évidence de la Croix n'est en rien un indice de compréhensibilité de Dieu. Comme l'écrit Balthasar :

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« Ce n'est pas parce que Dieu se dévoile à nous qu'il est moins Dieu et plus concevable [...]. Lorsque Dieu se dévoile en vérité, nous comprenons pour la première fois combien il est incompréhensible » (Dramatique divine, II, 2).

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Comme la rose d'Angelus Silésius, l'Amour divin est sans Pourquoi. Celui qui voudrait rendre raison intégrale de l'amour ne ferait que le blasphémer, le profaner.

Le Fils, offert à tous les regards, reste caché dans le mystère de la Croix. Ce mystère, c'est la vie intra-divine, la vie éternelle de la Trinité. (Ce qui ne signifie pas qu'il existe une kénose intra-trinitaire, un sacrifice, plus ou moins douloureux, à l'intérieur de l'éternité de Dieu).

La Croix révèle l'Amour trinitaire que se portent dans l'éternité le Père et Fils dans l'Esprit, tout autant que l’amour qu'ils nous portent, à nous autres, pauvres créatures. Ce qui ne rend pas la Trinité plus compréhensible.

 

 

Jean-Michel Castaing est essayiste. Il vient de faire paraître 48 Objections à la foi chrétienne et 48 réponses qui les réfutent (Salvator).                

 

 

Illustration : Le Caravage, La Flagellation du Christ, Musée des Beaux-Arts de Rouen.

 

 

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[1]    Denys l'Aréopagite, Lettre 3.     

[2]    R. Brague, Du Dieu des chrétiens, Flammarion, 2008, p. 173.