Rapport Théry : un texte explosif pour orienter l’avenir « des familles »

Le rapport commandé par le gouvernement préconise la PMA pour les couples homosexuels, la reconnaissance des enfants nés par GPA à l’étranger, ou la fin de l’anonymat des donneurs de gamètes. Voulu pour alimenter le texte de la loi abandonnée par Jean-Marc Ayrault, le texte est soutenu par l’Elysée pour orienter les prochains évolutions du droit de la famille. Extraits.

CE TRAVAIL de 350 pages, dirigé par la sociologue Irène Théry sera disponible mardi 15 avril sur le site de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) avant de figurer très officiellement sur le site du ministère des Affaires sociales, à la demande de l’Elysée. Le gouvernement souhaite clairement que ce rapport oriente l’avenir « des familles », leurs physionomies et leurs « métamorphoses ».

Ce rapport intitulé  « Filiation, origines, parentalité : le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle » comporte deux volets distincts :

  • l’élaboration, dans la perspective d’une évolution législative, des analyses et préconisations sur l’accès aux origines et la place familiale des beaux-parents ;
  • une réflexion prospective sur la filiation en général pour « éclairer », autrement dit orienter le débat public et politique.

Dans sa présentation du texte, dont Rue89 a eu la primeur, Le Nouvel Observateur écrit : « Si le gouvernement Valls, tétanisé par les minorités cathos qui ont fini par terroriser l’équipe Ayrault, ne s’en saisit pas, on peut espérer que les pragmatiques de tous bords s’en serviront. »

Voici les extraits présentés par Rue89-Le Nouvel Obs :

  1. Les propositions du rapport
  2. Introduction du rapport
  3. Résumé de volume I
  4. Résumé du volume II
  5. La conclusion du rapport
  6. La composition du groupe de travail
  7. Le rapport et ses annexes

Sur l’adoption

  • La rendre possible à tous les couples, mariés, pacsés ou concubins ;
  • maintenir les deux voies d’adoption, la plénière et la simple, mais en finir avec le statut de « sous-adoption » de cette dernière. Elles seront égales, mêmes droits, mêmes devoirs, même sécurité juridique : la plénière venant se substituer à la filiation d’origine, la simple venant s’ajouter à la filiation d’origine ;
  • en finir avec le deuxième acte de naissance de l’enfant adopté qui permettait de singer la naissance par procréation ;
  • redéfinir l’adoption par le conjoint.

Sur l’accès aux origines

L’accès aux origines des enfants nés d’engendrement avec un tiers donneur dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation (AMP) :

  • « Le don, au lieu d’être dissimulé comme c’est le cas aujourd’hui, devrait être valorisé pour son altruisme, sa générosité. L’engendrement avec tiers donneur en AMP ne peut être assimilé ni à une procréation charnelle, ni à une adoption.
  • « Institution d’‘une modalité sui generis d’établissement de la filiation, reposant pour tous les couples sur une déclaration commune anticipée de filiation » ;
  • fin de l’anonymat des donneurs de gamètes. Les enfants devraient avoir accès à leurs origines à leur majorité.
  • dans ce cadre, ouvrir sans tarder la PMA aux couples de femmes ;

L’accès aux origines pour les enfants nés sous X :

  • instauration d’un véritable droit d’accès aux origines à partir de l’âge de la majorité, étant bien précisé qu’un droit à la communication de l’identité n’est pas un droit à la rencontre.

Gestation pour autrui (GPA)

  • Pas de consensus sur l’ouverture et l’encadrement de la GPA en France dans le groupe de travail ;
  • établissement de la filiation en France des enfants nés à l’étranger par GPA.

Les beaux-parents

Instauration d’« un ensemble de mesures permettant de soutenir cette place par des possibilités offertes, jamais imposées, mais dont il leur sera possible de se saisir si cela peut favoriser l’intérêt de l’enfant » :

  • un « mandat d’éducation quotidienne » ;
  • un « certificat de recomposition familiale » ;
  • « possibilité de léguer des biens à son bel enfant avec la même fiscalité que pour un enfant ».

 

Le texte de l'introduction :

Filiation, origines, parentalité : le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle 

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« Introduction.
 Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle.

“ Filiation, origines, parentalité ” : la dénomination de notre groupe de travail résume la mission qui nous a été confiée. Elle comportait deux volets distincts et liés. Le premier était d’élaborer, dans la perspective d’une prochaine loi sur la famille, des analyses et préconisations sur deux thèmes précis : l’accès aux origines et la place familiale des beaux-parents. Le second était d’aller au-delà, et de proposer au débat public et politique une réflexion prospective sur la filiation en général. [...]

Quel est le problème posé ?

A première vue, la question de l’accès aux origines et celle des beaux-parents dans les familles recomposées n’ont rien à voir.

L’accès aux origines concerne deux situations :

  • celle des enfants nés sous X, adoptés ou pupilles ;
  • celle des enfants nés d’engendrement avec un tiers donneur dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation (AMP).

Ces deux situations impliquent des personnes qui ont joué un rôle dans le passé, autour de la naissance de l’enfant, mais qui ne sont plus présentes dans sa vie voire n’y ont jamais été, et en tout cas ne jouent aucun rôle éducatif ou de soin : les parents de naissance d’une part, les donneurs d’engendrement d’autre part.

Au contraire, les beaux-parents qui vivent aujourd’hui dans les familles recomposées sont des personnes qui n’ont pas été partie prenante de la naissance de l’enfant, n’étaient pas dans sa vie au départ, mais qui ensuite ont rencontré un de ses parents (veuf, séparé ou divorcé), ont décidé de partager sa vie et assument de fait des responsabilités de soin, d’éducation et de prise en charge de cet enfant au quotidien.

Deux situations opposées, donc.

Elles ont pourtant en commun quelque chose d’essentiel : tous ces personnages sont maintenus à l’écart de la famille, voire relégués dans les placards de l’histoire familiale.

Nous n’évoquons pas ici les aléas de la vie des gens ou leurs conflits privés. Non, si ces personnages sont privés d’existence, c’est au sein de nos institutions, par le droit, par l’Etat. Ils n’ont pas droit de cité,

  • soit qu’ils n’aient pas de reconnaissance sociale (les beaux-parents) ;
  • soit que leur identité soit devenue inaccessible (les parents de naissance), soit qu’elle ait été volontairement effacée, pour faire comme s’ils n’avaient jamais existé (les mères sous X ; les donneurs de gamètes et d’embryons).

Et pourtant ils ont existé, ils existent.

Ces différentes formes d’effacement institutionnel peuvent être vécues par l’enfant comme le déni de son histoire biographique, et par l’adulte comme une atteinte à son identité personnelle et une injustice qui lui est faite.

De là une critique portée par les nouvelles générations contre un droit qui paraît obsolète :

  • critique des personnes nées sous X, des adoptés et pupilles, ou encore des enfants nés d’AMP, devenus aujourd’hui de jeunes adultes et pour qui l’accès aux origines doit être reconnu comme un droit fondamental de la personne ne menaçant en rien la filiation, alors que ce fut pour leurs aînés des générations précédentes une quête solitaire et douloureuse, dont ils ne pouvaient même pas parler à leurs proches ;
  • critique, aussi, des jeunes beaux-parents trentenaires ou quarantenaires qui ont pu voir comment dans la génération de leurs propres parents, la première qui ait connu le divorce de masse, les beaux-pères et belles-mères – aujourd’hui devenus des “ beaux-grands parents ” – n’ont bénéficié d’aucune forme de reconnaissance sociale, alors même que jamais dans l’histoire de la famille autant de soins, de dévouement, d’engagement financier et de responsabilité pour les enfant d’autrui n’ont été déployés spontanément et à une aussi vaste échelle.

Avec le développement du divorce, mais aussi de l’adoption et plus récemment de l’AMP, ces situations familiales se sont développées dans tout le monde occidental, et elles ont donné lieu dans de nombreux pays à des évolutions significatives du droit.

En contraste, le débat français apparaît singulièrement bloqué, notamment parce que se perpétue un extraordinaire malentendu sur l’objet même de ce qui est en question.

C’est ici qu’apparaît la question de la filiation.

En effet, les opposants à toute évolution du droit prétendent que les jeunes adultes veulent s’en prendre à la filiation en cherchant à la remplacer par une autre filiation, alternative et rivale. Ainsi, on accuse ceux qui sont en quête de leurs origines de vouloir “ biologiser la filiation ” : un thème omniprésent aussi bien à propos des personnes nées sous X que des personnes nées d’un don de gamètes.

Quant aux jeunes beaux-parents qui revendiquent une place familiale, on les soupçonne de vouloir porter atteinte aux prérogatives de l’autre parent (l’ex-époux de leur conjoint), voire de s’opposer à la coparentalité des parents divorcés.

Ces accusations sont d’autant plus difficiles à entendre pour les jeunes adultes concernés, que tout le sens de leur démarche est au contraire qu’une place soit faite dans notre droit à des liens et à des rôles qui justement, ne relèvent pas de la filiation. Non seulement ils ne cherchent pas à mettre en danger leur lien à leurs parents mais ils affirment que si satisfaction était donnée à leurs revendications, cela ne pourrait que conforter la filiation des parents divorcés en général, des parents d’enfants adoptés ou nés d’AMP avec tiers donneur en général, et que c’est même très exactement cela qu’en France on refuse encore de comprendre.

Ces malentendus ne sont pas de simples incompréhensions. Ce sont des symptômes. Les réticences au changement révèlent tout un ensemble de préjugés qui portent en réalité sur la filiation elle-même. On ne peut donc pas aller jusqu’à la racine des controverses sur l’accès aux origines ou sur les familles recomposées, si on ne se penche pas aussi sur le contexte qui leur donne sens : la grande métamorphose de la filiation, et plus généralement de la famille et de la parenté, dans les sociétés occidentales contemporaines.

Cette grande métamorphose, la génération du baby boom – qui est aujourd’hui aux commandes – avait l’habitude, depuis les années 1970, de se vivre comme celle qui la portait et qui l’incarnait. Et en effet, c’est avec l’arrivée à l’âge adulte des baby-boomers qu’on a vu se développer la contraception moderne, l’émancipation sexuelle, l’union libre et la famille hors mariage, le couple où les deux travaillent, la valeur d’égalité de sexe, les séparations et divorces, les familles monoparentales et recomposées…

Mais voilà que, pour la première fois, cette génération se trouve à son tour mise en question par celle de ses propres enfants, qui l’interroge sur ce qu’elle a fait ou n’a pas fait. Une nouvelle génération d’adultes qui certes est héritière des bouleversements familiaux du dernier tiers du XXe siècle, mais qui témoigne aussi de nouveaux problèmes, apporte de nouvelles problématiques, et surtout porte de nouvelles aspirations et de nouveaux espoirs.

En témoignent par exemple la multiplication des couples mixtes dans un monde de plus en plus international, le recours croissant aux nouvelles technologies de la procréation, le développement important de l’homoparentalité, l’aspiration à une implication plus décisive des hommes dans la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, les formes nouvelles d’exercice concret de la paternité ou encore un questionnement renouvelé sur les identités masculines et féminines.

Sur la filiation, les origines et la parentalité, la génération du baby boom, qui a porté le changement, acceptera-t-elle de se laisser interroger par la suivante ? Saura-t-elle l’écouter ? Sera-t-elle capable de remettre en cause certains de ses schémas de pensée et de revoir certaines de ces certitudes ? Telle est l’interrogation qui surgit inévitablement quand on se penche sur la vaste question des transformations de la filiation en général. »

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Source et photo : Rue89-Nouvel Obs

En savoir plus :
La communication discordante du philosophe Thibaud Collin au rapport Théry (Liberté politique)

 

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