Eric Branca : « La guerre des ambitions à l’UMP est la conséquence d’une perdition idéologique »

Eric Branca : "La guerre des ambitions à l’UMP est la conséquence d’une perdition idéologique"

L’UMP a semblé emporter le premier tour des élections municipales 2014, mais par défaut : c’est le PS qui s’effondre, et elle ne contient pas le Front national. Eric Branca, directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, estime que la droite est dans une impasse idéologique. Pour offrir une véritable alternative politique, elle doit selon lui se reconstruire sur les trois sujets fondamentaux que sont la souveraineté, l’identité nationale et l’école.

Liberté politique. — Victorieuse des municipales, la droite française est toujours minée par une guerre des chefs et des ambitions : est-elle en mesure d’offrir une véritable alternative ?

Eric Branca

Eric Branca. — La guerre des chefs est le reflet et la conséquence d’une perdition idéologique qui a commencé dans les années 1970 et 1980 sur le thème essentiel de la souveraineté nationale. Elle s’est poursuivie dans les années 1990 et 2000 autour de la question des « valeurs » — tellement peu affirmées par leurs partis que les électeurs de droite ont commencé à fuir vers le Front national.

Créée en 2002 pour unir la droite et le centre, sur fond de capitulation idéologique des gaullistes face aux centristes, l’UMP a pu faire illusion, un temps, arithmétiquement. Mais il ne parvient plus à cacher les divergences de fond qui la traversent. Et même plus à peser face au FN puisque, dans le sud-est de la France, ce dernier, on l’a vu au premier tour des municipales, a purement et simplement commencé à l’éliminer… Si une solidité idéologique pouvait renaître, la guerre des chefs serait, sinon réglée ipso facto, au moins réintégrée dans un débat de fond.    

Quel doit être le chantier prioritaire ?

La reconquête de la souveraineté. Le débat a été évacué par les grands appareils politiques à partir de 1979, date de l’élection du Parlement européen au suffrage universel. Or la souveraineté est au cœur du système démocratique. La liberté n’est pas une valeur relative, mais absolue. De même qu’une porte doit être ouverte ou fermée, on est libre ou bien on ne l’est pas.  Quand des instances non élues décident en lieu et place d’instances désignées par une majorité de citoyens, on peut appeler cela comme on veut, on peut même trouver cela plus « rationnel » que la démocratie, mais il ne s’agit en aucun cas d’un système souverain. Or il est inquiétant de constater qu’il n’existe plus de mouvement politique ou de personnalités qui mettent cette question au centre de leurs préoccupations, depuis l’effacement de Philippe de Villiers, mis à part Nicolas Dupont-Aignan, qui pèse si peu.

Reste, bien sûr, le Front national. Mais la question de la souveraineté nationale ne pourra revenir sur le devant de la scène que si, comme lors du referendum de 2005, la conscience de notre dessaisissement démocratique émerge dans plusieurs familles politiques à la fois.

Comment la droite a-t-elle abandonné la nation ?

Le traité de Maastricht (1992) a privé la nation de deux capacités fondamentales : battre monnaie et contrôler ses frontières. La droite aurait pu mettre le président Mitterrand en difficulté en s’opposant à cette fuite en avant dans la supranationalité, et gagner les législatives de l’année d’après sur ce socle là. Mais Jacques Chirac n’a pas voulu le faire, Mitterrand ayant prévenu qu’il ne prendrait pas comme premier ministre un opposant au traité de Maastricht. Le RPR de l’époque a donc une responsabilité majeure dans cet abandon. Et après lui, Nicolas Sarkozy, quand il a décidé de faire adopter par le Parlement les dispositions rejetées par les Français lors du referendum de 2005 sur la Constitution européenne…

Pourtant, en 2012, il fait sa campagne contre les statuts de la BCE et Schengen. Comment définissez-vous le sarkozysme ?

Nicolas Sarkozy agit comme un avocat. En traitant un dossier après l’autre. Or ce n’est pas parce qu’on ne parle plus d’un problème qu’il disparaît. Se dresser contre des traités qu’on a soi-même voté et promu, est une tactique comme une autre. Ce n’est nullement une méthode pour donner confiance aux électeurs qui ont, quoiqu’on en pense, la mémoire longue.

Vous l’avez, en 2009, comparé à Valéry Giscard d’Estaing sur une couverture de Valeurs Actuelles…  

À ceci près que Giscard avait une doctrine : le « libéralisme avancé ». Autrement dit faire en sorte que l’État entérine les desiderata de la société. C’est ce qui s’est passé avec l’IVG. François Hollande ne fait pas autre chose avec le « mariage pour tous ». Je ne pense pas que Sarkozy ait des idées aussi formées.

Leur seul point commun, à mon sens, c’est qu’ayant été élus tous deux par une droite plutôt conservatrice, ils se sont ingéniés, une fois au pouvoir, à vouloir séduire leurs adversaires. La « décrispation » pour l’un, l’« ouverture pour l’autre »… On a vu le résultat. Avec, au bout de leurs mandats respectifs, une même volonté de se « représidentialiser », fort d’un même slogan : « Il faut un président à la France. » C’est donc qu’il n’y en avait pas un avant ?

Sur quels autres axes que la souveraineté nationale la droite doit-elle se reconstruire ?

Je vois deux autres priorités. Le code de la nationalité, que Jacques Chirac avait eu l’intuition de réformer en 1986, avant de baisser les bras, et l’école, qui reste le grand passif de tous les régimes, depuis 1974. On nous explique qu’il y a toujours quatre millions d’étrangers en France, mais on ne dit pas qu’il y a désormais plus de 12 millions de Français d’origine étrangère, selon une récente étude de l’Insee («Immigrés et descendants d'immigrés en France», octobre 2012). Une proportion sans précédent, ni surtout sans équivalent en Europe, avec toutes les conséquences que cela comporte en termes d’unicité culturelle, donc de volonté de vivre ensemble sur le sol d’une même patrie.  D’où la panne de la machine à intégrer qui menace la cohésion sociale et nationale. 

Quant à l’école, qui oserait prétendre qu’elle n’est pas le plus cuisant échec de la droite ? Le collège unique a été introduit sous Giscard. Et la théorie du genre que dénonce aujourd’hui avec raison l’UMP, a été introduite par Luc Chatel, ministre de l’Education nationale de Nicolas Sarkozy !

 

Propos recueillis par Laurent Ottavi.

 

 

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Photo : WikiCommons