Geoffroy de Vries : "Le Conseil constitutionnel n’est pas allé au bout de la logique"

Maître Geoffroy de Vries est l’avocat du collectif des Maires pour l’enfance. Il réagit à la décision du Conseil Constitutionnel rendue vendredi, concernant la liberté de conscience des officiers d’état civil. Les Sages ont estimé que le refus de procéder à des mariages de personnes de même sexe était passible de sanctions. L’avocat analyse la décision du Conseil et évoque les recours possibles.

Liberté politique. — On s’attendait à ce que le Conseil constitutionnel se défausse sur le législateur. Dans ces conditions, peut-on parler de déception après la décision rendue ce matin ?

Geoffroy de Vries. — Évidemment, nous sommes déçus ! Le Conseil constitutionnel reconnaît la liberté de conscience comme une liberté constitutionnelle, mais refuse d’aller au bout de la logique. C’est une décision difficilement compréhensible, fort critiquable juridiquement. Les sages nous disent que la loi du 17 mai 2013 n’a pas porté atteinte à la liberté de conscience, sans pour autant justifier cette affirmation.

Il faut également prendre en compte les propos tenus par François Hollande au congrès des maires de France, le 20 novembre 2012 c'est-à-dire avant que la discussion ne commence au Parlement. Il avait déclaré : « La loi s’applique pour tous, dans le respect néanmoins de la liberté de conscience. » On peut considérer que le président de la République s’exprimait là dans le cadre de l’article 5 de la Constitution. La sage recommandation du Président n’a été écoutée ni par le législateur ni par le Conseil constitutionnel !

Quels sont les recours possibles ?

Il y a actuellement un recours devant le Conseil d’État contre la circulaire du ministre de l’Intérieur (13 juin 2013). Ce texte précise les sanctions pouvant être infligées aux maires qui ne procéderaient pas à des mariages entre personnes de même sexe et encourage même les pouvoirs publics à les dénoncer.

Maintenant que le Conseil constitutionnel s’est prononcé, le Conseil d’État va se saisir de ce dossier et rendre une décision dans les prochaines semaines ou prochains mois.  Il se prononcera sur la conformité de cette circulaire au droit français et aux conventions internationales, par exemple à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et au pacte de New York de 1966 qui garantissent la liberté de conscience. Cette circulaire, comme la loi Taubira d’ailleurs, sont contraires à certaines conventions internationales conclues par la France !

« Nous avons plus de chances d’obtenir quelque chose à Strasbourg »

Un autre recours est possible : il s’agit de saisir la Cour européenne des droits de l’homme basée à Strasbourg, dans le cadre du Conseil de l’Europe et de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Deux types d’arguments peuvent être exposés : sur la forme, le Conseil constitutionnel n’a pas respecté son propre règlement concernant les délais d’instruction ; sur le fond, les sages n’ont pas reconnu en France la liberté de conscience garantie par cette convention.

Par ailleurs, d’autres maires que les sept maires ayant saisi à l’origine le Conseil constitutionnel ont effectué une intervention volontaire auprès du Conseil. Ils ont transmis dans le délai prévu par le règlement des observations qui n’ont cependant pas été prises en compte par la cour suprême. Il y a donc ici aussi un motif, les concernant, pour saisir la Cour européenne des droits de l’homme.   

Enfin, le troisième recours possible est politique. Le Conseil constitutionnel n’a pas fermé la porte à une clause de conscience, donc le Parlement peut adopter des dispositions pour garantir cette liberté de conscience aux maires et aux adjoints. Deux propositions de loi ont été déposées récemment : l’une à l’Assemblée nationale par Philippe Gosselin, l’autre au Sénat par Bruno Retailleau.  

Y a-t-il plus de chances d’obtenir gain de cause au niveau européen ?

Il est probable que la Cour européenne des droits de l’homme « condamne » la France au motif que le Conseil constitutionnel n’a pas respecté certains principes du procès équitable dans le cadre de l’instruction de la question prioritaire de constitutionnalité et au motif que le droit français ne prévoit pas de liberté de conscience pour les maires. Nous avons plus de chance d’obtenir quelque chose à Strasbourg !  

Que risque, aujourd’hui, un maire refusant de procéder à un « mariage » homosexuel ?

En l’état actuel du droit et, compte tenu de la circulaire Valls, un maire qui refuse de procéder à un mariage s’expose à cinq ans d’emprisonnement, 75 000 euros d’amende. Il risque la révocation, l’inéligibilité et une peine complémentaire d’interdiction de droits civiques.

 

Propos recueillis par Laurent Ottavi

 

En savoir plus :
Le communiqué du Conseil constitutionnel
La Décision n° 2013-353 QPC du 18 octobre 2013
Le commentaire du professeur Nicolas Mathey : Le Conseil constitutionnel insulte l'intelligence juridique