Stocker ses ovules à la banque : l’ère de l’anthropotechnie procréative

Déposer ses ovules à la banque quand on est jeune pour les récupérer plus tard dans le but de se faire fabriquer un enfant par fécondation in vitro, c’est la dernière recommandation émise par le très sérieux Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF).

ON AURAIT PU CROIRE à la proposition d’un savant fou tant la posture relève plus de celle du démiurge que du médecin, mais il s’agit bien de l’une des dernières publications officielles de la profession dans un avis intitulé Autoconservation sociétale des ovocytes [1]. Les spécialistes de la grossesse voudraient libérer les femmes du poids millénaire de leur horloge biologique…

Vitrifier ses ovocytes

Depuis l’invention de la fécondation in vitro, les biologistes de la reproduction n’ont eu de cesse de trouver un moyen efficace pour conserver au froid les ovules. Jusqu’il y a peu, la méthode classique de congélation lente utilisée avec succès depuis des décennies pour les spermatozoïdes et les embryons n’était pas adaptée aux gamètes féminins, volumineuses cellules composées d’une forte proportion d’eau : la formation de cristaux de glace les détruisait presque systématiquement. Tout a changé avec la mise au point récente de la technique de vitrification – induisant un état vitreux non cristallisé des cellules grâce à un refroidissement ultra-rapide – qui permet dorénavant de cryoconserver sans les abîmer 9 ovocytes sur 10. Au-delà de la prouesse technique, le fait de pouvoir aujourd’hui stocker des ovules dans des banques et d’en disposer à volonté entraîne un nouveau bouleversement de la procréation humaine que peu d’experts avaient anticipé.

Une brèche a été en fait ouverte avec la loi relative à la bioéthique du 7 juillet 2011 qui, tout en autorisant la vitrification, accorde à de jeunes femmes sans enfants qui feraient don de leurs ovules d’en conserver une partie pour elles-mêmes. Bref, une logique du donnant-donnant. Manifestement, le Collège national des gynécologues et obstétriciens s’y est engouffré pour dénoncer le « chantage éthiquement inacceptable » du législateur qui a limité la possibilité d’autoconservation aux seules femmes qui s’inscriraient dans une démarche de don. S’appuyant sur le fait que les Françaises deviennent mères de plus en plus tard, la société savante plaide pour une « autoconservation sociétale des ovocytes » ouverte de droit à toutes les femmes.

 Dissocier procréation et sexualité

Si l’âge de la maternité a effectivement reculé en France, celui où la fertilité féminine décline reste le même : à partir de 35 ans, les chances de concevoir commencent à s’amenuiser pour diminuer drastiquement après 40 ans. Plus exactement, ce sont les ovaires qui vieillissent, produisant des ovocytes de moindre qualité, tandis que l’utérus reste fonctionnel beaucoup plus longtemps. L’idée avancée par les spécialistes de la grossesse serait donc d’offrir la possibilité aux femmes à déposer leurs ovocytes à la banque au moment où leur fertilité est maximale pour les récupérer plus tard et concrétiser leur « désir d’enfant ». Durée des études, investissement dans sa carrière professionnelle, difficulté à s’engager durablement expliquent aujourd’hui que les femmes attendent avant de « mettre en œuvre un projet d’enfant », avancent-ils.

Après la légalisation de la contraception, de l’avortement ou des fécondations in vitro, il s’agit en fait d’élargir toujours plus le fossé dissociant procréation et sexualité, achevant de libérer les femmes des « contraintes biologiques » liées à leurs corps. Les « raisons médicales » qui justifiaient jusqu’ici le recours à l’ensemble des techniques de procréation artificielle, en particulier le diagnostic d’une stérilité, disparaissent au profit d’un « désir social » qui devrait être pris en charge par la collectivité. Ainsi, le stockage d’ovules a pour unique objectif d’obtenir un « report sociétal » de sa grossesse afin de la programmer au moment où son déroulement gênerait le moins.

Investir le champ du désir

Pour les lobbies féministes, cette possibilité technique permettrait aux femmes de s’affranchir des limites imposées par la Nature à leur reproduction. Il est discriminatoire, donc injuste, arguent-elles, que les hommes ne soient pas soumis à une « horloge biologique » comme elles-mêmes le sont. Du fait de la fréquence des séparations et des recompositions familiales parfois tardives, l’autoconservation de ses ovules permettrait ainsi de mener à bien une grossesse indépendamment des aléas de sa vie sentimentale « en sortant ses cellules sexuelles du frigo au bon moment ». Cette évolution ne fait que s’inscrire dans la revendication du « droit à disposer de son corps » qui doit aujourd’hui aller jusqu’au bout de sa logique.

Derrière l’avis du Collège français des gynécologues se dessine l’organisation d’une « médecine de convenance » toute puissante sensée répondre aux désirs des individus. Cette « médecine » conjuguerait bien sûr l’arsenal contraceptif et contragestif existant, les procédures d’IVG médicamenteuses à domicile et les techniques de diagnostic prénatal précoce pour contrecarrer la venue d’un enfant non voulu ou non conforme à son projet. Elle s’organiserait désormais autour de la vitrification et du stockage de ses ovocytes suivis de la fécondation in vitro d’embryons fabriqués et triés en laboratoire offrant ainsi aux femmes des possibilités quasi illimitées d’assurance fertilité/qualité et d’obtention d’un enfant au moment programmé.

La véritable question qui apparaît derrière cette revendication est donc aussi celle de l’accessibilité à la « parentalité » pour convenance personnelle, sans qu’il n’y ait plus besoin d’être atteint(e) d’infertilité pour y avoir accès. Des commentateurs se sont étonnés que des médecins s’emparent d’un sujet sociétal en le déconnectant de tout aspect « thérapeutique ». Il nous semble au contraire exister une certaine « logique » derrière toutes les revendications actuelles, PMA homosexuelle, FIV pour tous les couples, stockage d’ovules… La pression est aujourd’hui maximale pour soustraire l’antique « assistance médicale à la procréation » à la sphère du « traitement médical » pour entrer dans le champ de l’anthropotechnie procréative où plus rien ne saurait s’opposer à la satisfaction de désirs d’adultes détenteurs d’un projet parental, et ce quelles que soient leurs orientations sexuelles ou leurs configurations parentales.

[1] CNGOF, « L’autoconservation sociétale des ovocytes », 12 décembre 2012.