Nos coups de coeur

Un terrorisme planétaire : le capitalisme financier

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Un terrorisme planétaire : le capitalisme financier
  • Auteur : Claude Mineraud
  • Editeur : Editions de la Différence
  • Année : 2012
  • Nombre de pages : 171
  • Prix : 15,00 €

Sont-ce des larmes de sang que recèle l’encre noire qui compose le titre du livre de Mineraud, une couverture délavée qui fait penser à celles qu’arboraient les bouquins gauchisants - type Guattari et Deleuze - édités par la maison Maspero dans les années soixante-dix ? Celles d’un corps torturé ? Et, alors, quel est cet homme ? Je dirais : nous, ‘‘nous’’ pour peu que nous n’appartenions pas à la caste de ceux qu’un Chevènement dénomme les ‘‘élites mondialisées’’, et leurs affidés de «cœur» (les guillemets s’imposent) et de porte-monnaie (bientôt de singes).

Le tortionnaire a un nom : capitalisme financier, et plusieurs alias, tel ultra-libéralisme. Se peut-il que leur plus fidèle synonyme soit tout simplement : libéralisme ? Il nous faudrait alors remonter tout le fil conducteur, de la vulgate d’aujourd’hui jusqu’aux textes fondateurs. Nos libéraux contemporains sont-ils leurs fils fidèles et dévoués, ou des dévoyés ? Nous l’avions vu : les avis divergent ? Certains s’exclament : «Ricardo, Smith, revenez, ils sont devenus fous !» D’autres font valoir que l’action en recherche de paternité est mal orientée : c’est Le Play ou Bastiat qu’ils devraient invoquer [1]. Récemment, Serge Audier, chez Grasset, a bien creusé la question. Mais, un autre passionné a foré encore plus profond. Et, à ce que nous enseignent notre réflexion et, plus encore, notre expérience, c’est Jean-Claude Michéa, chez Climats, qui perçoit et pense au plus juste : que nous ayons affaire aux grandes doctrines libérales originelles (dites historiques, comme les principales Eglises protestantes) ou à leurs avatars (fussent-ils reniés par les Pères fondateurs), c’est toujours la même et unique logique libérale qui est à l’œuvre et déroule ses faits et méfaits [2].

Pour qui de droit, on a là sous la main cinq cents pages bien tassées, mais ni percluses, ni recluses de rhumatismes comme dirait ma concierge, qui, gaillardement, décortiquent la chose,- oui, la chose comme jadis murmuraient les abbés confesseurs à propos des péchés veloutés, car, aujourd’hui, l’argent n’est-il pas dit fort souvent sale ?

En attendant, le gant de velours recouvre bien une main de fer nous rappelle, lui aussi de toute son expérience et de toute sa maturité, Claude Mineraud. Le capitalisme programme sa fin aussi sûrement que le scorpion retournant son dard contre lui sa mort à partir du moment où il place la finance sans repère, sans garde-fou (c’est-à-dire dépourvue de mètre-étalon… or, bi-métallisme, valeur-travail, matières premières…), le liquide au-dessus du solide. Ce dernier est constitué des secteurs primaire et secondaire. Philippe Manière rappelait, mais pour juger cette position dépassée, que Raymond Aron ne prenait guère le secteur tertiaire au sérieux. Ainsi, non seulement, le capitalisme – lequel, en soi, est pour ainsi dire neutre, affecté d’un coefficient idéologique faible – place la charrue avant les beaufs et le petit peuple qu’il méprise ouvertement, mais son veau d’or ne correspond qu’avec qu’une monnaie scripturale électronique dont la vitesse de circulation est inversement proportionnelle à la masse (au sens de valeur réelle de l’unité de compte). Claude Minneraud a donc tout à fait raison de faire valoir que le capitalisme ne survivra qu’en retournant à ses fondamentaux. Le capitalisme doit se considérer comme la théorie d’un type d’apport en industrie sous forme de capitaux mis au service de la production industrielle et agricole elle-même consacrée à la promotion du bien-être du genre humain. Être ? Vous avez dit l’être : voilà un mot dont le financier internautique tout enfermé dans sa bulle ne veut connaître le sens. Lui-même n’est qu’un avoir qui, comme le lierre sur l’écorce, vit par l’hypothèque forcée d’autrui. Une sorte d’esclavage en (bête de) somme. Minneraud rappelle le capitalisme rhénan naguère recommandé par Michel Albert au bon souvenir de l’économiste. Il est vrai qu’il n’est pas sans lien avec certaine doctrine sociale, et qu’augmenté de la participation vantée par De Gaulle, il permettrait de transformer l’économie sociale de marché allemande en un succédané acceptable de la doctrine suggérée juste avant. Mais si Claude Minneraud ne nous semble pas vouloir faire montre d’une fibre spiritualiste identifiable, on a affaire à un homme de l’être, à un véritable humaniste (et on sait combien toujours nous hésitons devant l’emploi du terme) qui sait que l’entreprise ne doit jamais rien entreprendre qu’en considérant elle aussi le secteur des services (le tertiaire) comme au service de l’Homme. Ayant réussi (et plus que cela) dans les affaires (en devenant le courtier d’assurances du notariat français), il a vu comment le capitalisme anglo-saxon, armé d’une common law s’échinant à substituer ce que nous nommerons le « contrat unilatéral synallagmatique » (ce qui est une oxymore) au détriment d’une loi protectrice des faibles (voir Jaurès), cherchait à exporter son principe et ses méthodes au sein d’une profession qui, par nature, leur est réfractaire. Ici encore, l’auteur combat le caractère étymologiquement antinomique de cette «loi du riche» qui ne craint même plus d’apparaître pour ce qu’elle est en son fond : la phase finale du processus de perversion capitaliste constitué par la fusion-absorption du droit (et de la morale) par et sous l’autorité de la finance «quantique». Mais, si les quanta existent en science physique (bien que cette particule puisse disparaître des écrans !), en matière économique, ils sont des leurres, des artefacts que des traders naïfs, mais plus pour très longtemps, prennent pour des espèces à leur service.

Ainsi, dans ce livre, le dirigeant d’entreprises témoigne-t-il. Mais l’on sait que, quelque soit le système (et, à l’instar du communisme et du national-socialisme, l’ultra-libéralisme est aussi un système politique), les témoins ne sont pas toujours crus d’emblée. A juste titre, Minneraud emploie-t-il de dures comparaisons pour qualifier le capitalisme financier. On tiquera non sur la sévérité, mais sur l’approximation de certains mots. Et sourira de la fougue lyrique et poétique avec laquelle ce mécène des temps post-modernes anticipe l’avènement d’une Civilisation jamais encore advenue pleinement après avoir jeté ses foudres sur un de Gaulle dans l’adolescence idéalisé. Quant aux bourreaux (au bas mot, des malfaiteurs), se doutent-ils que la justice immanente est en voie de s’accomplir. Jean-François Revel avait pour une fois raison en disant que Lénine avait eu tort d’écrire que «les faits sont têtus». En matière économique et financière, les statistiques se montrent très accommodantes. Mais, ignorant tout de la place du cœur, il arrive que, par inadvertance, notre trader glisse son porte-feuille à gauche. A la place du cœur. Quand il sera touché, il sera touché au cœur. Pour invisible qu’elle soit, l’invisible et omnisciente main régulatrice du marché va voler à la figure de nos matérialistes Saint Thomas. Qui souffrira croira.

Hubert de Champris

[1] voir prochainement notre critique de Philippe Manière, Le pays où la vie est plus      dure, Grasset.

[2] voir notre recension de ces ouvrages en rubrique Le Fil.


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