Le Monde

Dans son édition du 20 mars, Le Monde Economie publiait une interview de Paul Dembiski, directeur de l’Observatoire de la finance à Genève, professeur à l'université de Fribourg (Suisse). Avec une troublante clairvoyance, ce spécialiste dont on ne saurait dire qu’il ne connaît pas son sujet, explique le contexte et les raisons de l’appel lancé en 2011 par des universitaires européens dont il est un des instigateurs : « Renouveler la recherche et l'enseignement en finance, économie et gestion pour mieux servir le bien commun ». Cette initiative internationale a déjà recueilli près de 500 signatures en Europe

Dembiski dans cette interview met en cause un enseignement décontextualisé et déshumanisant. Au fond, c’est la question de la mission de l’université qui est en cause : « s'agit-il de formater des étudiants pour les insérer dans des places déjà préétablies, ou de les former en leur donnant les clés pour qu'ils puissent répondre à des situations qui ne sont pas forcément celles qu'ils ont abordées en cours ? » s’interroge le professeur.

« Le devoir d'une institution consiste à donner une certaine autonomie intellectuelle à ses étudiants » explique-t-il. Or dans l’enseignement de la Finance, ce sont bien souvent les modèles qui servent de prisme pour analyser la réalité. C’est pourquoi le directeur de l’Observatoire de la finance à Genève lance son appel :

« Il s'agit de contextualiser ce savoir, d'en rebâtir les fondements en se demandant si ce qu'on étudie correspond à la réalité ou si on n'est pas plutôt en train de mettre en place des éléments qui l'altèrent. (…) Il faut humaniser en profondeur l'enseignement de la finance, introduire la dimension historique qui permet de comprendre que si l'appréciation des risques fonctionne dans certains cas, des choses imprévisibles peuvent aussi se produire. Les jeunes perdent de vue cette dimension-là, ils ne voient la réalité qu'à travers des modèles. »

Certaines universités, depuis la crise financière, ont réagi en insérant dans les cursus de finance des cours d’éthique. L’idée est louable mais Dembiski estime que la réalisation est insuffisante. Pour lui, il ne suffit pas « de mettre des sparadraps en dispensant quelques cours d'éthique » mais plutôt d’opérer un changement « en profondeur » de l’enseignement de la finance.

« C'est quand ces questions-là seront au cœur des cours magistraux que les étudiants pourront relativiser tout ce qu'ils apprennent. Certes, cela peut les déstabiliser, car le savoir sera moins absolu, mais ce qu'ils perdront en assurance, ils le gagneront en sagesse. »

Cette mission qu’il s’est donnée, le professeur la voit avant tout comme un service à rendre à la société et aux étudiants et on ne peut que lui souhaiter courage et chance. Car au fond, réintroduire les notions de bien commun et d’éthique dans le monde de la finance, n’est-ce pas créer une économie au service de l’homme ?

 

Source : Le Monde Economie du 20 mars 2012