Le dimanche de l’Épiphanie n’aura pas été sauf, contrairement à ce que nous disions les jours derniers. Les magasins Bricorama ont, contre toute attente, ouvert dimanche malgré la condamnation de justice sous le coup de laquelle ils tombaient. Légalement cette fois-ci en utilisant l’un des cinq dimanches du maire. La chaîne de bricolage n’en continue pas moins son bras de fer avec les syndicats, appuyée désormais par un ministre, Frédéric Lefebvre, véritable idéologue du travail du dimanche, et par de puissants médias. 

À preuve France 2 qui ouvre son journal télévisé sur le défi de l’enseigne deux jours après le rendu de la décision de justice. Laurent Delahousse[1] lance l’affaire Bricorama en titre à la une: « Travailler ou ne pas travailler le dimanche…. Les syndicats et les salariés sont divisés, vous le verrez ». Le sujet ne se fait pas attendre et reprend au bout de quatre minutes de journal, reportage à l’appui.

Présentant « la polémique » qui revient, notre souriant présentateur du dimanche fait la part belle aux délinquants qui ont ouvert illégalement. Deux minutes pleines et pas un mot des faits, à savoir que la condamnation est due à une infraction, que les 30 000 euros ne seront à payer que si les magasins ouvrent à nouveau sans autorisation préfectorale, ce que les magasins Bricorama ont fait jusqu’à présent, comme Leroy-Merlin et Castorama. Les syndicats ne cherchent pas à faire de l’argent.

Pseudo neutralité dérangeante

Pas  un mot donc de la faute grave contre le code du travail qui impose de respecter le principe du repos dominical, pas un mot de l’État à qui incombe d’encadrer la loi et de la faire respecter. Certes une voix off sur diapo schématise à l’extrême la loi d’août 2009 et rappelle que ne sont autorisées à ouvrir le dimanche  que « quelques boutiques » soit celles des « 30 puce[2], ou celles des 614 zones touristiques ». L’indéfini « quelques », la négation restrictive, laissent à penser qu’il n’y aurait là rien de bien méchant. Mais c’est sur fond de photo des Champs-Élysées et de la foule qui y grouille. À ce moment précis, le spectateur averti sent tout à coup la manipulation médiatique, et se souvient du début de la bataille du dimanche, ouverte dès l’élection de Nicolas Sarkozy, les magasins ouverts d’un côté des Champs-Élysées et fermés de l’autre. Argument faux de Jacques Séguéla sévissant sous régime socialiste, repris au mot près par Nicolas Sarkozy. On n’est pas loin de penser que France 2 est bien aux ordres.

À décrypter encore, le choix des interviewés : deux personnes âgées et un syndicaliste CGT. Le sondage CFTC-Famille chrétienne-Radio Notre-Dame n’avait-il pas précisément mis en valeur que le pourcentage le plus élevé des personnes favorables au travail du dimanche étaient les personnes âgées ? France 2 a donc su vers qui se tourner dans son reportage. « Je trouve ça bête » dit la jolie vieille dame, « C’est déplorable cette mentalité ! » renvoie en écho le vieux monsieur jovial pour qualifier l’action des syndicats. Ce qui est bête, aurions-nous envie de leur opposer, c’est le hold-up sur un jour des plus intelligents, sur un jour remarquable de lien social, trésor de joie et de retrouvailles, un jour au visage spécial. Qui a la mentalité la plus déplorable ? Le vieux monsieur anti-syndicaliste primaire qui ne pense qu’à lui, retraité qui a pourtant tous les autres jours de la semaine pour acheter sa plante verte ou son pot de peinture, ou le syndicat défendant bec et ongles ce que l’État brade en sacrifiant tout ce qu’il y a de plus sacré sur l’autel d’une croissance qui fait la bêcheuse ?

Quant à l’unique syndicaliste interrogé, illustrant ces « certains salariés » inquiets pour leur prime mais aussi ces « salariés » divisés – on notera au passage le pluriel qui ne correspond à rien dans le reportage - il n’est guère convaincant, c’est le moins qu’on puisse dire, mal interrogé au fond. La journaliste ne lui a pas demandé à combien s’élevait les primes dépendant de ce salaire du dimanche si attrayant selon lui, ni à quelle hauteur était ce salaire. On aurait été sans doute surpris de la minceur de la réponse !

Le dimanche, c’est universel !

Dans le XVe arrondissement de Paris, un Bricorama donne pourtant l’exemple. Franchisé, le magasin ouvre en continu le samedi mais ferme le dimanche. Deux salariés m’accueillent sur le pas du magasin alors qu’ils s’affairent. Ils expliquent volontiers la politique de dialogue de leur patron. Les salariés ne veulent pas travailler le dimanche et celui-ci en tient compte. L’un de mes deux interlocuteurs me dit : « Moi le dimanche, je m’occupe de ma famille et il n’est absolument pas question que je travaille le dimanche». Le second, un sourire illuminant son visage, rétorque comme une évidence : « Mais le dimanche, c’est universel ! »

Joint par l’AFSP, avocat  des syndicats ayant obtenu gain de cause comme jamais, Maître Lecourt stigmatise un État qui ne fait toujours pas respecter la règlementation qu’il vote. « La loi Mallié devait résoudre les difficultés et surtout rappeler le principe du repos dominical. Dans les faits, les Préfets continuent de donner des dérogations de complaisance, à classer des communes en puce, à accorder des dérogations à des enseignes qui ne peuvent en obtenir, à utiliser les anciennes dérogations lorsqu’elles ne sont pas en puce ou dans les zones commerciales à vocation prétendument touristiques. »

Les bévues de Lefebvre n’auront-elles in fine aucun impact ?

Mettant en cause entre autres Frédéric Lefebvre qui demande aux préfets de lui faire remonter le nom des élus qui n’utilisent pas le système de dérogation, l’avocat s’indigne que « Le ministre oublie de demander aux mêmes préfets de faire respecter les lois de la république, d’obtenir le respect du repos dominical, de faire remonter le nom des enseignes qui violent la loi. » Et de relever le mensonge organisé : « Cela permet à la commission parlementaire qui ne s’est pas déplacée sur le terrain d’affirmer que le travail du dimanche n’a pas explosé à la suite de la Loi.

Concernant ce sujet de société brûlant, la majorité présidentielle a probablement tort de jeter de l’huile sur le feu. Doit-on rappeler que le très talentueux Jean-Frédéric Poisson n’a pas été réélu à Rambouillet à mille voix pour n’avoir pas pu tenir jusqu’au bout l’excellente fronde qu’il avait initiée avec ses amis ? pour n’avoir pas mesuré l’impact culturel, sociétal de ce dossier du repos dominical ? N’y a-t-il pas de surcroît indécence que soit détricotée une avancée civilisationnelle exemplaire par un ministre qui fait systématiquement assaut d’inculture, qui croit que Shanghai est la capitale de la Chine ministre dont le livre de chevet est « Zadig et Voltaire » (sic)?

Ceux qui veulent ouvrir les magasins le dimanche savent bien sûr ce qu’ils font, ne s’y sont pas trompés, et ont décidément bien choisi leur idiot utile !

 

Hélène Bodenez dirige le dossier Oui au repos dominical ! pour l’AFSP membre de l’European Sunday Alliance depuis le 21 juin 2011.

 

La revue Liberté politique , n° 55, hiver 2011, livre le IIIe Rapport sur la doctrine sociale de l’Église dans le monde

Hélène Bodenez y a collaboré avec, Maria-Teresa Compte Grau, Benedetta Cortese, Donata Fontana, Stefano Fontana, Giorgio Mion. — Monde : les Objectifs de développement du Millénaire ; les discriminations à l’égard des chrétiens. Italie : de nouveaux conflits syndicaux. Espagne : démocratie et droits civils sous gouvernement socialiste. France : la bataille du dimanche se poursuit

[1] JT de 20h du dimanche 8 janvier 2012 sur France 2 (curseur 4’04-6)

[2] « Périmètres d'Usage de Consommation Exceptionnel » (PUCE)