Après avoir qualifié Jean Paul II, l'adjectif de conservateur, avec ce qu'il a ringard, d'étroit, de fermé, s'est reporté sur son successeur, parfois grevé d'un coefficient aggravant : "hyper conservateur." Allez faire croire après cela que l'Église est jeune et qu'elle a l'avenir pour elle !

Une fois passé le premier mouvement d'énervement que nous inspire toujours ce genre de réduction de la mission d'un pape aux débats politiques des sociétés (où l'on est toujours classé par rapport au progrès, par définition linéaire, censé se déployer devant nous), il nous faut sans doute prendre la mesure de l'enjeu du tournant de l'après Jean Paul II.

 

Celui-ci avait, en gros, construit son pontificat sur la conjonction d'une fidélité sans faille à la lettre du concile Vatican II (sinon à son prétendu "esprit" dont on sait les ravages qu'il a faits) et d'un effort pour ramener à la continuité de la Tradition catholique les croyants déboussolés. Plus exactement, il avait fait fond sur la possibilité d'une lecture du Concile et de la réforme liturgique dans le sens de cette continuité, ne reniant rien des ouvertures (interreligieuses ou œcuméniques), mais assez sûr de ses bases et de la force spirituelle de l'Église pour ne rien perdre des traits distinctifs du catholicisme.

Cette position a porté des fruits incontestables, même si elle déconcerté, voire troublé plus d'un : la rencontre d'Assise, les déclarations de repentance ont ému toute une frange "droite" de l'opinion catholique, tandis que les rappels doctrinaux (Splendor veritatis, Dies Domini, et surtout Dominus Jesus en 2000), la fermeté de l'enseignement moral, les mises en garde liturgiques alimentaient des polémiques à "gauche". Certains attribuaient ces dernières au conservatisme de la Curie, feignant de distinguer le pape des droits de l'homme et l'enseignement trop traditionnel des bureaux romains, mais l'illusion s'est peu à peu dissipée. Contrairement à ce que certains ont cru, il n'y avait de la part de Jean Paul II aucune duplicité, aucun double langage dans cette position qui pouvait paraître en équilibre, mais qui, pour lui, résultait de sa foi dans la puissance de l'Évangile de dépasser toutes les positions bloquées, les affrontements stériles et les ostracismes peureux.

Certaines avancées impressionnantes lui ont donné raison : le rapprochement avec les othodoxes roumains, le dialogue renoué avec Israël, la résorption de la théologie de la libération en Amérique latine et surtout l'enthousiasme des jeunes, fidèles jusqu'au bout aux rendez-vous fixés au quatre coins de la planète. Mais les échecs ont existé aussi, qui ont assombri la fin de son pontificat : la fermeture de la Russie, les ombres planant à nouveau sur les rapports avec Israël, la fronde non résolue des épiscopats des pays occidentaux sur l'ordination des hommes mariés et sur certaines questions de morale, l'impossibilité de remettre de l'ordre dans la liturgie...

Benoît XVI pourra-t-il continuer exactement la même ligne ? Il en a certainement le désir et, on peut le dire, la puissance intellectuelle. On sait l'évolution qu'il a faite lui-même dans les années de l'après-concile, depuis une position que l'on taxerait de progressiste, vers une orthodoxie rigoureuse, mais ouverte. Nul plus que lui n'est capable d'affronter les problématiques de la modernité, les grandes traditions religieuses, les questions œcuméniques, en sachant ouvrir des voies, repérer les dangers et présenter la Vérité de la foi dans une approche renouvelée. C'est sans doute cette qualité incontestable, perçue par tous, notamment lors des visites ad limina, qui a entraîné le choix du Sacré Collège.

Dans la mesure où la crise de l'Eglise, qui date de loin et certainement pas du concile (lequel fut une tentative pour y répondre), est avant tout une crise intellectuelle, c'est par là qu'il faut prendre le problème. Cantonnés trop longtemps dans une position défensive, les catholiques ont perdu l'aptitude à subvertir les courants de pensée qui les menaçaient, alors qu'il fallait retrouver le fond de vérité présent dans toute aspiration du cœur humain, mais afin de la conduire au Christ.

Il lui faudra néanmoins affronter la réalité d'une Église non remise encore des secousses qu'elle a connues dans l'après 68 et toujours profondément affaiblie dans son obéissance, sa foi, son dynamisme apostolique.

Pourra-t-il garder la position constamment irénique qui fut celle de Jean Paul II, feignant d'ignorer les oppositions et allant de l'avant, sûr de rejoindre le bon peuple catholique dans son intuition spontanée ? Pour le dire brutalement, devra-t-il durcir les choses et menacer de sanctions, ou pourra-t-il continuer à prêcher le vrai en donnant l'impression d'une loi sans gendarme ?

Il lui manque deux atouts qui ont permis à Jean Paul II de réussir : il n'a que peu de temps devant lui (78 ans !), et il ne jouit pas au départ d'un capital de sympathie, desservi qu'il est par la propagande déjà virulente de ses adversaires. Mais il y a le Saint Esprit... et c'est un atout d'un autre ordre.

À nous, en tout cas, de l'aider, dès aujourd'hui, par notre prière, fidèle, constante, filiale...

*Michel Gitton est recteur de la basilique Saint-Quiriace de Provins. Article à paraître dans France catholique du 29 avril (www.france-catholique.fr)

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