L’heure est à la loi des séries. Après Harry Potter, (cf. notre série d’été) le nouveau succès plébiscité par les adolescent(e)s donne toujours dans le fantastique mais dans un genre radicalement différent  :  vampirique. Twilight, les romans puis les films, nouveau phénomène culturel, est si important qu’il en devient prescripteur. On ne compte plus les déclinaisons d’histoires d’amour entre humaine et vampire destinées au jeune public. Pour certains, cette nouvelle série est un conte moderne à mi-chemin entre La Belle et la Bête et Roméo et Juliette. Innocent, voire même moral parce que les héros y pratiquent l’abstinence avant le mariage. Pour d’autres, ces apparences de vertus ne servent qu’à mieux dissimuler une vision biaisée de la réalité. Décryptage d’un phénomène culturel et adolescent.

Du fantastique et de la morale 

Pour juger d’une fiction fantastique, la prudence est de mise. Les apparences y sont souvent trompeuses. C’est même le propre de ce genre littéraire qui connaît aujourd’hui un nouvel essor. Le but de l’auteur n’est autre que de construire un monde enchanteur dans lequel il mêle habilement une histoire  vraisemblable qui renvoie le lecteur à son expérience commune facilitant l’identification et une histoire totalement imaginaire favorisant la projection.

Il convient donc de faire la part des choses. Juger de ce qui est imaginaire selon les critères de l’imagination – qui peut être bonne ou mauvaise, c’est-à-dire élever ou avilir le lecteur – et ce qui est de la vraisemblance à l’aune des critères objectifs de la réalité. Mais plus important encore, il convient de s’intéresser à la dimension morale de l’œuvre, tout particulièrement quand il s’agit d’une œuvre destinée aux adolescents. Nous l’avons déjà vu, la dimension morale d’une  fiction peut avoir un impact très important sur son public[1]. Les conséquences sont particulièrement néfastes lorsque cette fiction véhicule une vision biaisée de l’homme. Vision paradoxalement très difficile à discerner dans le genre fantastique, du fait même de l’enchevêtrement entre vraisemblance et projection irréelle.

Il convient donc d’être particulièrement attentif à ces fictions plébiscitées par les adolescents et de bien encadrer leur lecture en interrogeant les jeunes sur ce qu’ils en retirent pour eux-mêmes. C’est le rôle de tout éducateur confronté à ces fictions et c’est pourquoi libertepolitique.com propose régulièrement des décryptages culturels sur des œuvres destinées à la jeunesse. Nous espérons ainsi aider autant les adolescents que les éducateurs à discerner le bon grain de l’ivraie.

Romance en apparence

De l’avis de beaucoup et particulièrement des jeunes lecteurs, l’histoire de Bella, adolescente contemporaine amoureuse d’un vampire beau comme un dieu, est une simple transposition moderne et fantastique de Roméo et Juliette. Une belle histoire d’amour qui ne prête pas à conséquence. À ce titre, cette fiction est propre à faire rêver toutes les jeunes filles et rejoint une longue tradition de littérature sentimentale destinée aux adolescents.

Bella est une jeune fille bien de notre époque. Ses parents sont divorcés et elle quitte le domicile de sa mère immature pour s’installer chez son père, bon mais un peu ours. Elle rencontre dans cette nouvelle ville un jeune homme très beau au comportement très étrange. Rapidement, elle devine qu’Edward, ce mystérieux adolescent qui l’attire irrésistiblement est un vampire. Loin de la rebuter, cette découverte l’attire. D’autant plus qu’Edward appartient à un clan qui se nourrit exclusivement d’animaux. Bella ne risque donc rien ; quoiqu’Edward et ses « frères et sœurs » aient encore quelques pulsions meurtrières de temps en temps. Rapidement, Bella et Edward tombent amoureux. Mais les vampires ne sont pas faits pour vivre avec des humains et la vie de Bella est constamment en danger auprès de celui qu’elle aime.

Ce roman met donc en scène un amour impossible comme des milliers d’adolescentes les aiment. Pourtant à y regarder de près, cet « amour rêvé » semble très paradoxal, voire ambigu. En tant qu’éducateur, on peu légitimement s’interroger sur ce que ces livres apprennent aux jeunes dans le domaine sentimental.

Amour et liberté

Certains ont rapidement avancé que Twilight était une série inoffensive qui défendait la bonne morale chrétienne parce qu’il s’agissait d’un roman encourageant l’abstinence avant le mariage. Une pratique aujourd’hui désuète d’ailleurs présentée comme telle par le personnage incarnant la modernité dans le roman : Bella. En effet, contre l’avis de Bella, Edward souhaite attendre le mariage avant de s’unir sexuellement avec elle. Une religieuse dominicaine du Saint-Esprit qui a étudié le phénomène Twilight met cependant en garde contre ce jugement hâtif : « les raisons invoquées par Edward pour s'abstenir d'une relation sexuelle avant le mariage, sont minimales. Et comme Bella n'y souscrit pas, on ne peut pas dire que tout cela soit très convaincant pour donner aux lecteurs de Twilight, en Bella et Edward, un modèle à suivre en matière de sexualité. »

En revanche, à examiner de près les sentiments qui unissent les deux personnages, on en vient rapidement à douter qu’il s’agisse réellement d’amour ! Bella se décrit sans cesse comme hypnotisée par Edward, au point qu’il devient son obsession. Au tome 2 (Tentation), alors qu’Edward quitte Bella pour ne plus la mettre en danger, c’est elle qui se met dans des situations extrêmement périlleuses. Elle préfère mourir plutôt que d’être séparée de celui qu’elle aime. Pour Edward, il n’en va pas autrement. Il tente de résister à Bella mais le lecteur découvre rapidement, alors qu’il avance dans l’intrigue, que le sang de Bella est particulièrement appétissant pour Edward. Ils sont donc comme piégés l’un par l’autre et ne peuvent se séparer.

Ce constat dérangeant implique donc que cette romance est tout sauf une histoire d’amour au sens vrai du terme. Car Bella comme Edward sont dépossédés de leur liberté. Ils ne se choisissent pas réellement. Et si l’on considère que l’abstinence avant le mariage est recommandée pour garantir aux époux la liberté de se choisir, alors l’argument précédent en faveur de Twilight tombe de lui-même.

À ce propos, notre dominicaine, habituée à échanger avec de jeunes twilightophiles, remarque : « On nous objectera que “c'est ça l'amour fou” ; mais est-ce un modèle à donner aux enfants ? Est-ce cela, une vie réussie ? À cet égard, une réflexion approfondie est nécessaire avec nos adolescents pour les aider à se dégager (et peut-être nous-mêmes aussi) de ce vieux mythe si occidental (et si Français) de l'amour fou comme valeur absolue. C'est l'amour vrai, pas l'amour fou, qui est profond et comblant... Or l'amour vrai ne souffre pas l'étrange, le glauque, le bizarre. »

Une histoire de désir plus qu’une romance

Pas d’amour sans liberté ! Twilight ne parlerait donc pas d’amour contrairement à ce qu’on aurait pu croire. Si on s’en tient strictement à sa définition classique : « Aimer, c’est vouloir le bien de l’autre ». Bella et Edward en sont assez loin. Non pas qu’ils se veuillent du mal mais ils s’en font de fait ; et aucun ne se sacrifie ou ne se renonce et moins encore ne se donne pour le bonheur de l’autre.

Les protagonistes de ce roman ne s’aiment donc pas d’un amour vrai. Ils vivent une passion qui les consume. Ils se désirent ardemment et ne vont pas au-delà d’une forme de narcissisme à deux. Au lieu de transformer leur passion en amour vrai, ils l’entretiennent et vivent comme à la surface d’eux-mêmes. Au niveau du ressenti. Certes, une telle relation parle à des adolescentes. Elle rejoint leur expérience intime. L’adolescence est l’âge de la formation du désir ? Mais précisément, en termes de formation, le couple Bella-Edward n’a pas valeur d’exemple, au contraire.

« Et alors ? » nous répliquera-t-on. « Soit, il ne s’agit pas d’amour mais de désir. Faut-il condamner l’œuvre pour autant ? » Le désir, bien sûr, n’est pas condamnable en soi. En revanche, un désir qui n’élève pas et ne conduit pas à l’amour doit-il être entretenu ? Faut-il le donner en exemple à des enfants ?

Car Twilight décrit (pour les livres) et met en scène (pour les films) un désir qui relève plus d’eros, l’amour de captation que d’agapè l’amour de don.  Cette romance, sous ses airs « fleur bleue », introduit dans la tête et le cœur du lecteur, par le biais de l'imagination, l’impression que l’amour idéal est un amour narcissique, fusionnel et… finalement plus sensible qu’authentiquement humain. La fascination (ce n’est pas un hasard si c’est le titre du premier tome) qu’exerce Edward sur Bella, le rapprochement entre tension sexuelle et soif de sang, la violence du désir décrit, la thématique du vampire en elle-même, tout concourt à convaincre que l’amour peut aller de pair avec une certaine forme de bestialité dans la mesure où les animaux ne sont pas non plus dépourvus de sentiments même s’ils n’accèdent pas à la réalité spirituelle de l’autre.

Un sophisme qui induit le lecteur en erreur. Car s’il y a de l’animal dans l’homme, il n’y a pas d’homme dans l’animal, comme le titrait un livre récent. Cette sentimentalité, si elle n’est pas ouverte ni même ordonnée à une autre dimension plus spirituelle est incompatible avec l’amour. L’amour grandit par un long travail et de notre raison et de notre volonté, bien plus que sous la pression de nos pulsions. « L'amour vrai ne souffre pas l'étrange, le glauque, le bizarre » rappelle la religieuse que nous avons interrogée. Et ici, c’est l’héroïsme de notre vampire qui dupe tout le monde. Par son ascèse, il rend possible un amour qui contrarie sa nature et celle de Bella. Dans la littérature jeunesse, l’héroïsme a toujours bonne presse. Mais ne nous y trompons pas, celui d’Edward fait violence à la vraie nature de l’homme et de l’amour et, en définitive, il « dénature » les sentiments qui l’unissent à Bella. Ne reste au final qu’un désir bestial (manifeste lors de la « lune de miel » des jeunes époux au tome 4 récemment adapté au cinéma) et une passion violente dissimulés sous des pages et des pages (2500 environ au total) de romantisme un peu mièvre et d’apparente vertu. La Rochefoucauld écrivait que l’hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu. Twilight, cette histoire post moderne de Roméo et Juliette, n’est-il pas un hommage que la vertu rend au vice ?

 

A suivre...

 

Article rédigé avec l’aimable collaboration d’une religieuse dominicaine du Saint-Esprit.

[1] Cf. notre série d’été : Harry Potter et l’au-delà de la fiction :