Le 2e Sommet de la Terre vient de s'ouvrir à Johannesburg, dix ans après le sommet de Rio. Soixante-mille personnes, dont une centaine de chefs d'État et de gouvernement, sont attendues.

Il ne fait plus de doute : il y a bien une prise de conscience mondiale des menaces qui pèsent sur la nature, et par conséquent sur l'humanité. Déjà, idéologies et réalités s'affrontent : les commentateurs pointent le spectre terrible de " l'échec " possible du Sommet. Qu'en sortira-t-il ? Le " développement durable " a-t-il de l'avenir ? Derrière les résolutions attendues, il faut saisir les enjeux. Le dernier numéro de la revue Liberté politique analyse les effets du phénomène " écologiste ", cette nébuleuse idéologique et quasi religieuse pour certains, où le meilleur côtoie souvent le pire.

Jamais l'activité humaine n'a été aussi préjudiciable à son environnement. Le progrès technologique, censé améliorer la qualité de vie des hommes sur Terre, semble se retourner contre son maître. Vivre dans les mégalopoles, traverser les forêts, s'approcher des grands fleuves du monde, sont autant d'expériences qui semblent donner raison à tous les romans et tous les films d'anticipation d'après guerre (Boule, Barjavel, Fleisher, Scott). Demain sera pire qu'aujourd'hui. Le bruit, la pollution de l'air, de la terre et des eaux, la déforestation et la désertification, le réchauffement du climat, les pluies d'acides... la liste est longue des symptômes du mal qui ronge la nature.

Ils n'étaient encore qu'une minorité il y a une quarantaine d'années, ces écrivains précurseurs (Dumont), à attirer l'attention sur les dérives dangereuses pour l'environnement de la société industrielle et de consommation ; aujourd'hui, presque tout le monde reconnaît la gravité du problème. Deux événements pour en témoigner : l'un vient de se produire en juin, l'autre se déroulera à la fin du mois d'août.

Le 10 juin dernier, le pape Jean Paul II et le patriarche Bartholomaios Ier (patriarche de Constantinople) ont signé ensemble une déclaration pour la sauvegarde de l'environnement. Le texte, d'une gravité et d'une force exceptionnelles invite les Églises, les responsables publics et les fidèles à s'engager résolument dans la sauvegarde de l'environnement en proposant six résolutions : " Il n'est pas trop tard " pour sauver le monde d'un désastre écologique.

Cela dit, la prise de conscience ne cesse pas d'être ambiguë, avec l'émergence, dans son sillage, d'une nouvelle idéologie : l'écologisme.

Fin des idéologies ou nouvelles idéologies ?

On a dit tellement vite que la défaite du système communiste mettait fin aux idéologies que les nouvelles modes intellectuelles sont toutes passées pour des progrès de la raison. Ainsi, à la manière du Nouvel Age pour le religieux, l'écologisme est en train de devenir un système de référence aux contours inoffensifs, mais particulièrement impérieux. Il étend sa toile sur le monde de la pensée, réussissant le tour de force de toucher et de séduire une population par ailleurs très éclatée. Comme pour le Nouvel Age, la difficulté d'étudier et de rendre compte de cette nouvelle idéologie — appelons-la bien ainsi — tient à sa porosité et son flou doctrinal.

À son propos, on peut parler d'esprit, de sensibilité, de sentiment écologique qu'il convient pour autant de ranger en constellations. Divisée entre pratiques (scientifique, politique, philosophique, artistique, religieuse), subdivisée en courants (environnementaliste, humaniste, utilitariste, deep ecology, chrétien) qui eux-mêmes sont composés de chapelles, de familles, de sensibilités diverses, parfois contradictoires, l'écologie contemporaine n'est pas simple à saisir d'un trait ou d'un mot.

Dans ce kaléidoscope, quelques constantes cependant. D'abord, une inquiétude commune. Nous l'avons vu : la nature, la Terre, la biodiversité sont menacées par l'homme. Ensuite, un même désir de trouver des solutions. Et là encore, on se perd dans le labyrinthe des réponses puisqu'il s'agit de trouver des solutions techniques, mais aussi morales, philosophiques, spirituelles et religieuses.

Cette profusion procède de deux définitions originelles. Celle de l'homme. Être de nature ou de culture ? élément d'un tout ou être à part ? Celle du sens de l'existence : la vie est-elle un don ou une simple donnée ? s'agit-il de trouver un équilibre, une fusion, un détachement avec le monde ? C'est pourquoi l'on peut dire avec P. Beyer, que les problèmes soulevés par l'écologie sont " quasiment religieux " parce qu'ils ont à voir avec les conditions ultimes de la vie humaine.

Une dernière remarque. La prise en compte des problèmes soulevés par l'état de la Terre s'associe bien souvent à une mise en accusation sans complaisance de la culture occidentale. L'éventail du réquisitoire est là aussi d'une belle amplitude. Les plus modérés souhaitent une limitation et une réduction des activités jugées anti-écologiques, les plus extrémistes en appellent à un changement de paradigme culturel : déconstruire l'anthropocentrisme occidental pour construire un bio-centrisme universel.

Liberté politique s'interroge sur la portée de cette nouvelle idéologie aux multiples facettes. Aux confins du culturel, du scientifique, du moral et du politique, l'écologisme décline le rapport homme-nature dans une relation quasi sacrée qui dénature le sens religieux lui-même (Frédéric Bléhaut). C'est ainsi qu'au nom de l'homme, l'écologie développe souvent une tradition anti-humaniste qui se révèle, dans son expression la plus radicale, une véritable anthropophobie. L'hédonisme vert en est le courant le plus large, le plus séduisant, qui attire le néophyte vers un nouvel existentialisme, aux portes de l'abîme de la deep écology (Laurent Larcher).

Pour sortir de l'impasse, il convient de revenir à une juste anthropologie : animal raisonnable, quelle relation l'homme doit-il entretenir avec l'animal non raisonnable (Pascal Ide) ? Et au quotidien, dans l'industrie par exemple, comment la raison humaine appréhende-t-elle la domination de son pouvoir sur la transformation de la nature (Guillaume de Lacoste) ?

Liberté politique poursuivra ultérieurement son enquête en s'interrogeant davantage sur la dimension politique de l'écologie : malgré ses ravages et ses abominations, la haine de l'homme n'a jamais résisté longtemps à l'appel de la vie.

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