Source [Le Salon Beige] Dans Valeurs Actuelles, le père Danziec se pose la question…
Pour une dernière ligne droite, elle s’annonce des plus sinueuses. La météorite Zemmour bouleverse depuis quelques semaines l’atmosphère politique. Les lois de la relativité sondagière divisent la communauté démocratique et interrogent les observateurs attentifs. Comme il semble remonter à une autre époque ce mois de mai 2017, conclusif d’une campagne et d’une élection présidentielles non ordinaires – épisodes à répétition de l’affaire Fillon, Marine Le Pen pour la première fois au second tour, l’extrême gauche à plus de 20%, un jeune homme élu qui promettait une présidence jupitérienne pour finalement, dans les faits, lui préférer celle d’un Janus habité par le “en même temps”. Depuis, 54 mois ont passé. A regarder dans le rétroviseur, le spectacle déplorable est à la mesure de la désillusion. Du délitement au déclinisme, des Gilets jaunes aux anti-passe, de la fête de la musique à la sauce DJ Kyle à l’entretien élyséen en mode Mc Fly et Carlito, de Samuel Paty au Père Olivier Maire, le Français ne se demande pas tant si la route vaut la peine d’être poursuivie, il s’interroge plus gravement : à quoi bon avancer ?
Tout recoller parce que tout a été détruit
Le simple fait que la politique n’intéresse plus la majorité de nos contemporains devrait nous effrayer. « Qui méprise les choses de la cité, ne mérite pas d’être appelé homme », affirmait sans ambages Aristote. S’il s’éclate dans les quartiers, l’ensauvagement a fait son berceau dans ce mépris des choses de la cité. En introduction à l’ouvrage collectif Eloge de la Politique (Tallandier), Vincent Trémolet de Villers dressait, avec sa plume alerte, l’état des lieux du marasme politique et relevait les défis à venir : « Ce dialogue qui traverse le temps, les espaces, les peuples. Cette longue phrase où se répondent le père et le fils, la guerre et la paix, l’amour, l’amitié, les amis, les bêtes, les rivières et les arbres, les mers et les étoiles, la sève et les tombeaux. La cité. Tout cela subsiste mais les liens se distendent. Les morceaux du miroir brillent sur le sol mais leur reflet est fragile : il faudra tout recoller. »
Oui, il faudra tout recoller. Tout recoller parce que tout a été déconstruit. Redonner du sens. Rétablir les repères. Remettre de l’ordre. Répéter les principes. Restituer l’autorité. Et il faut reconnaître à Éric Zemmour le mérite de rendre à beaucoup le goût de la reconstruction. Les salles pleines de sa tournée « la croisée des chemins », la jeunesse qui les compose ou encore les 3,8 millions de téléspectateurs de son débat avec Mélenchon sémaphorisent avec précision le grand vide que son discours sans fard comble. Tenter de comprendre la ligne zemmourienne, invite d’abord à distinguer, admettre et saisir une inquiétude souterraine : nos contemporains se savent-ils liés au devenir de la cité dont ils sont membres ? Éric Zemmour chante une cité merveilleuse et unique, à la géographie incroyable et à l’Histoire formidable. Mais il observe aussi ces « liens qui se distendent » évoqués plus haut. Il voit dans la France une cité en péril. Une cité autrefois façonnée par les croix et les lys, présentement déboussolée dans sa matrice, bousculée dans son identité et donc angoissée par son devenir.
Ordre, force et identité : trinité salvatrice en politique
Fort de tout cela, une question commence à se poser dans mon univers. Un baptisé peut-il, en conscience, se laisser séduire par le discours tranchant de Zemmour et les remèdes choc qu’il laisse entendre ? Un catholique, ou un chrétien au sens large, pourrait-il voter pour l’auteur de La France n’a pas dit son dernier mot ? Dit autrement : le projet Zemmour est-il conforme à l’Evangile ? Pour Gaultier Bès, directeur-adjoint de la revue Limite et figure des Veilleurs lyonnais à l’occasion du mouvement de La Manif pour tous, la réponse est clairement non. Pour lui, l’enseignement du Christ devrait nous dissuader de suivre le polémiste le plus célèbre de l’hexagone. Et de motiver, sur twitter, ses réserves : « L’ordre, la force, l’identité ne sont au mieux que des moyens : la seule finalité, pour un chrétien, c’est la communion ». En tant qu’écologiste et décroissant, il déclare se sentir plus en phase avec le discours d’un Jadot qu’avec celui d’un Zemmour.
Je peine pour ma part à comprendre le raisonnement. La seule finalité pour le chrétien est certes la communion, mais il ne s’agit pas de n’importe laquelle : cette communion porte un nom et s’appelle la béatitude, c’est-à-dire la communion avec son Créateur dans l’éternité bienheureuse du Ciel. Or, justement, l’ordre, la force, l’identité ne participent-ils pas de ces moyens, justifiés et nécessaires, pour bâtir des espaces de paix et de sociabilité propres à aider l’homme à atteindre sa fin ? A l’école thomiste, nous savons que le propre du sage est d’ordonner et que la paix s’entend comme la tranquillité de l’ordre. Quant à la vertu de force, aux antipodes de la brutalité ou de l’orgueil des idées, elle permet d’entreprendre et d’endurer. La force évacue la crainte et chasse le découragement. Y recourir lorsqu’il y a du pain sur la planche relève moins du possible que de l’impérieux.
L’identité enfin, en éclairant d’où l’on vient, invite à s’interroger sur où l’on va. Elle constitue, pour reprendre des mots de Gustave Thibon, ce cadre organique, protecteur et civilisateur, où s’opère la merveilleuse alchimie qui préside à la fois à la transmission des valeurs ancestrales et à la remise en cause des habitudes obsolètes. Le principe même d’une civilisation en essor. L’environnement, le cadre, l’époque dans lesquels la Providence nous a fait naître nous appellent à la sublimer et, au besoin, à la corriger. Non comme des révolutionnaires prétentieux, mais tels des débiteurs modestes qui savent qu’ils ont davantage reçu qu’ils ne sauraient donner. Si Zemmour s’attache à redonner leur lettre de noblesse aux notions d’ordre, de force et d’identité, on ne voit vraiment pas pourquoi un catholique ne pourrait pas s’en réjouir. Et, s’il le souhaite, embrasser sa cause.
« Vouloir détruire immédiatement toute injustice c’est déchaîner des injustices pires. » Père Calmel
Quand l’éthique s’intéresse à l’agir humain individuel, le politique se préoccupe de l’agir humain communautaire. La difficulté de l’organisation optimale de la cité provient principalement du fait que notre intelligence n’aime pas ce qui est contingent car elle se complaît dans l’universel. Or, parce qu’elle porte sur du contingent et non sur du nécessaire, la politique, selon la formule consacrée de Gambetta, se définit comme « l’art du possible ». Un art qui ne cherche pas autre chose que d’aider l’homme à trouver et composer les moyens très communs pour vivre en société. Impossible d’échafauder absolument une société qui soit à l’image de ses voeux. Le social reste par nature le décevant et le domaine du moindre mal.
Mais s’il n’est pas envisageable de construire le Paradis sur la terre, c’est déjà beaucoup que d’empêcher l’enfer de redéborder. Comme le faisait remarquer le Père Calmel : « Celui qui veut, dans la société civile, non seulement la justice, mais toute la justice et tout de suite, celui-là n’a pas le sens politique. Il ne comprend pas que la vie de la cité se développe dans le temps et qu’une certaine durée est indispensable pour corriger et améliorer ; surtout il ne comprend pas l’inévitable intrication de bien et de mal à laquelle, de fait, la cité humaine se trouve condamnée, depuis le bannissement définitif du Paradis de justice et d’allégresse. Vouloir détruire immédiatement toute injustice c’est déchaîner des injustices pires. »
Qui veut la fin, doit donc vouloir les (bons) moyens. Chaque jour qui passe, notre monde se réveille de moins en moins humain, la tête défaite. Pourquoi donc ? Parce que depuis plus de deux siècles, il se veut de moins en moins chrétien. En 1941 déjà, le pape Pie XII ne manquait pas de rappeler l’évidence : « De la forme donnée à la société conforme ou non aux lois divines, dépend et découle le bien ou le mal des âmes. » Rien n’interdit de penser, parmi les différents projets sur la table, que celui de Zemmour soit le plus profitable au Bien Commun. Ou le moins imparfait. A bon entendeur.
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