Captain America

A mesure que nous nous immergeons dans le genre des super-héros, la dimension politique de ce courant culturel s'impose à nous tant sur le plan historique que par rapport à la définition même d'un super-héros. Ne s'agit-il là que d'un hasard ou bien cette constante est-elle assumée par les auteurs eux-même dans les histoires qu'il crée ? Qu'est-ce que la politique chez les super-héros et comment vivent-ils cet engagement ?

Les super-héros ont désormais leur genre. Et s’ils rencontrent autant de succès, c’est peut-être parce qu’ils parlent à nos concitoyens de salut dans une forme qu’ils entendent et comprennent [1]. Le genre des super-héros semble plus spirituel qu’il n’y paraît. Pour autant, dans les fictions modernes qui les mettent en scène, quelle forme prend ce salut que nous proposent les super-héros ? 

Nous l’avons vu à travers l’histoire du genre [2], la fiction de super-héros a toujours été liée à la politique. Notamment parce que ces hisoires s’incarnent dans une société que les auteurs veulent la plus réelle possible. D’après Jean-Marc Lainé, coauteur de Nos années Strange 1970/1996 (Flammarion), le succès du genre s’expliquerait aussi en partie parce que malgré la dimension évidemment surnaturelle de ces univers (super-pouvoirs, super-vilains, etc…), les fictions développent presque toujours des questions éminemment humaines : « La véritable question posée par les super-héros dans leurs aventures, c’est qu’est-ce que peut faire un homme seul ? » analyse-t-il.

Réflexion politique et mise en abîme

Dès les débuts du genre, on trouve dans les aventures des super-héros une réflexion politique. Elle commence dès les premières histoires du genre, à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, avec par exemple un épisode peu connu du Spirit (2 juin 1940, dans la « Spirit Section », de Will Eisner), qui met en scène le doute politique d’Hitler. Dans cette histoire (hybride entre le comic book -magazine BD- et le comic strip – bande dessinée de journal) le héros privilégie le dialogue à la confrontation physique. Il parvient ainsi par son discours à ramener Hitler sur une voie plus raisonnable. Les méchants nazis se chargeront alors de remplacer ce Hitler devenu humaniste par un sosie plus conforme à la doctrine du national-socialisme…

Au-delà du caractère fictif de cette histoire, on voit poindre l’une des caractéristiques du genre des super-héros : la capacité d’une mise en abîme permettant la réflexion permanente sur la place qu’occupent les super-héros sur la scène politique. En confondant notre réalité et leur fiction, les super-héros mènent des réflexions qui valent autant pour le lecteur que pour les personnages fictifs. Captain America par exemple, s’interroge sur les élections à l’occasion d’un épisode de sa série. Devrait-il ou non se présenter aux élections présidentielles ? Il finit par conclure que sa candidature serait néfaste à la démocratie car il serait certain d’être élu et détruirait ainsi toute forme de débat d’idée au sein du pays. Si dans notre réalité, il y a peu de chance qu’un jour un super-héros se présente à nos suffrages, cet exemple manifeste cependant l’importance du débat démocratique dans nos sociétés et son lien avec les échéances électorales. Alors que Captain America imposerait ses décisions par la force physique ou son charisme, l’homme politique de notre temps doit convaincre avec ses idées en étant confronté sans cesse à celles de ses opposants. Captain America esquisse ainsi à sa manière les principes de l’éthique de la discussion pensée par Habermas.

L’homme et ses héros : deux formes d’engagement politique des super-héros

Les super-héros incarnent l’engagement politique en deux sens. Le premier (le plus évident) est national. Leurs aventures les mènent aux quatre coins du monde où ils représentent (presque toujours) les intérêts des Etats-Unis. C’est la dimension géopolitique du genre, très centrée sur une image des Etats-Unis sublimée comme police du monde.

L’autre sens de l’engagement des super-héros est plus personnel, plus proche de celui du commun des mortel. Il ne s’agit pas ici d’incarner les intérêts des super-puissances mais davantage l’impact que peut avoir un homme seul sur la politique d’un pays, ou tout du moins sur le cours des choses. Cette réflexion, beaucoup moins simpliste et manichéenne que la dimension géopolitique, est notamment le lieu d’expression des préoccupations sociales des auteurs de ces bandes dessinées. De ce point de vue, les premières aventures de Superman sont beaucoup plus proches de l’idéologie communiste que du capitalisme américain. Il incarne alors la politique de la main tendue et de la solidarité. « D’une certaine manière, les super-héros sont les premiers indignés des Etats-Unis » confie Jean-Marc Lainé à propos de cet engagement politique des comics books

Cet engagement politique plus personnel des super-héros ira en grandissant au fur et à mesure que le genre se développera, notamment à cause de la méfiance des élites qui s’installe aux Etats-Unis dans les années 70. Les super-héros – qui incarneront dans ces fictions une alternative si ce n’est vertueuse, au moins idéale et franche à l’élite corrompue de l’époque – vont développer de nouvelles thématiques dans leur réflexion politique. C’est par exemple le cas d’une mini-série récente : Civil war (2006) qui brode sur le thème de la résistance à la loi inique. Une autre, datant de 2000, The Authority (DC Comics, label Wildstorm, de Warren Ellis et Bryan Hitch), s’intéresse à la politique internationale dénonçant ses liens avec la finance qui limitent sa liberté d’action.

La vocation du héros en l’homme

Une autre série de super-héros dont on a encore peu parlé incarne une réflexion politique forte de ce point de vue : les X-Men (septembre 1963, Marvel, de Stan Lee et Jack Kirby). Ces super-héros professeurs d’une école pour surdoués mutants, incarnent la volonté de transformer la société de l’intérieur et de manière diffuse. Deux visions de l’engagement politique s’y affrontent : l’engagement armé et l’engagement professionnel. Mais n’attendons pas de ces histoires qu’elles nous donnent une solution. Le genre n’est pas si simpliste. Tout comme il y a une multitude de vocations dans le monde, selon les situations ce seront les uns ou les autres qui auront le dessus.

En tout état de cause, c’est peut-être au fond derrière ce dernier mot que se cache la réelle réflexion politique des super-héros : vocation. N’est pas héros qui le veut. Être doté de super-pouvoirs ne fait pas tout ! Quelle que soit l’histoire sur laquelle on se penche, le constat est toujours le même : c’est l’homme qui fait le héros ! Au fond, c’est une question de vocation. Une vocation certes fictive mais qui incite le lecteur à s’interroger sur lui-même, sur son rôle dans son environnement, sur son engagement et ses valeurs. Et si c’était ça le véritable point de départ de la politique ?

 

Voir également :

[1] Pour mieux comprendre, voir Super-héros 2/3 : les crises et leur héros

[2] Pour un historique du genre, voir Super-héros (1/3) : histoire d'un genre.