Les soins palliatifs trouvent leur origine dans l'aveu d'impuissance de la médecine à guérir, du consentement à la finitude humaine, de l'humilité devant le tragique de la mort. Mais cette impuissance acceptée et assumée est la condition d'une nouvelle puissance, celle d'offrir à la fin de la vie de la personne souffrante le réconfort d'un accompagnement médical compétent et humain.

Parmi les sept patients que le docteur Bonnemaison aurait euthanasiés par piqûre létale entre avril et août 2011, plusieurs auraient été dans l'attente d'une place dans une structure de soins palliatifs[1]. Certains ont ainsi tenté de disculper l'urgentiste de l'hôpital de Bayonne en faisant valoir le retard qu'accuse la France en matière d'offre de soins palliatifs. Plutôt que de les laisser agoniser dans une chambre par manque de place dans une unité adéquate, le docteur Bonnemaison aurait agi par compassion en abrégeant les souffrances des malades dont il avait la charge. Même s'il est vrai qu'il reste beaucoup à faire en matière de diffusion de soins palliatifs dans notre pays, cette lecture sommaire des événements nous apparaît faussée.

Tout ce qui reste à faire quand il n'y a plus rien à faire

Pionnière des soins palliatifs et fondatrice en 1967 de la première unité telle qu'on l'entend aujourd'hui au Saint Christopher's Hospice de Londres, Cicely Saunders les définit comme  tout ce qui reste à faire quand il n'y a plus rien à faire . Les moyens employés doivent non seulement permettre de contrôler les symptômes douloureux mais également de prendre en charge la souffrance totale de la personne ( total pain ). L'Organisation mondiale de la santé validera ce concept originel dans sa célèbre définition de 1990 :  les soins palliatifs sont des soins actifs, complets, donnés aux malades dont l'affection ne répond plus au traitement curatif. La lutte contre la douleur et les autres symptômes ainsi que la prise en considération des problèmes psychologiques, sociaux, spirituels, sont primordiaux. Ils ne hâtent ni ne retardent le décès. Leur but est de préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu'à la mort . En remplaçant des traitements curatifs devenus inutiles, inefficaces et disproportionnés, les soins palliatifs s'inscrivent dans la continuité de l'acte médical.

Un droit individuel aux soins palliatifs

La France mettra du temps à s'y intéresser puis à les adopter culturellement, mais on peut dire aujourd'hui que l'impulsion est largement donnée. Sur le plan législatif, la loi du 9 juin 1999 a marqué un tournant incontestable en disposant que  toute personne malade qui le requiert a le droit d'accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement  (article L. 1110-9 du Code de la santé publique). Pour le Conseil d'Etat qui s'est penché récemment sur le sens de cette modification du code de la santé publique, cet article crée un  droit individuel aux soins palliatifs  qui peut être mis en œuvre selon les voies du droit commun[2]. En particulier, l'abstention de recourir à des soins palliatifs à l'égard d'une personne en fin de vie et en situation de souffrance constitue une faute de l'établissement susceptible d'engager sa responsabilité au plan indemnitaire[3].

La loi Leonetti va confirmer cette logique en faisant directement le lien entre accès aux soins palliatifs et respect de la dignité du malade. Lorsqu'est prise la décision de limiter ou arrêter des traitements devenus inadéquats parce que faisant courir un risque d'acharnement thérapeutique au malade, il appartient désormais au médecin de sauvegarder la dignité du mourant et d'assurer la qualité de sa vie en mettant en place, si nécessaire, les soins palliatifs requis. La loi du 22 avril 2005 insiste d'ailleurs sur la nécessité d'engager une véritable politique de développement des soins palliatifs, même en dehors des structures classiques de l'hôpital, en obligeant par exemple les établissements d'hébergement pour personnes âgées indépendantes (EHPAD) de prévoir dans leur projet médical un volet  activité palliative .

En la matière, la législation française a fait preuve de clairvoyance en devançant les recommandations de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe qui, dans sa résolution du 28 janvier 2009, fait de la promotion des soins palliatifs à l'échelon européen  un modèle innovant de politique sanitaire dont le droit d'accès devrait être reconnu dans tous les Etats membres [4].

Poursuivre les efforts

Contrairement à ce qui est parfois rapporté, la valorisation de la médecine palliative dans notre pays est une réalité qui prend forme. Le programme national 2008-2012 de développement des soins palliatifs promu par le président de la république a incontestablement instauré un cercle vertueux. Il existe une volonté politique, forte et constante dont les fruits se font sentir sur le terrain ainsi que le note l'Inspection générale des affaires sociales :  Les réussites de cette politique sont nombreuses : beaucoup de malades ont, grâce aux unités de soins palliatifs, pu mourir dignement, entourés de leur famille ; la culture palliative a considérablement influencé les actes personnels hospitaliers, beaucoup d'infirmiers ont été formés, la douleur a reculé et les antalgiques ont été de mieux en mieux employés, des réflexions sont partout en chantier [5].

S'il reste beaucoup à faire, notamment pour résorber les inégalités territoriales régionales ou intrarégionales, le maillage du territoire national commence à se resserrer. Le choix propre à la France de combiner différentes structures novatrices (unités fixes de soins palliatifs, équipes mobiles, lits dédiés, hospitalisation à domicile,...), explique que la diffusion de la  culture palliative  dans le monde soignant est bien une réalité, même s'il faut se garder de tout triomphalisme. Le Collectif Plus Digne la Vie montre, chiffres à l'appui, que la France se situe plutôt dans la moyenne supérieure en termes d'offre.  Elle y consacre 10 euros par habitant contre 6 en Belgique, ce qui montre que les pays ayant légalisé l'euthanasie ont fait le choix de limiter leur offre en soins palliatifs [6].

Le devoir de se former

Quand bien même le docteur Bonnemaison ne trouvait pas de place d'hospitalisation au sein d'une unité spécifique permettant de dispenser des soins palliatifs, il lui était toujours possible de demander conseil à des confrères d'une équipe spécialisée, ne serait-ce que par téléphone. Les équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) ont justement pour mission d'apporter une aide, un soutien, une écoute active et des conseils aux soignants qui traitent des patients en fin de vie dans leurs propres services (cardiologie, gastro-entérologie, pneumologie, urgences,...). Outre la prise en charge de la douleur et des autres symptômes, elles assurent l'accompagnement psychologique et psychosocial du malade et son entourage et s'occupent, quand c'est possible, du retour et du maintien à domicile.

En France, les soins palliatifs ont toujours été considérés comme une exigence morale qui pousse le professionnel de santé à répondre activement et sans condition à l'appel de celui qui souffre et demande de l'aide. Mais s'ils ont depuis leur origine été vus comme l'expression active d'une forme éminente de la sollicitude pour autrui, leurs promoteurs ont toujours revendiqué la nécessité d'un agir soignant compétent qui ne s'improvise pas. La multiplication des diplômes universitaires ouverts à tous les professionnels de santé en témoigne. Le Conseil d'Etat a demandé dans son dernier rapport sur la bioéthique de passer à la vitesse supérieure en faisant de cette branche de la médecine une discipline universitaire à part entière. Les pouvoirs publics se sont engagés à créer à l'avenir une chaire de soins palliatifs par faculté de médecine. Les premières devraient être mises en place dans les prochains mois.

Un enjeu de civilisation

Il faut donc le dire et le redire, aujourd'hui il est possible d'agir pour soulager la douleur (avoir mal) et la souffrance (être mal), soit en se formant soi-même, soit en faisant appel aux compétences éprouvées d'équipes spécialisées comme les équipes mobiles de soins palliatifs, soit en transférant son patient dans une structure adaptée comme une unité de soins palliatifs.

Légaliser l'euthanasie reviendrait à ruiner tous les efforts consentis ces dernières années pour développer une médecine novatrice dont la mission est d'offrir aux personnes en fin de vie un accompagnement pleinement humain et techniquement compétent. Refusant tout à la fois l'acharnement thérapeutique et la précipitation délibérée de la mort, les soins palliatifs engagent notre société en général, et les professionnels de santé en particulier, à un sens élevé de nos obligations morales à l'égard des plus vulnérables. La France ne doit pas se laisser détourner de cet idéal.

 

 

[1] Le Figaro.fr du 12 août 2011 et La Vie.fr du 12 août 2011.

[2] Conseil d'Etat, La révision des lois de bioéthique, La documentation française, 2009, p. 111.

[3] Cf. en ce sens l'arrêt du 13 juin 2006 de la cour administrative d'appel de Bordeaux, Madame L., n. 03BX01900, qui se fonde pour condamner l'hôpital en cause sur le terrain classique de la faute médicale.

[4] Résolution 1649 (2009),  Les soins palliatifs : un modèle pour des politiques sanitaires et sociales novatrices , Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, 28 janvier 2009.

[5] Inspection générale des affaires sociales, La mort à l'hôpital, La documentation française, 2010, p. 59.

[6] Collectif Plus Digne la Vie,  Que disent la loi Leonetti et ses décrets d'application ? .

 

 

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