Source [Institut Iliade] : Pensée grecque reposant sur la notion de limite, ou bien pulsion faustienne caractérisée par la démesure ? Dans cet article, Jean Montalte tente de déceler ce qui caractérise l’esprit européen. Il renvoie dos à dos les antimodernes et la droite prométhéenne cherchant à harmoniser ces deux dimensions plutôt que les opposer.
Anaxagore, au Ve siècle av. J.-C., a résolu en ces termes, et par avance, le principe de raison suffisante, énoncé par Leibniz (pourquoi y a-t-il de l’être plutôt que rien?) : « Quel est le but qui vaudrait que l’on choisît de naître plutôt que de ne pas exister ? Spéculer sur le ciel et sur l’ordre du cosmos entier. » Être ou ne pas être, interrogeait Shakespeare. Anaxagore répond : être, pour contempler les astres, les étoiles, la voûte céleste, et s’en repaître comme d’un breuvage aussi succulent qu’intarissable. « Les esprits dignes de contempler les choses profondes conçoivent pour l’illimité une confiance sans limite », lui rétorque Goethe par-dessus les siècles, puisque l’univers s’est ouvert aux dimensions de l’Infini, révolution scientifique dont Alexandre Koyré avait tiré les conséquences dans un ouvrage de synthèse fameux.
J’ai la passion des chimères. Mon vœu le plus cher serait de vivre dans un château vaste comme le monde, à l’instar des Gormenghast. J’ai l’appétit cosmique propre à ma race. Inquiétude métaphysique, soif de dépassement, voilà les traits constitutifs de tout européen bien né. Cette quête de l’ailleurs, je tente parfois d’en dompter la démesure, tant elle peut briser l’âme qui s’y livre sans retenue. Je me paie alors une cure de banalité. J’essaie de trouver dans la proximité des choses et des êtres la poésie invisible qui y est recelée, comme l’œuf de la colombe mystique dans sa coquille cernée de boue, en attente du troisième règne selon Joachim de Flore, celui du Saint-Esprit. Voyez l’ampleur de mes divagations… Chesterton, alors, se présente comme un antidote salvateur :