L’information peut paraître ahurissante au lecteur français, et cela d’autant plus qu’elle n’a pas été relayée dans les grands médias nationaux : le speaker Républicain de la chambre basse de l’Etat du Texas a émis le 10 août 2021 cinquante-deux mandats d’arrêt à l’encontre d’autant de représentants Démocrates du même Etat.
Motif : pour la troisième fois consécutive ces élus ont refusé de siéger à Austin lors d’une session parlementaire spéciale destinée à modifier la loi électorale, laquelle a vocation à s’appliquer dès les prochaines élections, et ils l’ont fait délibérément, pour priver illégalement leur assemblée du quorum exigé par la Constitution locale pour l’adoption d’un tel texte (ils ont même quitté le Texas pour « créer le buzz » à Washington même).
L’information a été publiée par le Washington Post daté du même jour. On a appris, de la même source, le 12 août, que le nouveau texte avait d’ores et déjà été adopté par le Sénat (à majorité républicaine), en dépit d’une obstruction orale de plus de 15 heures consécutives du Démocrate Alvarado. Et cela explique l’émission des mandats d’arrêt : voilà plus de quinze jours en effet que la chambre des Représentants était prête à l’adopter à son tour, et elle en était empêchée de manière parfaitement irrégulière, un élu ne pouvant refuser indéfiniment de siéger sans manquer pénalement à son devoir.
Cette « guerre » de haute intensité, dont curieusement personne ne parle en France, sinon au détour d’un entrefilet, est en cours dans d’autres Etats Républicains. Elle a commencé en Géorgie, s’est étendue ensuite à l’Arizona, à la Floride, au Texas et à plus d’une vingtaine d’autres Etats, et elle ne cesse de s’intensifier. L’enjeu est clair : une majorité de Républicains, qu’ils soient des pro-Trump ou non, convaincus d’avoir été victimes d’une manipulation en novembre 2020, ont entrepris de mettre fin à des archaïsmes électoraux invraisemblables, sources potentielles évidentes de larges fraudes : dans ces Etats, les nouvelles lois électorales mises en chantier convergent pour exiger désormais, au moment du vote, un contrôle d’identité avec une pièce dotée d’une photographie, restreignent le nombre de votes par correspondance que peut déposer un électeur pour le compte d’autres électeurs, exigent pour de tels votes un lien de famille ou que les mandats soient assortis de la copie d’une pièce d’identité, ou interdisent enfin toute pression devant et à l’intérieur des bureaux de vote, y compris la fourniture, aux électeurs faisant la queue, de nourriture, boissons ou autres « facilités ».
« Restrictions » ou garanties de la sincérité du scrutin ?
Pour un électeur français (et pour tout démocrate sincère), ces « restrictions » n’en sont pas, et coulent même de source. Mais pour le parti Démocrate, elles sont inacceptables, car elles porteraient, selon lui, atteinte à la liberté du vote. Joe Biden n’a d’ailleurs pas hésité, lors de l’adoption du premier texte en Géorgie, à les dénoncer comme répugnantes (sic) et scandaleuses. « Cela doit cesser ! Nous avons une obligation morale et constitutionnelle d’agir et de nous y opposer ! .. C’est une nouvelle loi Jim Crow au 21ème siècle ! » (faisant ainsi référence aux lois de ségrégation votées dans le Sud des Etats-Unis … en 1877). L’argument est clair et il est exposé tel quel : selon le président américain, si on contrôle l’identité des votants, en exigeant une pièce justificative, ne serait-ce qu’un permis de conduire ou tout autre document avec photo, ou si on limite le nombre de votes par correspondance que peut jeter dans l’urne un même électeur, on empêche en priorité les électeurs Noirs de voter. On voit bien pourtant que le problème est de principe.
Le cas de la Floride est à cet égard particulièrement frappant : dans cet Etat des urnes mobiles sont traditionnellement disposées dans la rue, devant les supermarchés ou magasins d’affluence, puis leur contenu reversé ensuite dans les bureaux de vote. N’importe qui peut donc y déposer, y compris après la clôture du vote, des bulletins par correspondance en bloc, avec un contrôle matériellement difficile sinon impossible à effectuer. La nouvelle loi met donc fin à cette habitude, et exige désormais que les électeurs se déplacent jusqu’aux bureaux de vote, seuls les bulletins déposés dans ces bureaux, avec contrôle d’identité, pouvant ensuite participer au dépouillement (cf. le Washington Post du 30 avril 2021 – ci-dessous la photographie d’une de ces urnes mobiles dans le même journal).
Il est donc incompréhensible que le parti Démocrate mène une guerre acharnée contre ces nouvelles lois électorales, qui n’encourent aucune critique sérieuse. La seule explication de leur attitude ne peut dès lors résider que dans la crainte qu’un contrôle sérieux des votants aboutisse … à une chute drastique de leurs futurs scores électoraux…
Pourquoi les requêtes de Trump ont toutes été rejetées
Pour bien comprendre ces enjeux, il faut revenir brièvement sur l’élection présidentielle de 2020. En effet, concrètement, les requêtes de Donald Trump visant à une annulation des élections ont toutes été rejetées sans examen systématique de la régularité intrinsèque des votes par correspondance, ni contrôle de l’identité des votants, les juges expliquant que tant qu'il ne leur serait pas montré d'emblée que ces votes auraient été massivement manipulés, aucun contrôle matériel détaillé ne pourrait être décidé, entamer un tel contrôle étant de nature selon eux, par lui-même, à jeter la suspicion sur la qualité de la démocratie aux USA.
Or près des 2/3 des votes émis sur l'ensemble du pays l'avaient été par correspondance, sachant que, dans certains Comtés des Etats clés (dits Battleground States, ou Swing States), dans lesquels le comptage a été brusquement arrêté le soir de l’élection, ils se sont avérés "finalement" être à 9 contre 1, voire 10 contre 0 au bénéfice de Biden, chiffre sans rapport avec la moyenne de 6 contre 4 constatée en Floride et au Texas, deux autres Etats pourtant clés (serrés) où le comptage avait été achevé rapidement, dès le premier jour. Conclusion : sans examen détaillé de ces votes, arrivés en bloc en un second temps, il était impossible de prouver quelque manipulation éventuelle que ce soit. Or (sans doute pétrifiés par l’enjeu) les juges exigeaient une telle preuve avant même tout examen de ce type, et refusaient de s’arrêter à l’inexplicable et manifeste disproportion susmentionnée.
Certes, des recomptages ont été effectués. Mais de telles opérations matérielles étaient évidemment inutiles et sans portée s’agissant non pas du nombre de suffrages exprimés, mais de leur sincérité intrinsèque. N’importe quel juge de l’élection en France le comprend immédiatement, et il devrait en aller de même pour l’ensemble de la classe politique.
L’Arizona en pointe
En Arizona, l’enjeu pour le parti Démocrate est encore plus criant. Les Républicains locaux ont en effet obtenu, en même temps que la préparation d’une nouvelle loi électorale, que les 2,1 millions de suffrages recueillis en novembre 2020 dans le Comté de Maricopa soient déménagés sur un site protégé (mais accessible évidemment aux Démocrates pour tout contrôle), afin que chaque vote soit épluché et contrôlé selon de strictes procédures, en remontant jusqu’au mandant pour les votes par correspondance. Et ce contrôle fait des émules : les Républicains de Pennsylvanie et du Wisconsin en réclament un identique à leur tour, après être venus sur place, et des manifestations d’électeurs ont régulièrement lieu aux mêmes fins dans le Michigan, pour ne prendre que ces trois exemples.
Ce contrôle touche à sa fin, on devrait en connaître les conclusions d’ici à quelques semaines. Mais on voit bien que si ses résultats prouvaient que l’élection a irrégulièrement basculé en Arizona en faveur de Biden, l’onde de choc serait gigantesque dans les autres battlegroud states, avec à la clé une situation explosive et sans précédent.
Tout ceci explique peut-être pourquoi les parlementaires démocrates texans ont été jusqu’à bloquer volontairement le travail normal de leur assemblée, au risque d’une sanction pénale. Depuis, ils ont ravalé leurs protestations et, seule manière pour eux de faire échec au mandat d’arrêt les visant, ils sont revenus à Austin (ce 18 août), rendant possible enfin le vote de la nouvelle loi par la chambre basse du Texas.
L’affaire est à suivre…
Me André Bonnet
Me André Bonnet est avocat au barreau de Marseille, ancien président de tribunal administratif.