Mali : la continuelle question touarègue

Parmi les silences assourdissants des candidats à la présidence de la République en 2012, il y a eu l’Afrique et en particulier le Mali. Ce pays eût à connaître simultanément un coup d’état militaire le 22 mars 2013 et une avancée foudroyante de la rébellion touarègue en avril. Les Touaregs et leurs alliés islamistes prétendaient déclarer l’indépendance de l’Azawad. La France donna l’impression d’être totalement surprise. Un demi-siècle après, les indépendances ne sont toujours pas réussies…

IL FAUT REVENIR A LA GENESE de ces problèmes. Au temps de la France-Afrique et de Jacques Foccart, tant critiqués aujourd’hui, on n’envoyait pas sur le continent noir des deuxièmes couteaux gémissants, se prétendant en exil. Nous défendions en Afrique nos intérêts, et nous ne nous payions pas de mots creux en prétendant lutter contre le terrorisme. Un des soucis du général de Gaulle, après les indépendances, c’était d’éviter toute remise en cause des frontières héritées de la colonisation, pour ne pas ouvrir une boîte de Pandore…

Toujours les effets de l’après-indépendance

Le Mali est l’ancien Soudan de la colonisation française, son nom actuel rappelle un empire musulman du XIVe siècle de notre ère. Il regroupe au nord des Berbères islamisés, les Touaregs, et au sud des Noirs sédentaires et islamisés : là aussi, la religion n’a pas pacifié les esprits. Car pendant des siècles, les Touaregs ont pillé les populations du sud et y ont raflé des esclaves.

Les Touaregs sont les habitants de la zone saharienne de l’Afrique, de la Mauritanie au Niger, avec des tribus présentes dans le Sud-Algérien et en Libye. Ils seraient autour de 500.000 au Mali, quand les Noirs sédentaires seraient près de 16 millions. Lors de la colonisation française, les sédentaires du Sud ont fréquenté nos écoles, s’y sont formés. Les Touaregs ont refusé d’utiliser notre système scolaire : à l’indépendance, en 1958, les gens du sud ont pris le pouvoir.

De la Première Guerre mondiale jusqu’à l’indépendance des États africains, la zone saharienne de l’Afrique était policée par nos pelotons méharistes et groupes nomades : des unités rustiques, adaptées au pays, dirigées par des cadres qui aimaient l’Afrique et ses habitants, et qui allaient à leur rencontre. Lorsque l’on prépara les indépendances, nos états-majors avaient mis au point des plans raisonnables pour les jeunes armées des futurs États. En particulier, en zone saharienne, les unités méharistes étaient conservées et elles passaient sous le commandement des nouvelles armées nationales.
 Hélas, le premier souci des nouveaux cadres, pour la majorité issu de la zone sahélienne, fut d’arrêter les nomadisations, de s’installer près d’une agglomération, de demander le remplacement des dromadaires par des véhicules gourmands en carburant, et de multiplier les vexations et brimades envers les Touaregs. Car les cadres issus de la zone sahélienne entendaient prendre leur revanche sur les Touaregs, qui pendant des siècles avaient razzié leurs villages et mené la chasse aux esclaves au sud de la ligne Gao-Tombouctou.

L’arrivée des islamistes

Depuis les indépendances, les exactions contre les Berbères touaregs et les Arabes immigrés n’ont pas cessé, avec la montée de révoltes, attisées d’abord par Kadhafi, puis par les islamistes chassés d’Algérie.

La chute de Kadhafi se traduisit par le retour au pays des mercenaires touaregs, d’immigrés nigériens, mauritaniens, maliens qui envoyaient de l’argent à leur famille, donc par une aggravation de la misère, et par le recrutement de ces immigrés par des islamistes abondamment approvisionnés par la dispersion de stocks libyens d’armes, de munitions et d’explosifs dans tout le Sahara. Le plus grave, comme partout dans le monde musulman, c’est le financement par le Qatar de ces groupes de forcenés. D’où les attaques contre les troupes maliennes, constituées surtout de Sahéliens, à partir de janvier 2013 et la déclaration de l’indépendance de l’Azawad le 6 avril 2013. Pour leur malheur, les Touaregs se laissèrent rejoindre par les islamistes de diverses obédiences et des mercenaires au chômage depuis la chute de Kadhafi.

Cette coalition hétéroclite étrilla les Maliens à Gao et Bamako en juin 2012, et elle se livra alors à de multiples exactions : saccages des tombeaux de saints et de bibliothèques, mutilation de « voleurs » et d’opposants, obligation du port du voile intégral pour les femmes etc.

Un État failli

Quant au gouvernement malien, il avait trop longtemps sous-estimé le danger d’une coalition des Touaregs et des islamistes. Aucune politique de développement ne fut menée dans le Nord. De plus, les autorités maliennes avaient cru assurer la stabilité politique par l’encouragement à l’émigration des éléments les plus dynamiques : on voit le résultat !

Soyons clairs : le Mali est un État failli. Pourtant il recèle des richesses : pétrole, gaz, or, uranium qui intéressent autant les États-Unis, la Chine, le Qatar que nous, bien évidemment !

Le jeu trouble algérien

Pour comprendre les évènements actuels, il faut revenir à l’Algérie : à partir de 1988, elle tenta d’inciter les islamistes algériens à s’installer en zone saharienne, de la Mauritanie au Niger. Pour ce faire, les services secrets algériens introduisirent dans la mouvance islamique des agents doubles, qui s’avérèrent souvent triples. Ces derniers n’hésitèrent pas à se retourner contre l’Algérie, comme à In Amenas en janvier 2013, et se transformèrent en bandits, en trafiquants, en preneurs d’otages ; les plus connus sont Abou Zeid et Mokhtar Ben Mokhtar.

Certains qualifient même AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique) de faux-nez de l’Algérie. Ce groupe est l’héritier du GIA (Groupe islamique algérien, dont l’un des avatars fut le GSPC (Groupe salafiste pour la Prédication et le Combat).

 D’autres groupes se sont constitués :

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- le MNLA (Mouvement national pour la libération de l’Azawad), centré sur Kidal : il regroupe la plupart des tribus touaregs ;

- Ansar Dine, centré sur l’Adrar des Ifoghas, dirigé par Iyad Ag Ghali. Ce mouvement, scission du MNLA, est la créature du Qatar, qui lui a envoyé des avions chargés d’armes le 10 mars 2012 à Tessalit, le 6 avril 2012 à Gao, et qui compte sur lui pour défendre ses intérêts ;

- le MUJAO (Mouvement pour l’Unicité et le Djihad en Afrique Occidentale), centré sur Gao.

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Après l’affaire d’In Amenas, les frontières sud de l’Algérie sont désormais fermement tenues et surveillées.

Les autres politiques et stratégies en présence

Les États-Unis se sont intéressés à l’Afrique, d’abord par suite des carences britannique et française, ensuite pour leur combat contre les terroristes, mais surtout pour surveiller les richesses minières de l’Afrique et les activités chinoises sur ce continent. Au passage, évitons la formule stupide de « lutte contre le terrorisme » : le terrorisme est une méthode d’action, utilisée par des groupes que nous qualifions de terroristes.

 Dans la poursuite de ces buts, les Américains ont voulu se mêler de la formation de l’armée malienne, en ignorant totalement les clivages ethniques locaux : ils eurent la surprise de voir une partie de ceux qu’ils avaient formés déserter avec armes et bagages au début de 2012 pour rejoindre la rébellion touarègue, et d’autres, autour du capitaine Sanogo, mener un coup d’État le 22 mars 2012…

 Cela dit, les États-Unis se félicitent aujourd’hui de l’intervention française. Ils aident nos forces, par le renseignement notamment : depuis le 22 février 2013, ils ont installé une unité de drones au Niger.

Le Qatar a une politique et une stratégie très claire : soutenir tous les fondamentalistes islamiques, surtout pour contrôler les zones où l’on produit ou produira du gaz, et remplacer la Russie comme principal fournisseur de gaz en Europe. Son aide à Ansar el Dine n’est pas gratuite : le Qatar compte sur lui pour protéger ses intérêts gaziers et pétroliers.

La politique française

Les dirigeants politiques français ont délibérément ignoré les risques au Sahara et au Sahel depuis des années. Il a fallu les multiplications de prises d’otages, en particulier à Arlit au Niger pour que nos politiques se réveillent. Car les attaques islamistes au Mali en janvier 2013 auraient pu se traduire par la prise de milliers d’otages français : 6.000 de nos compatriotes résident et travaillent au Mali, essentiellement à Bamako. Et sans notre réaction, le Niger aurait fatalement été menacé, donc notre approvisionnement en uranium. Rappelons que le Niger nous fournit 4 000 tonnes d’uranium, soit 40 % de nos besoins.

 Cela dit, la décision d’engager nos forces le 13 janvier 2013 pour contrer l’avancée de la coalition islamiste fut judicieuse et courageuse. Au prix de pertes relativement légères, avec l’aide de nos amis tchadiens, depuis le 18 février 2013, nous avons cassé l’infrastructure islamiste dans l’Adrar des Ifoghas, cœur de la mouvance touarègue liée au Qatar et aux islamistes de tous poils. Nous avons récupéré la majorité des armes, explosifs et matériels abandonnés par l’armée malienne en 2012.

 Le problème principal ne me semble ni notre repli, ni la façon dont les Africains ou l’ONU nous remplaceront au Mali. Le problème, c’est d’obliger la majorité malienne de la zone sahélienne à se réconcilier avec les Touaregs, et à entreprendre le développement de la zone saharienne. Les richesses gazière, pétrolière, minière devraient permettre ces actions. Mais la tâche de nos diplomates et dirigeants politiques sera rude pour faire admettre aux Maliens cette impérieuse nécessité.

6 mars 2013.
Le général de corps d'armée (2e section) J.-G. Salvan, ancien président des Gueules cassées, a enseigné l'histoire militaire à l'université de Bordeaux. 

 

 

En savoir plus :
L’intervention de l’armée française (vidéo, ECPAD)
Photo : EMA