[Source ; Breizh Info]
Les éditions Tempus (Perrin) ressortent le « Baden Powell » de Philippe Maxence en format poche. L’occasion d’interviewer l’auteur à propos du scoutisme et de Baden Powell.
En 1907, Robert Baden-Powell, général en préretraite de l’armée britannique âgé de cinquante ans, prenait l’initiative singulière d’inviter quelques adolescents vivant dans les brumes de Londres à camper pendant plusieurs jours, en plein air, sur un îlot inhospitalier et à participer à des activités conçues et réalisées par eux-mêmes : le scoutisme était né. L’année suivante paraissait Scouting for Boys, best-seller absolu. Baden-Powell n’est pas seulement le fondateur du plus considérable mouvement de jeunesse de l’histoire.
Son existence aventureuse dans l’armée des Indes, sa défense de Mafeking en 1899-1900, durant 217 jours, contre les Boers, son séjour comme espion en Russie l’avaient déjà fait entrer dans la légende et dans l’amitié de la famille royale britannique. Philippe Maxence narre avec brio les aventures du futur lord, et livre aussi les clefs de sa personnalité attachante et parfois déroutante : une éducation rude, une mère très aimée, de grands talents de comédien, d’amuseur et de musicien, une pensée traditionaliste et une imagination prophétique, une passion pour la nature… Aujourd’hui, en France, les mouvements scouts laïque, catholique, protestant, israélite et musulman comptent 250 000 jeunes, et 2 millions d’anciens dans tous les milieux.
Breizh-info.com : Qu’est ce qui vous a intéressé en premier lieu chez Baden-Powell ?
Philippe Maxence : Ancien scout moi-même, j’ai voulu savoir qui était vraiment le fondateur du scoutisme. Comme adolescent, j’ai vécu pleinement cette aventure. Devenu chef, j’en ai découvert de manière plus approfondie la richesse éducative. Comme père de famille, j’en ai vu la pertinence au fur et à mesure que mes propres enfants grandissaient.
C’est dans ce sens que je me suis intéressé à Robert Baden-Powell. Quand on a profité de l’apport d’une pédagogie, il arrive un moment où l’on s’interroge sur les origines de celle-ci. D’où vient exactement le scoutisme ? Qui était précisément son fondateur ? Quelle fut sa vie, en dehors des grandes pages que l’on m’avait apprises ? C’est un besoin de connaître ses racines, de se situer par rapport à elles, de s’inscrire dans une histoire. Même si l’homme n’est pas uniquement ce qu’il reçoit, il est aussi, et à un moment il est d’abord, un héritier. J’ai justement découvert chez Baden-Powell un homme capable de faire fructifier tout ce qu’il avait reçu pour remettre la jeunesse dans le sillon de ce que la modernité avait coupé en elle : le sens et le rapport au réel.
Breizh-info.com : Qu’avait-il de non conformiste dans sa façon d’éduquer, de transmettre, de penser ?
Philippe Maxence : D’une certaine manière, Baden-Powell était un mélange de conformisme et de non conformisme. Il voulait à la fois servir l’empire britannique, son roi, la société de son temps et, en même temps, permettre aux jeunes gens de vivre selon l’idéal de la chevalerie à l’époque moderne. Mais Baden-Powell n’a pas construit un système par le haut qu’il aurait ensuite appliqué dans la réalité. Contrairement à Descartes, il ne s’est pas enfermé dans un poêle pour repenser le système du monde. De sa propre expérience de soldat, d’homme de théâtre, de commandant de volontaires, de sa vie de famille, associée à l’expérience d’autres personnalités, il a façonné un mouvement qui reposait sur le fait que, s’appuyant sur le sens de l’honneur des garçons, ceux-ci seraient les acteurs de leur éducation.
Plutôt que des cours théoriques sur l’art d’être un chef, il a proposé de confier de vraies responsabilités à des gamins de 15 ans. Plutôt que de longs discours pieux sur l’entraide, il a proposé que les plus âgés participent à la formation des plus jeunes. Plutôt que des sermons sur l’aide humanitaire, il a invité ces jeunes garçons à poser un acte concret et quotidien pour aider quelqu’un autour d’eux et pas forcément à l’autre bout du monde. Son génie, c’est de transformer la fierté d’un adolescent de 15 ans en sens de l’honneur pour déployer pleinement le sens de la responsabilité qui s’épanouit d’abord au sein de cette petite bande chevaleresque qu’est la patrouille.
Breizh-info.com : Le scoutisme, par ses codes notamment, semble apporter à ceux qui l’ont pratiqué une forme d’épanouissement et d’ouverture d’esprit, de curiosité, tout en abolissant la hiérarchie sociale. Pour quelles raisons ?
Philippe Maxence : Le scoutisme n’abolit pas la hiérarchie sociale. Au sein d’une patrouille scoute, unité de base de l’âge éclaireur (12-17 ans),il y a un chef de patrouille, un second, etc. Les patrouilles elles-mêmes sont réunies dans des troupes sous la conduite d’un chef de troupe et de ses assistants. Le gouvernement de la troupe repose sur la Cour d’honneur.
Ce que le scoutisme abolit, c’est la hiérarchie sociale artificielle pour la remplacer par celle du service. Le reste en découle. Aussi bien l’épanouissement personnel que la curiosité, la proximité entre ceux qui ont vécu la même chose, l’ouverture d’esprit parce qu’on a appris à regarder le monde, non à travers les œillères d’une idéologie, mais en se confrontant au réel.
Breizh-info.com : En quoi le message de Baden Powell est-il toujours aujourd’hui d’actualité ?
Philippe Maxence : Il sera toujours d’actualité de former des jeunes en prenant en compte le mode d’emploi de ce bipède sans plumes qu’on appelle un homme, pour parler comme Platon. On forge un caractère et une personnalité en confiant au jeune des responsabilités plutôt qu’en l’abêtissant à marcher au pas. Ces responsabilités doivent être vécues au sein de l’unité naturelle et spontanée de la vie des adolescents; la bande, qui ennoblie, devient une patrouille.
Elles doivent s’épanouir au sein d’une aventure réelle vécue ensemble, à travers un certain nombre d’épreuves et de tâches à réaliser. Baden-Powell a parfaitement compris le ressort des adolescents et l’a codifié dans le scoutisme qui a su s’adapter à son tour à l’évolution du monde, à partir du moment où il restait fidèle à ses principes initiaux. Baden-Powell avait fixé quatre buts au scoutisme : la formation du caractère, la santé, l’habileté manuelle et le sens du service (les mouvements de scoutisme catholique lui ont ajouté le sens de Dieu). L’homme n’a pas changé au point que ces buts ne soient plus actuels.
Breizh-info.com : Comment expliquez-vous le succès actuel du scoutisme, qui paraît vivre une forme de renouveau ?
Philippe Maxence : Plus notre époque devient artificielle, plus le scoutisme a toutes les chances de s’épanouir. Ce n’est pas sans raison si le scoutisme est né au début du XXe siècle après l’industrialisation à marche forcée du XIXe siècle, l’exode rural, l’enfermement dans la crasse des villes, le manque d’air pur et d’horizons. Il répond à un vrai besoin né de la condition dans laquelle nous place la société moderne. Le vrai danger pour le scoutisme, outre les théories éducatives à la mode qui tentent toujours de le transformer, tient dans les règles de surprotection édictées par des instances étatiques, nationales et supranationales, qui, après avoir vidé le rôle du père de famille de toutes ses responsabilités, prend sa place et sur-materne la vie de nos enfants.
Le scoutisme est une école du réel devant laquelle l’État dresse ses lois castratrices sous prétexte d’éviter les risques. Mais la vie est un risque. Et un risque permanent ! L’organisation du scoutisme a pour vocation de préparer les jeunes à tenir leur place dans la société à travers des activités qui comportent des risques à la hauteur de leur âge. Ce n’est ni une crèche pour enfants attardés, ni une préparation commando. Ce qui me paraît proprement incroyable, c’est effectivement que le scoutisme continue d’être vécu malgré le nombre exponentiel de règlements existants et de tâches administratives qu’il faut remplir aujourd’hui pour se lancer dans l’aventure scoute.
Breizh-info.com : Travaillez-vous actuellement sur de nouveaux ouvrages ?
Philippe Maxence : Dans le peu de temps que me laissent mes occupations professionnelles, j’essaye effectivement de travailler à un ouvrage d’histoire religieuse…
Breizh-info.com :Quels sont les derniers ouvrages que vous avez lu et que vous recommanderiez à nos lecteurs ?
Philippe Maxence : Dans des registre très différents, je viens de relire L’île bleue, un roman de Jean Raspail (un ancien scout) paru une première fois en 1988 et qui vient d’être republié, les essais de Christophe Guilluy (La France d’en haut) et celui de Rémi Brague (Où va l’histoire ?) ainsi que deux ouvrages touchant à l’histoire religieuse : Les divisions du pape de Frédéric Le Moal sur la lutte de l’Église catholique contre les totalitarismes et celui de sœur Alice-Marie, Rupture ou fidélité, sur la crise conciliaire et postconciliaire à travers l’histoire d’une congrégation religieuse féminine.
Mais je profite de votre invitation pour saluer tous les scouts et guides de Bretagne. Dans ce domaine aussi, les Bretons n’ont rien fait à moitié !…
Baden-Powell de Philippe Maxence. Tempus, 502 pages, 11 €
L’auteur est disponible pour des conférences sur le sujet.
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