Enseignement de l’ignorance : comment l’Éducation nationale sape l’histoire nationale

Source [Elements] : C’est une histoire de plus en plus décentrée, globalisée et plurielle que les professeurs d’histoire-géographie dispensent à leurs élèves. Au roman national a succédé la fiction d’une histoire tournée vers l’international, résolument thématique et volontiers édifiante, qui occulte des pans entiers de notre histoire (ce qu’une histoire chronologique ne pourrait faire). Difficile de faire nation avec cela.

Ouvrons le manuel d’histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques des élèves de terminale de l’année scolaire 2022-2023. À l’heure où paraîtra cet article, on peut penser, sans avoir un don de clairvoyance particulier, que les neuf dixièmes de cette promotion, au bas mot, quitteront le lycée leur diplôme du baccalauréat en poche. Pour la majorité d’entre eux, la sortie de l’enseignement secondaire correspondra, à quelques mois près, à la reconnaissance de leur qualité de citoyen. Voyons donc avec quel bagage historique cette nouvelle génération d’adultes entrera « dans la carrière » – puisque les paroles de La Marseillaise sont censées être connues par tous les écoliers de la République.

Pour préparer cet article, nous nous sommes procuré plusieurs manuels, à titre de comparaison (il faut savoir que ces ouvrages pédagogiques sont rédigés par des collectifs d’enseignants). Sur la forme, les grands éditeurs : Nathan, Hachette Éducation, Belin Éducation, lelivrescolaire.fr, se rejoignent, avec des maquettes denses mais imagées, une place importante accordée aux documents, aux textes originaux, une bibliographie réactualisée et des cartes et graphiques qui n’ont rien à envier aux atlas disponibles dans le commerce. Sur le fond, pas de fantaisie non plus, les six grands thèmes abordés en terminale – pour les élèves ayant choisi cette spécialité – sont ceux imposés par le programme. Les titres des sections peuvent varier d’un manuel à l’autre, pas leur contenu. Sont ainsi traitées les questions : 1) des nouveaux espaces et de leur conquête, avec les rivalités qu’elle suppose ; 2) des guerres et de leur évolution du XVIIe siècle à aujourd’hui, avec une large place accordée aux organisations visant à les encadrer sur le plan juridique ; 3) de la mémoire des conflits et des génocides (mémoire et histoire, mémoire et justice, leurs ambivalences) ; 4) de la protection du patrimoine et de ses enjeux : historiques, économiques, géopolitiques ; 5) de l’environnement, son exploitation et sa sauvegarde, au niveau planétaire ; 6) de la connaissance scientifique, étudiée comme facteur de puissance.

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