Deux rites pour une même foi

Les évêques français ont rendu compte de la manière dont le motu proprio de Benoît XVI est mis en œuvre dans leur diocèse. Leur synthèse, assez hostile, ne répond à aucune des questions légitimes que la pratique fait pourtant surgir. Une analyse de Manuel Cardoso-Canelas pour Politique Magazine

Il n’est pas question ici de mettre en cause la légitimité et la validité du Novus Ordo Missae, mieux connu sous le nom de forme ordinaire du rite romain (FOR). Cette forme ordinaire est la forme commune, habituelle, normative de l’Église universelle. L’Église étant la seule maîtresse de ses rites et de leur organisation, elle exerce comme elle veut son droit de légiférer dans ce domaine. Ce point ne souffre aucune contestation.

Cela dit, par FOR nous entendons, évidemment, la façon ad hoc de célébrer selon l’esprit de cette forme liturgique et selon sa lettre, avec l’intention de faire ce que l’Église veut faire lorsqu’elle célèbre. C’est, en conséquence, dire que les innovations, les improvisations, les libertés prises avec le rite ne sont ni une expression légitime de la FOR, ni une émanation de celle-ci. Enfin, signalons comme n’étant pas essentielles à la FOR ni la langue liturgique – qui n’est pas forcément la langue vernaculaire –, ni l’orientation du célébrant – qui peut ne pas être tourné vers les fidèles. Ces remarques dites, venons-en à l’objet de ces lignes.

Le 7 mars 2020, le cardinal préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi adressait à toutes les conférences épiscopales une lettre accompagnée d’une enquête sur la messe dite “extraordinaire”. Treize ans après la publication du motu proprio Summorum Pontificum par Benoît XVI, le pape François, selon le cardinal, « souhaitait être informé de l’application actuelle » du motu proprio. En janvier 2021, la Conférence épiscopale française rendait publique – ce n’était pas exigé – une synthèse de 24 pages, exposant les résultats de la consultation. Le texte, rédigé dans un français parfois approximatif, est donc censé donner un aperçu de la façon dont se vit en France la forme extraordinaire du rite romain (FER).

Sur 92 diocèses, seuls 87 ont répondu à l’enquête sans que l’on sache pourquoi les cinq absents ne l’ont pas fait. On apprend, d’abord, qu’il n’y a pas de célébration dans la FER dans les diocèses de Cambrai, Amiens, Châlons et Viviers ; que les diocèses de Blois, Laval, Strasbourg et Versailles ont constitué des paroisses personnelles pour cette forme du rite (il est révélé que le diocèse de Nîmes subit des « pressions », auquel il résiste, pour la création d’une telle paroisse) ; qu’enfin dans les autres diocèses la chose est anodine, presque inexistante (« un ou deux lieux sont dédiés au moins en partie à la célébration »), et qu’elle ne rassemble qu’une faible population en moyenne (« moins de cent personnes ») ! Ceux qui fréquentent ces crypto-lieux de culte, si l’on en croit le texte, savent que, bien souvent, l’assistance dépasse la centaine de personnes. Du reste, quelle est, dans certaines paroisses, la moyenne de la participation dominicale aux messes célébrées dans la FOR ?

Un besoin pastoral contesté

Selon le document, la célébration des messes selon le missel de 1962 est souvent le fait de communautés religieuses ayant choisi cette forme de célébration de façon ordinaire (la forme extraordinaire est la forme ordinaire de ces communautés !) La synthèse semble le regretter et voudrait « associer les prêtres diocésains à la célébration en forme extraordinaire » mais cela semble difficile en raison du manque de prêtres… Alors un chanoine à la retraite, un vieil official en soutane usée fera l’affaire, de toute façon nous sommes dans les vieilleries poussiéreuses ! Et considérez que les fidèles attachés à la forme ancienne ne sont pas méchants, car « malgré quelques crispations la situation est largement apaisée » (merci Benoît XVI !).

Pour deux tiers des diocèses, ces célébrations en FER répondent à un vrai besoin pastoral (mais qu’est-ce qu’un besoin pastoral ?), cependant, note le document, « une expression revient souvent [dans les réponses] : la forme extraordinaire répond à une attente de quelques-uns plus qu’à un vrai besoin pastoral. » Mieux, pour certains, la proposition de la FER, « ne fait qu’entretenir les fidèles dans une conception ecclésiale singulière » caractérisée par un rejet du concile (lequel ?), la critique du pape François, l’hostilité à une Église trop ouverte… Plus encore, ces messes sont rarement promues par les prêtres mais « plus souvent par de jeunes familles nombreuses » (là, les bras nous en tombent !) Voyons : on nous dit que les messes FER sont le fait de communautés, le plus souvent, et que peu de prêtres diocésains sont engagés dans ce mouvement, qu’on le voudrait bien mais qu’on ne peut pas ; que ce sont de jeunes familles nombreuses qui manigancent – mais auprès de qui ? – et qui obtiennent finalement la célébration de ces messe. On ne voit pas ce que les communautés célébrant dans ce rite viennent faire dans ce complot de familles nombreuses. Il manque d’ailleurs ici une ou deux précisions qui viendront plus tard : de droite et royaliste ! Oui ! de jeunes familles nombreuses de droite et royalistes ! Et ces familles exigent des besoins pastoraux ! Parce que, voyez-vous, en plus d’être nombreuses, elles se paient le luxe d’avoir une âme ! Il faut savoir que le motu proprio de Benoît XVI précisait expressément que les demandes viennent des fidèles et qu’un prêtre ne pouvait pas imposer la célébration dans la FER. Alors qui, finalement, va contre l’esprit du Concile ? Les fidèles qui demandent la célébration selon une forme légitime, pour des raisons qu’ils n’ont pas à justifier, ou le document de la CEF qui regrette que ce ne soit pas les prêtres qui soient à l’origine de cette proposition ?

La concélébration, festivisme clérical

Certains évêques estiment que la FER peut conduire, de plus, à un « formalisme rituel » et « figer une réflexion de foi », enfermant les personnes dans un individualisme et un esprit de chapelle. À ce titre, la formation théologique des prêtres de la Fraternité Saint-Pierre et de l’ICRSP est expressément remise en cause. Ne connaissant pas la formation dispensée par ces instituts, limitons-nous à dire qu’elle n’est sans doute pas de la même nature, plutôt médiocre, que celle des séminaires diocésains qui subsistent.

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