Pour bien comprendre le glissement vers une dictature, il faut saisir les mécanismes intellectuels et psychologiques de ses idéologues. L’empire de la loi est une faiblesse. L’analyse relève de la psychiatrie.
LA LEGITIMITE du pouvoir de quelqu’un dont l’horizon de la conscience est le légal devient vite l’absolu. D’où la volonté toujours accrue de s’emparer de toutes les structures qui définissent le droit. La responsabilité personnelle du jugement est comme obérée par l’idolatrisation collective de la loi.
On comprend très bien l’implacabilité de celle-ci dans les régimes antiques et notamment l’extrême violence envers les chrétiens lorsque ceux-ci contestèrent l’absolutisme du droit au nom de la raison, rappelant par-là la dignité supérieure et le caractère inviolable de la personne. A contrario, la cohérence totalitaire a trouvé dans la sacralisation du droit son statut religieux. Celui-ci, soumis à la politique devenue elle-même sacrée et donc à ce titre indiscutable, sous peine de blasphème, a fait de l’empereur un dieu.
On prend conscience alors du côté radicalement subversif de la religion chrétienne. Elle dresse la personne humaine au-dessus de tout pouvoir en raison de sa ressemblance avec le Créateur.
Aujourd’hui, la dictature, au sens romain du terme, ne s’impose guère différemment. Les ministres, notamment celui de l’Éducation nationale, veulent détruire l’Église catholique en y substituant une religion républicaine qui, par définition, veut imposer sans limite l’emprise de l’État sur l’homme dès sa naissance. Il s’agit pour le ministre de l’instruction publique « d’arracher l’enfant à tout conditionnement culturel et familial ». Il dénie aux parents une autorité qui soit supérieure à celle de l’État.
Césarisme
La confusion socialiste entre le fait légal et le fait religieux justifie la répression pour délit d’opinion (cf. l’affaire Vanneste d’abord et plus grave ensuite, l’affaire Nicolas Buss). Ce glissement vers le césarisme renvoie à la confusion des genres des républiques islamiques. La politique mêlée étroitement au religieux (qu’il soit musulman ou laïque) avère exactement la pathologie que dénonce très vigoureusement Jésus lorsqu’il sépare de façon tranchée ce qui est de la responsabilité de César de celle de Dieu.
En France la personne ou les minorités qui se sont emparés des pouvoirs ont la certitude d’être les garants du bien. L’avortement est une libération, le mariage gay la reconnaissance d’une égale dignité, l’adoption des enfants par les homosexuels une justice, la privatisation des mœurs un progrès. Ils sont les seuls à définir la nature de la vertu, à distinguer le bien du mal. Plus ils sont contestés, plus ils sont persuadés que la critique du légal appartient à la sphère du Mauvais.
Tout contestataire personnifie le mal, d’où la nécessité de détruire sa réputation, sa liberté. Il faut le présenter comme odieux et infréquentable. Une religion sans transcendance, telle que la définit le théoricien Peillon, appelle très vite à passer sous le contrôle du légal. Mais en arrêtant ce qu’il est licite de croire, le Légal amorce une logique de divinisation du pouvoir. Ainsi a été le monde antique, ainsi est la laïcité française devenue auto-transcendante, ainsi fonctionne l’islamisme.
Il suffit de lire les déclarations tout à fait extraordinaires du ministre de l’Éducation qui ne craint ps la contradiction en considérant que sa lutte pour « écraser » l’Église est d’ordre religieux.
Il faut se méfier de tous les théoriciens qui conceptualisent leur vision du monde car ils sont sincères et ils n’ont d’autre obsession que de la mettre en pratique. De Mein Kampf au Petit Livre rouge et jusqu’aux déclarations ubuesques d’un Pol Pot, tous les idéologues totalitaires ont tenu à définir leur vision du monde ; on sait où débouche la volonté de recréer « un homme nouveau » formaté par le pouvoir.
Le message d’Antigone
La leçon de Sophocle est pour notre société revenue aux époques païennes d’une exemplarité pertinente. Petit rappel pour ceux qui n’ont pas lu la pièce. À Thèbes, Créon, roi, a institué une loi manquant de sagesse selon l’avis du Coryphée : interdire de célébrer les funérailles de Polynice. La soeur du défunt, Antigone, considère que les exigences morales et religieuses demeurent supérieures aux lois. Elle veut braver l’interdit. Les vieillards, eux, entérinent l’exigence du pouvoir par intérêt, par gâtisme ou par cynisme. Ismène, la sœur d’Antigone et de Polynice, renonce au devoir religieux : « Je n’ai rien à gagner à affronter la Force devant laquelle je cède… » Tout est en place.
Créon est convaincu de son droit. Tout d’abord, il possède la formidable légitimité du pouvoir reçu par les voies légales et religieuses. Surtout, son intention est pure : « Je veux le bien de mon peuple. » Pourtant Hémon, son propre fils, lui démontre avec intelligence et respect l’absurdité de son décret. Mais son père s’entête au nom de son droit. On connaît la fin. Antigone obéit à sa conscience. Lorsque Créon réalise l’insensé de sa décision, tout le monde est mort… Antigone, Ismène, Hémon…
Cette tragédie grecque est d’une extraordinaire actualité. Les jeunes Français doivent la lire, la commenter. Les parallèles sont d’une précision qui coupe le souffle. Bienheureuses les jeunes filles qui ont appelé leur mouvement de résistance Les Antigones. Elles ont tout compris.
Sans pousser exagérément les images — tout au moins encore aujourd’hui — la Révolution de 93 s’est donné pouvoir de vie ou de mort sur des personnes, quelques soient leur âge ou leur état, pour le seul fait de penser différemment. La légalité la plus scrupuleuse a porté Hitler au pouvoir, les élections ont été rigoureusement respectées, il n’y a pas eu de bourrage d’urnes. Faut-il le rappeler ? Les seuls Länder où Hitler s’est trouvé en minorité ont été les Länder catholiques.
En 2013, les arrestations et les violences exercées contre des jeunes gens pacifiques, même si celles-ci contreviennent à l’article 432 du code de procédure pénale, révèlent combien ce régime dit légal assume un déni du droit sans état d’âme. Des policiers basculent — sur ordre — dans l’illégalité la plus caractéristique et l’avouent face à leurs victimes, soit pour s’en plaindre soit pour provoquer, en démontrant que rien ne peut arrêter le cynisme de la violence légale, et leur jouissance à y prendre part.
L’honneur de la police
Même si pour l’honneur du syndicat de policiers Alliance, la dénonciation de l’usage abusif et illégal des CRS a été dénoncé, les jeunes générations découvrent qu’un policier des années de l’Occupation est le même que celui qui assume aujourd’hui sans état d’âme l’ordre d’arrêter et de tabasser des jeunes filles inoffensives. Leur seul tort était de se tenir debout en silence, souvent seule, devant un lieu public.
Tous les régimes totalitaires comme au Vietnam ou à Cuba aujourd’hui, s’abritent derrière le droit. C’est le droit qui a défini l’unicité du parti, c’est la loi qui a soigneusement fixé le cadre des libertés. Lors des fêtes du bicentenaire de la Révolution française, des historiens avaient exhumé les décrets de la Convention ordonnant aux Colonnes infernales d’exécuter et de massacrer « la race exécrée des brigands de Vendée » qui osaient défier la République, et de préciser « femmes, enfants et “bébés au sein” ». Les troupes de Turreau ou de Hoche n’ont pas agi alors sous l’empire de la violence des combats mais pour obéir consciencieusement à des ordres fondés sur des lois et des décrets.
Je le dis hautement et sans retirer quoi que ce soit : le jour où l’État donnera l’ordre de tirer sur la foule, les troupes tireront sur la foule. Hier, de braves policiers donnaient gentiment la main à des enfants juifs pour les emmener au Vel d’hiv... À leur décharge, l’absence de moyens de communication leur interdisait d’évaluer les conséquences de leur geste.
Aujourd’hui, l’article 432-4 du code de procédure pénale assorti d’une peine de sept ans de prison ferme et 100.000 € d’amende ne fait pas hésiter un CRS ou un gendarme[1]. Les moyens de pression sont considérables : l’un d’entre eux m’a avoué que sa mutation tant attendue pour quitter Paris était en jeu. La perspective d’une promotion couvre les remords autant que la promesse de son commissaire à « le couvrir ».
Au sein de leur compagnie, les CRS troublés ou exaspérés par des ordres absurdes ou scandaleux, pensent souvent être seuls ou minoritaires à partager leur conviction, aussi étouffent-ils leur conscience. Ainsi fonctionne le système. Il suffirait que trois ou quatre d’entre eux osent pour que l’ensemble de leurs camarades se rallient et démontrent ainsi la grande fragilité du pouvoir. Mais le pouvoir le sait, et c’est pourquoi il tient le fouet haut, avec une extrême vigilance et une violence accrue.
Les dictatures sont toujours vulnérables
Les dictateurs sont tellement convaincus de leur légalité qu’ils ont totalement confiance dans l’usage de la force pour le bien du peuple ! Pour le régime socialiste, cette confiance est confortée par la totalité des pouvoirs qui structurent la société : Sénat, Chambre des députés, régions et départements. Et les chambres instituées en principe pour prendre de la distance font du zèle pour plaire au pouvoir… On pense au très inutile et très dispendieux Conseil économique, social et environnemental.
Une presse autonome et critique aurait pu jouer son rôle d’équilibre, mais les grands médias sont culturellement investis par une pensée unilatérale, convaincue elle aussi de la primauté de son autorité quasi religieuse. Les journalistes qui pensent sont bannis, quand ils ne sont pas condamnés (Zemmour). Les stars du clergé médiatique, elles, vivent avec les ministres (sans parler du Président et sa maîtresse).
L’autorité qui, hier, s’opposait vigoureusement au droit au nom de ses propres principes idéologiques (la liberté, l’égalité) y recourt aujourd’hui de façon pathétique comme un noyé crispé sur sa planche. Le droit reçu était tyrannique. Le droit possédé est tout puissant. Il se transcende lui-même, devient carrément mystique : et l’autorité qui l’incarne en devient la grande prêtresse. Le ministre Peillon n’appelle-t-il pas de ses vœux une école qui façonne ainsi le citoyen ? « C’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle église avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la loi[2]. »
Qui donc critique la Loi se voit opposé « pour le bien du peuple » à la violence légitime de l’État. Quiconque pense différemment du balisage officiel de la pensée est interdit d’expression d’abord (le « pacte républicain[3] ») voire est poursuivi pénalement (affaire Vanneste, affaire Nicolas Buss). Ensuite ce n’est qu’une question d’habillage, les « brigands » de Vendée sont aujourd’hui des fascistes ou des factieux.
Les arrestations totalement arbitraires, illégales, de plus en plus violentes, les rafles d’étudiants et les gazages d’enfants révèlent une crispation pathétique ou le fantasme le dispute à l’idéologie. De glissement en glissement, le régime dérive dans la logique totalitaire. Il oscille entre la terreur (perdre la face), la fureur (être contesté par le peuple), et l’obstination (avoir raison comme Créon). Il s’enferme dans la certitude autoproclamée d’agir pour le bien du peuple malgré lui. Résultat, la crainte de s’engager dans un chemin de retraite qui se terminerait en débâcle le tétanise… Il ne lui reste plus que la violence pour exister, et la diabolisation de l’opposant.
Car si quelques idéologues furieux comme Vincent Peillon ou Christine Taubira exercent une pression considérable sur la dynamique socialiste, ceux-ci restent un moteur second par rapport à cette conviction intime et partagée par la classe politique quasi unanime que le pouvoir a tous les droits parce que le légal fonde l’autorité.
Une résistance inattendue
La sagesse voudrait des gestes d’intelligence et d’apaisement : décriminaliser la liberté d’expression (innocenter Nicolas Buss), proposer aux maires une table de concertation sur l’objection de conscience, ouvrir une négociation sur la sanctuarisation du mariage et de la filiation. Mais nous avons à faire à un front bas, butté sur ses prérogatives, possédant le droit, les chambres, les régions, les médias, mais autiste sur la réalité mouvante d’un peuple. Les élections partielles ont envoyé des signaux de contestation très claire : sept élections perdues sur sept à moins d’un an de la prise de l’Élysée par François Hollande, le FN à 48 % des voix en pleine terre socialiste !
Le propre des potentats « légaux illégitimes », c’est leur façon de se déplacer, escortés d’une impressionnante cohorte de policiers, persuadés qu’ils sont dans leurs fantasmes que des enfants fanatisés vont les frapper avec leurs doudous et que de frêles jeunes filles en tee-shirt rose vont les interpeller devant les caméras. Combien de rendez-vous ont-ils été annulés au dernier moment parce qu’on a signalé au ministre la menace d’un adolescent perché sur un lampadaire, brandissant, narquois, un drapeau bleu ? Cette frousse trahit l’état de dépression pathologique de ces idéologues de laboratoire.
Voyant s’effilocher les fondements de sa légitimité, dépassé par la dure loi de la réalité, en particulier économique, le pouvoir socialiste va dramatiser la situation. Il appellera à la rescousse le « pacte républicain » contre la guerre à l’extérieur et le complot intérieur : « Qu’un sang impur abreuve nos sillons. »
Ce qui n’était pas prévisible, c’est cette résistance inattendue. Une contestation éthique, très profonde comme un tsunami spirituel (et non religieux) venu du cœur de ces enfants orphelins de divorcés qui ont dit NON à une société de mort et de jouissance désespérée.
Ce n’est pas un hasard si leur hymne, qui supplantera la sanglante Marseillaise, est celui de l’Espérance. C’est un immense programme, fondamentalement politique.
Yves Meaudre est directeur général d’Enfants du Mékong, Grand Prix des droits de l’homme de la République française.
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[1]. Article 432-4 du code pénal : « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, d’ordonner ou d’accomplir arbitrairement un acte attentatoire à la liberté individuelle est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100.000 euros d’amende. Lorsque l’acte attentatoire consiste en une détention ou une rétention d’une durée de plus de sept jours, la peine est portée à trente ans de réclusion criminelle et à 450.000 euros d’amende. »
[2]. La Révolution n’est pas terminée, Seuil, 2008.
[3]. Il est paradoxal qu’un État puisse autoriser l’existence d’un parti à qui l’on interdit toute alliance sous peine d’exclusion, d’excommunication ou de blasphème. Quelle que soit la teneur des théories développées il semble absurde de l’autoriser légalement et d’interdire des élus à y participer ou de faire alliance simplement. Soit on l’interdit, soit on respecte la règle du jeu démocratique.
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