COMMENT REFORMER ? (V) | L’hôpital public

Suite de notre réflexion sur la réforme : après les contradictions de la modernisation de l’État-providence, le caractère propre de la réforme d’un secteur non réductible à la technique et aux contraintes économiques.

L’HÔPITAL PUBLIC se présente en France comme la caricature du processus de réforme. Des vagues de réformes se succèdent, tendant à chaque fois, et à chaque fois sans succès, de brider la dérive des dépenses, par une multiplication de réglementations à la fois soviétiformes et américanisées.

L’accroissement inévitable des dépenses de santé, dû à l’accroissement de la longévité, ne pourrait être toléré que dans un système économique mondial ne bloquant pas notre croissance et ne tendant pas au nivellement des solidarités nationales. À défaut de remettre en question les règles du jeu, nous nous voyons forcés de vivre à crédit, et d’imposer en même temps la férocité d’une logique utilitariste et objectivante, à un domaine qui, par définition, relève de la juste générosité et du refus de s’en tenir à la réduction immorale de la personne à un objet.

La question de l’évaluation

Si la modernisation des matériels et des bâtiments est réelle, il faut regretter la régression du contact humain avec les patients, et le recul de la précision du dossier et du suivi médicaux, sous l’effet de la rationalisation des coûts via l’emploi intensif de l’informatique. Se pose alors la question de l’évaluation.

Aucune évaluation ne peut avoir de valeur sans « personnes intelligentes » (et non en vertu de procédures absurdement mécaniques). Là encore, il est à craindre que, au milieu des inévitables contradictions entre les indicateurs objectifs, et compte tenu de la subjectivité présidant à leur priorisation, la seule fonction effective de l’évaluation soit de justifier les décisions et le pouvoir de l’évaluateur.

Déficit de légitimité

Heureusement, ce qui empêchera toujours cet univers hospitalier de sombrer totalement dans le désespoir kafkaïen, c’est la noblesse émouvante et l’inéliminable bonté du rapport humain entre soignant et patient.

D’où le paradoxe de la France, qui compte tant de personnalités remarquables, à tous les niveaux intermédiaires et supérieurs, mais qui ne parvient pas à les mettre à sa tête. De là, sans doute, le déficit de légitimité d’une mince couche dominante — légitimité et confiance qui sont pourtant, nous l’avons reconnu auparavant — des facteurs décisifs du succès de la réforme. 

 

Henri Hude est philosophe, ancien élève de l’ENS, directeur du Pôle Éthique des Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan. Sur ce sujet, lire l'Ethique des décideurs (Économica, 2004). 

 

Articles précédents :
 Comment réformer ? (I) Réflexions préalables sur l’idée de réforme
 Comment réformer ? (II) L’extension indéfinie d’un pouvoir judiciaire sans contre-pouvoir
 Comment réformer ? (III) Idées sur la réforme territoriale  
 Comment réformer ? (IV) Les contradictions de la modernisation de l’État-providence

 

Prochain article :
 La gendarmerie

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