2014 : l’épreuve de vérité pour la dette française

La dette publique ? On dit que le problème est derrière nous, la rigueur est passée par là, la règle d’or a été votée, le redressement est en route. La preuve ? Les taux sont au plus bas, jamais on n’a emprunté à si bon marché, les marchés nous font confiance.

POURQUOI y revenir en ce début d’année ? Parce que le problème est loin d’être réglé et que 2014 risque d’être une année explosive, en particulier en France, car la reprise aux États-Unis annonce la fin du laxisme monétaire et donc des illusions créées par ce laxisme.

70 milliards de déficit = 173 milliards d’emprunts

Encore la dette ! Pourquoi aborder à nouveau ce sujet ? Après tout, si on prend le cas de la France, nous sommes en déficit depuis 1974, cela fait quarante ans, on n’est pas à un ou deux ans près. Les marchés se sont calmés. Le redressement des finances publiques est en route. Certes le déficit public est encore de 4,1% du PIB en 2013, mais il va se réduire, selon les chiffres du gouvernement, à 3,6% en 2014, puis à 2,8% en 2015, nous voilà bientôt au bout du tunnel, l’équilibre, avec la règle d’or (un déficit maximum de 0,5%) est en ligne de mire.

La réalité est plus compliquée. Le budget voté pour 2014 prévoit un déficit d’un peu plus de 70 milliards. Beaucoup doutent que cette prévision soit réaliste, car elle repose sur des hypothèses de croissance économique (+ 0,9%), peu crédibles. L’effet Laffer va en outre accentuer la mauvaise situation, puisque les taux d’imposition augmentent, ce qui réduira la matière imposable, donc les recettes, tandis que les dépenses risquent de ne pas être tenues.

Mais gardons cette hypothèse de 70 milliards. On pourrait penser que cela implique 70 milliards d’emprunts. Mais non, car on doit rembourser la dette antérieure arrivant à échéance. C’est le problème : si l’on est en déficit, on est hors d’état de rembourser les dettes arrivant à échéance. 116 milliards environ arrivaient à échéance en 2014. On en a remboursé 13 milliards en 2013, par anticipation, pour rembourser plus tôt celles qui sont à taux élevé, quitte à emprunter plus à taux plus faible. Il reste donc 103 milliards qu’on sera bien incapable de rembourser sur nos ressources, donc on les empruntera, remboursant ces dettes grâce à de nouvelles dettes. En gros, on empruntera cette année 173 milliards, dont 70 pour combler le déficit de l’année et le reste pour rembourser les emprunts antérieurs arrivant à échéance.

Le paiement des intérêts, premier poste du budget

Voilà qui peut sembler paradoxal : nous faisons des efforts de rigueur, puisque le déficit de l’année se réduit, du moins théoriquement, or la dette poursuit sa course folle et, même avec les prévisions officielles, elle passera de 93,4% à 95,1%.

Qui dit dette, dit charge de la dette : il faut payer les intérêts. Certes, jamais ils n’ont été aussi bas, la confiance dans la signature des États étant revenue. Pour notre pays, le taux le plus bas, pour la dette à dix ans, a été atteint milieu 2013, avec 2,23%. Résultat : la charge de la dette devrait être de l’ordre de 46 milliards en 2014, à peu près la même chose qu’en 2013. Mais cela constitue le premier poste de dépenses du budget de l’État, juste devant l’enseignement scolaire.

C’est là que les choses vont se gâter. En refusant les vraies réformes, nous serons incapables de bénéficier de la reprise mondiale. La croissance sera donc faible, et on aura beau tordre la courbe à l’aide d’emplois aidés, le chômage progressera. Comment pourrait-on réduire le déficit sans diminuer les dépenses publiques, et sans réformes boostant la croissance, donc les recettes ? Et comme la piste retenue est d’augmenter le taux des impôts, cela accentuera la crise et réduira les recettes. Nous ne respecterons pas nos engagements européens, le déficit va augmenter et la dette progressera encore.

Une dette détenue par les non-résidents

Bien sûr, on peut imaginer de continuer à emprunter à des taux raisonnables. Mais sera de plus en plus difficile. Depuis des semaines, les taux remontent et on annonce que les taux moyens à dix ans, pour la France, devraient être de 3,3% : un point de plus que le plus bas de 2013. Or un point, s’il s’appliquait à l’ensemble de la dette, c’est 20 milliards d’euros d’intérêt en plus. Certes, cela ne s’applique pas d’un coup à toute la dette, mais aux nouveaux emprunts et à ceux qui, arrivant à échéance, doivent être remplacés. Or les grandes vagues d’emprunts arrivent à échéance. Rien qu’en 2015, ce seront 150 milliards d’euros qui devront être refinancés, auxquels s’ajoutera le déficit 2015.

La réalité sera plus redoutable. La France est un des pays dont la dette est le plus largement détenue par les non-résidents (à plus de 63%), qui ne nous feront pas de cadeaux : tout reposera sur la confiance. Si la confiance revient, même dans les pays plus malades que nous, c’est parce qu’ils ont fait des réformes radicales, qui préparent le futur. Pas nous. Les marchés finiront bien par s’en apercevoir, comme l’ont déjà fait les agences de notation.

Demain, la hausse des taux

Pourquoi tout cela ne s’est-il pas encore produit ? Parce que, paradoxalement, le laxisme des politiques monétaires nous a momentanément servis. C’est là le problème. Les États-Unis, depuis les années 2000, et plus encore depuis 2008, ont pratiqué des politiques monétaires non conventionnelles (le quantitative easing), qui ont inondé le monde de monnaie ; l’Europe, avec retard et plus de modération, a fait de même. Les taux d’intérêt ont donc été très faibles et même quasi-nuls à court terme.

Mais la fête est finie. Certes, la FED (Banque centrale américaine) a annoncé qu’elle continuerait à pratiquer de faibles taux ; mais elle ne maîtrise que le court terme. Le long terme dépend beaucoup des anticipations, notamment inflationnistes.

Or la reprise est là aux USA, comme dans les pays qui ont réformé, même si elle est encore timide. Du coup la FED annonce que les injections de liquidités passent de 85 milliards de dollars par mois à 75, en attendant de disparaître peu à peu. Or cette politique, typique du stop and go, donne l’illusion que procure toute drogue dans un premier temps : l’argent est facile, abondant et bon marché ; tant mieux pour les États qui, comme le nôtre, doivent s’endetter ; puis, la reprise aidant, on redevient sérieux, le laxisme monétaire fait place à une certaine rigueur, l’argent est plus rare et plus cher. Pour les taux à court terme, l’illusion durera un temps, mais les taux à long terme se tendent déjà.

Ce n’est qu’un début. Demain, tous les États emprunteront plus cher, surtout dans les pays où se produira une crise de confiance. Or, faute de réformes, cela risque d’être le cas du nôtre. Dès la dernière semaine de 2013, les taux américains ont grimpé, au plus haut depuis 2011, entraînant ceux de l’Europe ; et ce n’est pas fini.

Le laxisme monétaire entraîne un jour ou l’autre une inflation ou des bulles spéculatives ; il donne le sentiment d’un argent abondant et bon marché ; nous allons maintenant goûter aux joies du resserrement monétaire et des taux plus élevés.

Ceux qui auront résorbé leurs déficits s’en sortiront ; ceux qui resteront surendettés recevront le choc de plein fouet. Le sevrage est toujours redoutable pour les drogués, surtout s’ils ont refusé de commencer à se soigner avant. Nous n’échapperons pas aux réformes nécessaires, à commencer par celles concernant les dépenses publiques, plus élevées en France qu’ailleurs ; les réformes sont toujours douloureuses ; mais elles le sont plus encore quand on les retarde indéfiniment et qu’on doit alors les faire en urgence.

 

Jean-Yves Naudet, président de l’Association des économistes catholiques, est professeur à l’Université d’Aix-Marseille.

 

 

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