[Source : Nouvelles de France]
La Constitution de la Ve République a doté la France d’un régime qui n’est pas présidentiel puisqu’il fonde l’action du gouvernement sur la majorité parlementaire.
Le général de Gaulle entendait distinguer l’action du Président, au-dessus des partis et élu pour sept ans, de celle du gouvernement soutenu par des assemblées élues pour cinq ans et susceptibles d’être dissoutes. Sa préoccupation première était de soustraire la politique française au jeu pernicieux des partis pour en confier la charge à un homme choisi directement par le peuple. L’une des critiques les plus fondées de sa conception soulignait que le choix d’un homme parmi d’autres sous-entendait que celui-ci fût rendu exceptionnel par les événements, par l’Histoire. Dans son cas, c’était évident. Après lui, il n’en fut plus de même. Alors, on se mit à détricoter la Ve République. Les partis réinvestirent la place. Les sept ans du candidat socialiste élu en 1981 lui permirent seulement de torpiller la majorité RPR-UDF élue en 1986 pour se faire réélire en 1988. Forts de cette expérience, les partenaires de l’une des cohabitations suivantes, Chirac et Jospin, hommes de parti tous deux, firent basculer le système. Le mandat présidentiel ramené à cinq ans s’achèverait désormais avec des élections qui précéderaient les élections législatives. Depuis, le Président élu décide pratiquement de la majorité législative qui le soutiendra. Les primaires organisées par la gauche puis maintenant par ce qu’on appelle la droite conduisent à ce qu’un parti décide du candidat à la Présidence et que l’élu fasse à son tour élire les députés de son parti. Notre système est donc un régime hyperprésidentiel mais dominé par les partis : aux antipodes de ce que souhaitait le général de Gaulle. Ceux qui ont été séduits par le modèle américain en imaginant que l’alternance des deux formations principales allait désormais rythmer notre vie politique se retrouvent avec le cirque électoral qui n’est pas l’aspect le plus reluisant des Etats-Unis mais avec le risque d’un pouvoir confisqué par un parti et un homme alors que l’équilibre est une clef de la politique outre-Atlantique. Le Président est démocrate, mais le Congrès, républicain actuellement. Avec la candidature de Donald Trump, les fatigués du système s’expriment encore à l’intérieur de celui-ci. En France, ils sont à l’extérieur et font tout pour que les remparts s’écroulent : Marine Le Pen à droite et Mélenchon à gauche, plus tous ceux qui tenteront leur chance en indépendants.
Le scénario actuellement le plus prévisible est que la gauche divisée à la fin d’un mandat désastreux sera laminée, et que le vainqueur de la primaire « de droite et du centre » l’emportera sur la candidate du Front National au second tour. Ce sont donc les électeurs de la primaire qui vont désigner le Président. De Gaulle ne pouvait être davantage trahi par ceux qui ont parfois le toupet de se réclamer de lui ! Qui sont les candidats de cette primaire ? Hervé Mariton a été évincé. Il avait fait une pré-campagne conservatrice en courtisant la Manif Pour Tous. Il vient de se rallier à Juppé. Ce n’est pas logique au plan des idées, mais c’est cohérent lorsqu’on veut être ministre. NKM a été retenue puisqu’il fallait une femme, mais son tropisme « gauche des beaux quartiers » la reléguera à une fonction décorative. Sans être passé par les fourches caudines du parti, puisqu’il a le sien, le PCD, Jean-Frédéric Poisson fera une honnête figuration avec le mérite de la fidélité à des valeurs. Jean-François Copé n’est pas vraiment candidat : il règle ses comptes et veut peser suffisamment pour exister à nouveau. Il en reste donc quatre. Il y a Juppé, le fort en thème, qui n’a pas été un Premier Ministre éblouissant et a participé à la boulette magistrale de la dissolution de 1997. Il tient la corde. Il y a , Sarkozy, le mauvais garçon, comme il l’a dit lui-même à Buisson, plein d’énergie, le chef de bande qui séduit les militants mais a laissé de son premier passage à l’Elysée un bilan douteux que des révélations assombrissent encore. Hollande l’a pris sous son aile pour aller rendre hommage à Shimon Pérès. C’est son meilleur adversaire pour avoir une chance d’être au second tour. Il mobilisera la gauche contre lui et Bayrou lui prendra les voix du centre. Il y a Le Maire, le gendre idéal, propre sur lui mais ennuyeux comme la pluie et enfin Fillon, l’héritier décevant de Seguin, qui a les meilleures idées, les plus propres à créer la rupture avec le déclin français. Mais a-t-il le caractère et la force de rendre le projet crédible ? Sur le plan économique, par exemple, chacun promet de rendre nos entreprises plus compétitives en abaissant les charges. Curieusement, Sarkozy qui avait réservé l’augmentation compensatrice de la TVA pour la fin de son premier mandat y renonce pour ne pas toucher au pouvoir d’achat. Le plus rigoureux est Juppé qui refuse de laisser grossir la dette. Le plus réformateur est Fillon qui préconise une transformation profonde des relations entre les salariés et leurs entreprises. Il veut aussi un référendum sur l’Union Européenne, contrairement à Juppé, et de façon plus nette que Le Maire et Sarkozy, mais aucun, même pas lui, ne propose un retour aux monnaies nationales qui, comme l’a montré François Heisbourg, européen convaincu, serait le seul moyen de moyen d’en finir avec l’impasse actuelle.
Le public des électeurs de la primaire ne va sans doute pas éplucher toutes les réformes proposées par les candidats. Il s’intéressera davantage, comme d’habitude, à leur personnalité, aux formules employées, au style des campagnes. Sarkozy a tenté un débordement par le dynamisme qui devait laisser sur place les trois autres comme dans les courses cyclistes qu’il affectionne. Le problème, c’est que les Français qui ont déjà connu « l’overdose » et à qui on rappelle les aspects inquiétants du personnage ont sans doute majoritairement besoin d’être rassurés par un homme qui ressemble plus au Chef d’Etat classique. Le tout est de savoir si un tel homme saura incarner la rupture dont la France a un urgent besoin. Si comme on semble le penser, la primaire d’un camp décidera pour le pays, alors la dérive de nos institutions aura atteint ses limites. Il faudra impérativement les changer pour que notre pays retrouve un fonctionnement démocratique.
Christian Vanneste