Article rédigé par Hélène Bodenez*, le 09 septembre 2011
Kafkaïen. L'erreur judiciaire que relate le film Présumé coupable de Vincent Garenq [1], récompensé par le Prix du meilleur film européen à la Mostra de Venise, montre ad nauseam le scandale de l'impossible acquittement que cherche pourtant un innocent acculé à prouver son innocence. Face à lui, un juge qui ne fait pas son travail de juge d'instruction, à savoir prouver la culpabilité de celui qu'il accuse. D'où le titre. Englué dans l'inflexibilité du jeune juge Burgaud (Raphaël Fernet) épris de son autorité, de sa fatuité cassante, Alain Marécaux se trouve un matin d'automne pris au piège d'une machine qui le broie sans pitié. L'huissier de justice qui avait prêté serment de la servir, elle la justice, est trahi par les siens.
Depuis le début de l'affaire d'Outreau, les années ont passé, mais malgré la date tardive, 2011, n'attendons plus davantage pour un mea culpa. La séance de cinéma se veut plus qu'un moment de fiction. Elle réunit l'aréopage qui vaut réhabilitation populaire. La justice avait été jusque-là si peu rendue au nom du peuple ! Inouï quand on sait que les mécanismes de l'emballement judiciaire sont connus. L'arbitraire n'a-t-il pas été bien analysé à la faveur des injustement accusés Calas, Dreyfus, Seznec, Dominici... ? Pas encore assez, semble-t-il, l'abus de pouvoir reste toujours de même facture, toujours aussi énergique à faire plier, à écraser. Les leçons du passé ne serviraient-elles donc pas ? Eh bien non, les mécanismes de l'erreur judiciaire font toujours aussi froid dans le dos surtout lorsque vous vous dites, devant l'écran, que cela pourrait finalement bien vous arriver.
Un triste matin, tout bascule pour un père de famille lambda. Une horde de policiers et d'hommes de loi déboule sans ménagement dans une maison endormie qui ne s'attend à rien, crie, malmène, tutoie grossièrement. Commence la descente aux enfers de la garde à vue sordide, des interrogatoires malhonnêtes, des fouilles au corps, des humiliations indignes, d'une déshumanisation dégradante. Les lettres du greffe se succèdent lourdes des refus de mise en liberté. La détention inique durera presque deux ans. Deux ans de prison pendant lesquels la lutte d'Alain Marécaux joué par un bouleversant Philippe Torreton semble à chaque fois un peu plus en péril : mort de sa mère que la calomnie anéantit, mise en vente de son étude d'huissier, défection incompréhensible de l'épouse, accusations terribles de son propre fils. Pas de lumière au bout du tunnel. Pas d'espérance malgré la prière balbutiée, malgré l'avocat tenace, malgré les soutiens d'un père et d'une sœur fidèle[2]. Les plans froids et noirs se succèdent, très crus, les larmes coulent, les tentatives de suicide et la grève de la faim font frémir. Sordides heures tendues vers un générique de fin sans musique.
Et maintenant la vie en moi s'écoule, les jours d'affliction m'ont saisi (Jb 30, 16)
Alain Marécaux le dira lui-même : on l'aura dépouillé de tout. Il y a quelque chose de Job dans cette épouvantable histoire, dans ce corps décharné au bord de la mort que lave une religieuse. On lui aura de fait tout enlevé. Certains auront beau vouloir encore et encore accuser, le propre de l'innocent, comme Calas, c'est qu'il est prêt à mourir pour prouver qu'il l'est.
L'ubuesque procès de Saint-Omer dans le Pas-de-Calais en 2004 révèle au grand jour le dossier mal monté, le manque de rigueur coupable d'un juge qui n'a de compte à rendre à personne, révèle la toute-puissance du président de la cour d'Assise qui n'acquitte pas tous les innocents et renvoie Marécaux une fois de plus en prison. Juges qui ne doutent pas, qui n'écoutent pas l'accusé pourtant présumé innocent dans le droit français. Juges qui chargent ici à leur guise des êtres humains qu'ils ne peuvent pas regarder dans les yeux. Juges qui ne retiennent pas les indices à décharge des avocats. Mais juges qui ne sont pas heureusement toute la justice.
Pour efficace qu'elle soit, la démonstration du cinéaste n'en demeure pas moins très éprouvante. Le film, sans jeter le discrédit sur toute la profession, met en lumière des dysfonctionnements énormes. Alain Marécaux est aujourd'hui libre. Mais l'affaire est-elle vraiment terminée quand on apprend il y a peu que le couple Lavier, acquitté également lors du procès d'Outreau, est à nouveau poursuivi pour corruption de mineur ? Difficile à dire. Gageons en tous les cas que l'officier ministériel qui a retrouvé sa charge ne pourra plus faire son métier d'huissier tout à fait comme auparavant.
[1] Auteur de Comme les autres, comédie sur l'homoparentalité.
[2] Les deux sœurs d'Alain Marécaux sont synthétisées en une seule dans le film.
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