Article rédigé par Dominique Marcilhacy*, le 23 avril 2010
En novembre 2008, le Conseil d'orientation des retraites (COR) a rendu un avis et des propositions sur la façon de réformer les majorations familiales des retraites. Toutes ces propositions étaient des scénarios de réformes destinées à faire des économies sur ces droits ou à les redistribuer à coût constant.
Elles reposent sur l'idée que ces majorations ne sont pas des droits contributifs (terme employé par Mme Morano, ministre de la Famille). L'objectif est donc d'en redéployer les sommes, estimées à 8% du montant total des retraites, soit environ 15 milliards d'euros.
Économiquement, pourtant, les majorations familiales sont, au contraire, les seuls éléments réellement contributifs des retraites.
Pourquoi ? Parce que les cotisations vieillesse des actifs ne sont pas capitalisées en vue de leur retraite. Elles sont immédiatement reversées aux retraités et dépensées par eux. Lorsque les actifs partiront à leur tour à la retraite, cet argent aura disparu depuis longtemps. C'est le système de la répartition .
La retraite par les enfants
Ce qui prépare la retraite des actifs, en répartition, c'est l'argent qu'ils investissent dans la génération à venir. Chaque génération doit payer elle-même ses retraites, non par les cotisations, comme certains l'imaginent, mais par sa descendance , tel est l'incontestable théorème d'Alfred Sauvy.
L'investissement dans la nouvelle génération représente, en France, 444 milliards d'euros de dépenses par an.
- 40% de celui-ci est financé par l'impôt ou les cotisations sociales. Cet argent sert à payer l'instruction des enfants, leur couverture maladie, l'assurance maternité et les prestations familiales ;
- 60% de l'investissement dans les enfants est à charge de leurs parents. Il s'agit de l'argent dépensé pour les faire vivre (net des prestations familiales) et de la valorisation (au SMIC) des heures de travail domestique effectuées pour eux.
En contrepartie de cet investissement, les enfants d'aujourd'hui paieront les retraites de demain. Ils assureront aussi à leurs vieux parents une couverture santé.
Une étude sur la contribution et la retraite des familles
Pour la première fois en France, ont été évalués, pour 52 cas représentatifs de ménages actifs les droits à la retraite de chacun selon sa carrière et le nombre d'enfants élevés, les capacités d'épargne de chacun, le montant de la contribution de chacun à l'investissement dans la génération à venir et, rapporté à l'investissement de chacun, combien cette génération nouvelle va payer de cotisations.
Combien les parents d'un jeune qui rentre dans la vie active, et au-delà d'eux tous ceux qui se sont cotisés pour son éducation, vont-ils recevoir en termes de retraite et en contrepartie de quel effort ? On serait tenté de laisser les chiffres parler d'eux-mêmes tant les ratios sont inéquitables :
Au fil des cas, il apparaît que :
- Le point d'équilibre entre effort fourni et retraite obtenue se situe autour de 3 enfants. Les ménages qui ont élevé 2 enfants ou moins (y compris les familles monoparentales) sont tous gagnants dans des proportions allant jusqu'à une rentabilité de 435% (cas du célibataire au SMIC sans enfant). Les ménages qui ont élevé 4 enfant ou plus sont tous perdants, les plus défavorisés affichant une rentabilité de 58% (cas des cadres parents de 5 enfants chez lesquelles la mère a interrompu son activité professionnelle à la naissance du deuxième enfant).
- Pour la Sécurité sociale, le bon plan , ce sont les enfants de cadres qui vont rapporter gros en termes de cotisations. Mais là encore, pas de lien avec l'effort de leurs parents, au contraire. Par exemple, les 5 enfants d'un cadre dont l'épouse est restée au foyer 20 ans puis a repris à mi-temps vont rapporter 2.189.000 € de cotisations (c'est le maximum parmi les 52 cas étudiés). Leurs parents n'auront que 1.068.000 € de retraite et ne pourront épargner que 336.000 €. Si ce couple n'avait pas eu d'enfant, il toucherait 1.436.000 € de retraite, aurait pu se constituer un capital de 1 660 000 euros pour un effort personnel de 633 000 au profit de la génération chargée de lui payer sa retraite...
- Plus grave : non seulement les parents de famille nombreuse n'ont pas une rétribution équivalente à leur apport, mais leurs droits à la retraite sont sensiblement inférieurs à ceux des autres : un couple au SMIC qui a élevé 5 enfants aura contribué 3,4 fois plus que les autres à la préparation des retraites de sa génération. Mais ses droits propres seront inférieurs de 11%. Pour un couple de profession intermédiaire, la contribution est 2,9 fois plus forte et la retraite intérieure de 24%. Pour les cadres, la contribution est 1,4 fois plus forte et la retraite inférieure de 38%...
Comment expliquer de telles distorsions ?
1/ Parce que, dans un système où l'on compte pour du beurre l'effort éducatif des parents, on occulte totalement l'action des mères de famille. Or, avec une famille nombreuse, leur carrière professionnelle est très perturbée .... Ainsi, une mère de 4 enfants au foyer n'a droit qu'à une retraite mensuelle de 610 € (SMIC), 580 € (prof. interméd.) ou 260 € (cadre). Si elles avaient eu la force d'ajouter 45 à 60 heures de travail domestique hebdomadaire à 35 heures de bureau, elles auraient droit à une pension de 1.210 €, 1.820 € ou 2.750 € par mois.
2/ Parce que les enfants coûtent cher et prennent du temps. Même en valorisant ces coûts forfaitairement (ce qui a été fait dans l'étude), l'effort accompli par les familles nombreuses n'est pas payé à son prix... et (double peine) plombe durablement leur épargne.
Les bonus enfant sont loin de compenser les mauvais taux de rendement de l'effort des parents de famille nombreuse. Ils les atténuent toutefois sensiblement par des mécanismes variables : pour les SMICards et les professions intermédiaires, c'est en en raison de l'effet positif des années validées grâce à l'assurance vieillesse des parents au foyer. Ainsi un couple au SMIC qui a élevé 3 enfants et pour lequel l'épouse est restée au foyer bénéficiera d'un bonus enfant de 150.000 € sur une retraite de 568.000 €.
Dans la même configuration, un couple de profession intermédiaire aura un bonus enfant de 165.000 € pour une retraite totale de 713 000 €. Mais les épouses de cadres n'ont pas eu droit à l'AVPF, soumise à conditions de ressources. Pour elles et leur mari, ce sont les majorations de pension (principalement celles de l'AGIRC) qui vont jouer : avec une femme au foyer et trois enfants, le cadre aura 172.000 € de majorations familiales sur 1.460 000 € de retraite.
Autant dire que la suppression / diminution / ré-affectation des majorations familiales des retraites serait une criante injustice pour les familles nombreuses, déjà lourdement pénalisées au dépens de autres et dont notre système de retraite tire profit de façon indécente.
*Dominique Marcilhacy a publié De la contributivité en matière de retraite , Droit Social, juillet-août 2009. L'étude complète est en ligne : http://www.uniondesfamilles.org/DOSSIER-PRESSE-majorations-famille-UFE-08.pdf
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