Article rédigé par Marc Le Fur, le 13 février 2004
J'appartiens à l'UMP mais j'ai le sentiment d'exprimer une opinion divergente, sinon minoritaire. J'en remercie d'autant plus la famille politique à laquelle j'appartiens, et Jacques Barrot en particulier, d'autoriser non seulement le débat interne mais l'expression publique de cette opinion singulière.
Ce projet m'inquiète. Pourquoi ? Je crains que les autres religions, et notamment les confessions chrétiennes n'en subissent les effets collatéraux. Je m'explique.
En parlant de " signes religieux " ce projet globalise une question initialement singulière, celle du voile et, demain, ceux qui seront chargés de mettre en œuvre ce texte, pour ne pas se faire accuser d'islamophobie seront amenés, presque automatiquement, à sanctionner tantôt de jeunes musulmanes portant le foulard, tantôt de jeunes juifs portant la kippa, tantôt de jeunes chrétiens portant la croix.
S'ils limitaient leurs sanctions aux seules jeunes musulmanes ils se verraient immédiatement accusés de délit de faciès. Déjà, des difficultés apparaissent dans des communautés mineures : on entend les récriminations des sikhs, des assyro-chaldéens, autant de communautés qui ne posaient aucun problème jusqu'à présent.
Cette inquiétude diffuse parmi les croyants de toutes confessions est renforcée par le fait que les promoteurs de ce projet et, demain, tous ceux qui appliqueront ce texte n'ont pas la même conception de la laïcité.
Le mot est, il est vrai, très ambigu. II existe une conception de la " laïcité neutralité ", qui insiste sur la tolérance à l'égard de toutes les formes de religions. Mais il existe aussi, et notre histoire en témoigne, une laïcité de combat qui récuse toute conviction religieuse et qui associe toutes formes de culte et de croyance à je ne sais quel archaïsme.
Certains partisans de ce projet s'inscrivent explicitement dans une conception intégriste de la laïcité qui voudrait confiner toute conviction religieuse à un espace strictement privé.
Nier l'apport social des grandes religions, et notamment des religions du Livre, serait commettre une agression à leur égard et reviendrait à nier leur capacité à susciter la générosité, la fraternité, l'altruisme, autant de vertus civiques utiles à l'ensemble de la collectivité nationale.
J'ai la conviction que nous aurions pu traiter autrement la question du voile en évitant de stigmatiser les convictions religieuses. Il aurait fallu pour cela prohiber l'ensemble des signes agressifs qu'ils soient de nature politique, philosophique ou religieuse.
Cela aurait permis non seulement de résoudre le problème du voile, que je considère surtout comme un signe d'appartenance politique - la religion dans cette affaire n'étant qu'un prétexte - mais aussi d'autres questions. Je prends un seul exemple : demain, le port du voile sera interdit, mais celui du keffieh sera autorisé puisqu'il est porté par tous les Palestiniens quelle que soit leur confession. Il n'est donc pas un signe d'appartenance religieuse. Pourtant le keffieh peut apparaître à juste raison, en particulier pour de jeunes juifs, comme un signe d'agression.
Je m'inquiète pour la liberté, disais-je.
Je m'inquiète aussi pour l'intégration. Si la grande affaire c'est l'intégration, est-il bien raisonnable de commencer par stigmatiser et par exclure ? Autant il faut combattre toutes les formes de communautarisme avec la plus grande énergie, autant ce serait une erreur de voir dans tout sentiment d'appartenance, dans toute expression d'une identité, l'affirmation d'un quelconque communautarisme.
Il n'y a communautarisme que lorsqu'une communauté agresse les autres composantes de la nation. Dans un univers mondialisé les communautés, lorsqu'elles sont ouvertes, créent du lien social.
Beaucoup d'individus ballottés par la vie y trouvent chaleur, échange et solidarité. Ces communautés humaines peuvent être une première étape de l'intégration. Elles sont dès aujourd'hui présentes dans l'espace public, dans les médias, sur la bande FM, dans les grandes agglomérations.
Entre la nation et l'individu il existe, qu'on le veuille ou non, des familles des groupes, des corps intermédiaires. Ne pas en tenir reviendrait à nier la réalité et à tomber dans un jacobinisme d'un autre âge qui ne reconnaîtrait que la nation et l'individu isolé.
Se sentir bien dans sa famille, ressentir sa famille comme admise dans la nation, n'est-ce pas le préalable à l'intégration ?
Notre histoire en est la preuve : l'intégration des catholiques dans la République n'est pas due aux mesures adoptées en 1905 qui exacerbèrent les passions, mais bien plus à l'apaisement des années 1920 ou aux lois Debré du début de la Ve République, qui, tout à la fois, reconnaissaient l'apport des catholiques à l'enseignement et pacifiaient les relations entre la République et eux.
Le grand défi républicain réside désormais dans la sécularisation de l'islam. Dans cet esprit, je suis prêt à prendre le pari que l'histoire retiendra la création du Conseil du culte musulman comme un élément positif de l'intégration car cette instance doit permettre l'instauration d'un dialogue organisé entre la République et les français de confession musulmane.
De même, il me semble autrement plus important de promouvoir des élites issues des communautés d'origine étrangère que de montrer du doigt des jeunes filles dans l'erreur.
Je m'inquiète pour la liberté. La famille politique à laquelle j'appartiens a toujours privilégié la liberté à la laïcité. Qu'on le veuille ou non, la hiérarchisation de ces deux valeurs a tracé la ligne de partage entre la droite et la gauche.
La liberté de conscience, la liberté d'expression sont pour moi des valeurs premières auxquelles on ne peut déroger que pour des raisons d'ordre public. Ces jeunes filles voilées peuvent nous surprendre, nous agacer, nous choquer, mais elles ne constituent pas, par elles-mêmes, des menaces à l'ordre public.
C'est pour cela que je souscris sans réserve à l'amendement de M. Edouard Balladur : il ne peut y avoir de limitation à la liberté que pour des motifs d'ordre public, et les menaces qui pèseraient sur l'ordre public doivent être appréciées en tenant compte des circonstances, de temps et de lieu.
En tant que législateur, je m'inquiète pour la majesté de la loi, qui doit être respectée. Le sera-t-elle plus que les circulaires ? [...]
Si le phénomène du voile devient massif, exclurons-nous des établissements publics des centaines de jeunes filles ? Si nous ne le faisions pas, cette loi serait un coup d'épée dans l'eau. Si nous le faisons, où iront-elles ? Le respect de l'obligation scolaire n'exigera -t-il pas alors la création d'écoles confessionnelles musulmanes ? L'intégration y aura-t-elle gagné ?
Ce projet de loi doit, nous explique-t-on, aider les chefs d'établissement confrontés aux difficultés que l'on sait. Or le débat sur le port de la barbe qui s'est tenu en commission dépasse l'anecdote et révèle, ô combien ! les difficultés d'application que suscitera le texte. La barbe, parce qu'elle est pour certains jeunes musulmans l'occasion d'exprimer leur appartenance, est à l'évidence le pendant masculin du voile. Faut-il pour autant l'interdire ?
Ne pas le faire aboutirait à limiter la sanction aux jeunes filles voilées, ce qui serait pour le moins paradoxal. Le faire obligerait à se poser la question des autres jeunes hommes qui portent la barbe sans pour autant affirmer une quelconque conviction politique. Mais nous refusons de traiter ces questions. Nous les renvoyons, telle la patate chaude, aux chefs d'établissement. C'est dire que poser le principe ne suffira pas. Il est à craindre, au contraire, que ce texte ne crée plus de problèmes qu'il n'en résoudra.
Je m'inquiète enfin pour notre pays, qui à l'occasion de ce texte se singularise : nos débats surprennent, en effet, de nombreux pays voisins. Il suffit de feuilleter la presse étrangère pour s'en rendre compte. Alors que de nombreux pays se posent le problème de l'intégration, nous sommes parmi les seuls à le poser en ces termes. On peut avoir raison tout seul, mais reconnaissons que c'est assez rare. Sachons avec humilité regarder ailleurs, vers des pays qui ont réussi à intégrer des communautés et dont nous pourrions nous inspirer.
J'espère me tromper, mais j'ai la conviction, et j'ai tenu à l'exprimer, que ce texte non seulement ne résoudra pas la question du voile, mais posera des problèmes d'une autre nature. Bref, je crains que ce texte ne cause davantage de dommages qu'il n'apporte de solutions en exacerbant les tensions latentes qui existent dans notre société.
Marc Le Fur est député des Côtes d'Armor. Intervention à l'Assemblée nationale, le 3 février 2004.
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