Article rédigé par Dominique Marcilhacy*, le 20 février 2006
Combien y a-t-il d'enfants pauvres en France ? Selon le seuil retenu pour définir la pauvreté (40 % ou 50% ou 60 % du revenu médian par unité de consommation) le Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC) évalue leur nombre à 300.
000, un million, ou deux millions. Une certitude, toutefois : 1,6 million d'enfants appartiennent à des familles bénéficiaires d'un des quatre minima sociaux : 750.000 enfants pour le RMI, 410.000 pour l'Allocation de solidarité spécifique (ASS) versée aux chômeurs en fin de droit, 295.000 pour l'Allocation de parent isolé (API), et 175.000 pour l'Allocation pour adulte handicapé (AAH).
À quelques exceptions près (ceux dont les parents ont resquillé), ces enfants peuvent raisonnablement être considérés comme défavorisés. Une question se pose : les minima sociaux tiennent-ils convenablement compte d'eux ? Autrement dit, le calcul des droits sociaux intègre-t-il la présence des enfants au sein du foyer pauvre de telle sorte qu'un ménage allocataire ayant des enfants ait un niveau de vie égal à celui de la personne seule ou du couple sans enfant bénéficiaire d'un revenu minimal ?
Une étude réalisée en 1998 (1) montrait une forte inégalité au détriment des allocataires ayant des enfants, et particulièrement des adolescents, ainsi qu'au détriment des familles comportant un couple parental. L'actualisation des calculs pour 2005 montre que la situation s'est améliorée, notamment grâce à deux réformes, du RMI et des allocations de logement. Cependant, ce "mieux" a été rongé par la baisse du pouvoir d'achat relatif des dites allocations : en 1998 le RMI et les allocations logement assuraient à un couple avec deux enfants un revenu inférieur de 31 % au seuil de pauvreté. La proportion est toujours de 31% en 2005 : ce sont les ménages sans enfant qui ont vu leurs allocations se dégrader. Le sort des familles élevant des adolescents, lui, s'est légèrement amélioré du fait de l'allongement de la durée de versement des prestations familiales et du cumul désormais possible entre le RMI et les majorations pour âge des allocations familiales.
Un deuxième constat est que le montant des allocations de logement reste notoirement insuffisant : pour 14 m2 (taille minimum légale du logement) un célibataire au RMI paye en moyenne 140 € de loyer et touche 107 € d'allocation. Le couple avec cinq enfants paye 790 € pour 86 m2 (id) et touche 374 €. L'allocation est multipliée par 3,5 mais le loyer est multiplié par 5,6 !
Troisième constat, l'État s'enrichit sur le dos des enfants pauvres ! En effet les prestations familiales qu'il verse aux enfants bénéficiaires des minima sociaux sont inférieures à ce qu'il leur verserait si leur parent gagnait le SMIC : un parent isolé avec trois enfants aurait droit à 1003 € de prestations familiales s'il gagnait le SMIC. Avec le RMI, il n'aura que 700 € pour ses trois enfants, avec l'AAH ou l'ASS il n'aura que 919 €, avec l'API que 699 €. On peut évaluer à 1,5 milliard l'argent que l'Etat économise ainsi sur le dos des enfants pauvres.
4e constat : les enfants pauvres souffrent d'une criante hétérogénéité de traitement. Au nom de quoi les quatre enfants d'un parent isolé au RMI doivent-ils se débrouiller avec 1 772 € alors qu'ils peuvent bénéficier de 2 154 € si leur parent est chômeur de longue durée et 2 429 € s'il est handicapé ?
5e constat : les enfants sont sensiblement moins bien traités que les adultes. Par exemple, l'AAH assure un niveau de vie de 963 € par mois au célibataire handicapé. S'il se marie et élève deux enfants, l'Etat n'assurera à sa famille qu'un niveau de vie de 550 € par personne. Autre exemple, le plafond d'accès à la CMU gratuite est exactement le même pour un célibataire et pour un couple avec cinq enfants...
6e constat : les enfants qui ont leurs deux parents restent pécuniairement défavorisés par les minima sociaux. Au motif que l'augmentation des familles monoparentales est un phénomène nouveau et que 30 % d'entre elles vivent dans la pauvreté, on a réduit le problème des enfants pauvres à celui des parents isolés. Or, s'il y a 503.000 enfants dans ce cas, il y en a 1 635.000 qui vivent dans des couples. Les minima sociaux progressent de façon à peu près équitable en fonction du nombre d'enfants pour les parents isolés mais pas pour les couples : les deux enfants d'un parent isolé se voient garantir le même niveau de vie qu'un célibataire avec l'AAH, l'ASS et le RMI mais les deux enfants d'un couple n'ont droit qu'à 65 % de celui-ci avec le RMI et 88 % avec l'ASS. On retrouve cette discrimination dans un très grand nombre de prestations sociales (cantines, secours, ...)
7e constat: c'est encore la catastrophe lorsque les enfants grandissent ... car, à partir d'un certain âge, ils font plonger leur famille dans une véritable misère. Deux ados élevés par leurs deux parents au RMI vivent 38 % au dessous du seuil de pauvreté. Même avec un parent qui gagne le SMIC, les ados n'échappent pas à la pauvreté : s'ils sont deux, ils vivent à 16 % en dessous de ce seuil.
8e constat : les enfants de familles nombreuses restent pénalisés. 520.000 enfants pauvres vivent dans des fratries de quatre ou davantage. Avec 1 900 € par mois, une famille de cinq enfants vit 30 % en dessous du seuil de pauvreté ! C'est ce que lui garantit le RMI... Concrètement, elle ne dispose que de 590 € par mois pour manger (2,8 € par personne et par jour) alors que le minimum décent est de 1.130 € ...
Entre 1990 et 2000, partout en Europe, la pauvreté des enfants s'est accrue, du fait de la récession économique. Certains pays n'ont rien fait (l'Italie, par exemple). D'autres ont pris le problème à bras le corps, comme le Royaume Uni. Il n'y a pas de recette miracle... mais pas de résultat sans y mettre les moyens financiers.
Trois mesures d'urgence devraient être envisagées :
- une revalorisation du RMI de 200 € par mois pour chaque enfant de plus de 14 ans,
- la parité du montant des minima destinés aux couples et de ceux des parents isolés,
- Le prolongement du versement des prestations familiales jusqu'à 22 ans.
Ces mesures sont aisément finançables si l'État veut bien renoncer aux économies qu'il fait sur le montant des allocations familiales destinées aux enfants pauvres (1,5 milliards d'Euros)
À plus long terme, il est évidemment indispensable d'établir des objectifs chiffrés et vérifiables, de refondre les quatre minima en un système unique, cohérent et suffisant, et de mieux tenir compte des enfants dans l'ensemble des prestations sociales.
*UFE-Union des familles en Europe
(1) J. Bichot et D. Marcilhacy, Futuribles, 1998.
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