Article rédigé par Fondation Jérôme-Lejeune*, le 08 juin 2007
La Haute Autorité de la santé (HAS) va recommander au ministère de la Santé un dépistage plus précoce de la trisomie 21, en se fondant sur une étude menée auprès de 22.
000 femmes. La Fondation Jérôme-Lejeune dénonce cette recommandation et la volonté d'éradication des trisomiques qu'elle signifie.
Le professeur Rozenberg, un des responsables de cette étude, rappelle que l'amniocentèse est "un acte qui est loin d'être anodin puisqu'on estime qu'il entraîne le décès d'1 fœtus sur 100 . D'où l'idée de cette combinaison d'examens avec des critères affinés, ce qui permettrait selon l'étude de diviser par trois le nombre d'amniocentèses, donc de diminuer le nombre de morts de fœtus par la faute de cet examen. Pourquoi pas ? Encore faut-il préciser que ce nouveau bouquet de mesures ne supprimera pas le dépistage du second trimestre pour ceux qui le désireront.
Mais les auteurs de l'étude ne s'en cachent pas : le but est de recommander un dépistage plus précoce, lors du premier trimestre de la grossesse pour faciliter l'interruption médicale de grossesse de l'enfant porteur de trisomie 21. Nous y voilà... Ce diagnostic in utero serait utile si la trisomie 21 était une maladie que l'on savait guérir, ce serait le premier pas vers la guérison. Mais il n'en est rien. Il s'agit de rendre plus performant le dépistage et donc le taux d'IMG/enfant trisomique conçu : plus tôt, plus sûr, plus efficace... Et la mise en œuvre de ce dépistage serait assortie d'un programme d'assurance qualité, reposant sur un contrôle qualitatif (grilles, scores) et quantitatif (suivi des statistiques au niveau régional et national). Afin de réduire au maximum ce fameux taux d'échappement dont parlent nos organismes de santé pour désigner les enfants trisomiques qui sont passés à travers les mailles du filet.
Tolérance zéro
La réalité en France c'est que l'on s'achemine, rapidement et sûrement vers une tolérance zéro. Tolérance zéro de l'enfant malade, de l'enfant malformé, de l'enfant différent. Les chiffres et la jurisprudence sont des signes que nous ne devrions pas prendre à la légère : Chaque année l'État dépense 100 millions d'euros pour le dépistage prénatal, mais n'a aucune politique de recherche pour guérir les personnes trisomiques.
98 % des enfants trisomiques dépistés in utero sont avortés.
Pour la Cour de cassation l'enfant trisomique est un préjudice moral, esthétique et financier et pour la Sécurité sociale l'enfant malade est un préjudice financier (cf. dans l'affaire Perruche, la Sécurité sociale avait demandé réparation considérant que la naissance de cet enfant handicapé lui avait coûté trop cher...)
Le 19 juillet 2005 les frères d'une petite Catalina, trisomique, ont été indemnisés pour préjudice moral et affectif du fait de la naissance de cette petite sœur trisomique.
Les parents sentent le reproche dans les yeux des passants ou du médecin : "Comment avez-vous pu laisser passer ça ? Avec tous les tests possibles !" Et ce sont les femmes sur lesquelles s'exerce cette pression sociale et financière !
Qui a mesuré l'indignation des parents concernés aux propos d'un généticien en vogue parlant du dépistage en France ? "Une vraie passoire qui entraîne chaque année un millier de naissances trisomiques..." "Qu'ils nous donnent leur adresse ceux qui sont contre le dépistage d'enfants trisomiques, ils se chargeront de les élever..."
Halte au délit de faciès
Imaginons un dialogue entre un médecin et son patient trisomique, dans le sein de sa mère :— Vous avez une large nuque, mon enfant et un petit os du nez...
— Docteur, vous êtes très savant, vous savez beaucoup de choses.
— C'est pour mieux vous tuer mon enfant, puisque je ne sais pas vous soigner. Cauchemar ou réalité ? Est-ce la seule médecine de demain que nous serons capables d'offrir à nos enfants handicapés et malades ?
Alors il faut cesser les déclarations dégoulinantes de bons sentiments et de fausse compassion sur les personnes handicapées. Ils nous gênent, ils vous gênent, vous n'en voulez pas, vous ne voulez pas les laisser vivre. Nous organisons une politique de délit de gueule, de chasse au faciès, de racisme chromosomique... Cette recommandation est l'étape supplémentaire d'une politique qui nous achemine vers une société parfaite-ment eugénique. Le racisme chromosomique est pourtant horrible comme toutes les autres formes de racisme.
Ne prenez pas les femmes en otage en leur faisant supporter seules cette politique policière de la reproduction parfaite, modèle, idéale. Si elles avortent c'est bien souvent parce qu'elles n'ont pas le choix de garder leur enfant handicapé, de le faire prendre en charge, de le soigner, de pouvoir rêver à un avenir pour lui. Rien n'est fait pour les aider. Ne leur faisons pas porter le poids de notre culpabilité de bien portants, bien pensants, bien installés...
Qui arrêtera la machine emballée ?
C'est un crève cœur de voir que l'élan de notre société se traduit par une course à la performance dans le dépistage. Qui le souhaite au fond ? Les femmes désirent être aidées dans l'accueil de leur enfant, les médecins, échographistes et gynécologues sont de plus en plus nombreux à exprimer leur malaise, les observateurs et éthiciens commencent à s'alarmer. Qui osera arrêter la machine ? Faudra-t-il attendre le jugement sévère des générations à venir ?
Les parents attendent de l'État et du corps médical une aide généreuse sur le plan médical : la recherche à visée thérapeutique. Car c'est de soins qu'ont besoin leurs enfants. Quel patient accepterait que tous les efforts de recherche publique soient investis pour mieux l'éliminer de la scène ? On ose cette politique parce qu'ils sont handicapés mentaux et ne peuvent pas se défendre. Qui entendra leur cri ?
Heureusement il y a quand même quelques équipes pionnières qui cherchent à guérir ces enfants. Dans le monde. Mais peu en France. La Fondation Jérôme-Lejeune, elle, a choisi l'avenir : nous finançons chaque année 100 programmes de recherche dans le monde et recevons en consultation médicale spécialisée 4000 patients handicapés mentaux à qui on peut apporter beaucoup. De ceux-là, qui s'en préoccupe ? On aimerait plus souvent entendre parler de soin, de recherche et d'accueil que d'éradication.
*La Fondation Jérôme-Lejeune
. 80 00 donateurs
. 1er financeur en France de la recherche sur la trisomie 21,
. 100 programmes de recherche financés chaque année dans le monde pour 2 millions d'euros,
. 1er centre de consultation médicale spécialisée pour les maladies génétiques de l'intelligence : 4000 patients.
. 1er site francophone de bioéthique : www.genethique.org
Photo : www.trisomie.qc.ca
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