Article rédigé par Christine Sourgins*, le 30 juin 2006
Le prix Marcel-Duchamp (considéré comme le "pape" de l'art le plus contemporain) est remis, lors de la Fiac, par un jury international d'experts, de collectionneurs et d'amateurs, pour contribuer "au rayonnement international de la scène française".
Claude Closky, lauréat 2005, expose jusqu'au 31 juillet au Centre Pompidou, on peut donc aller vérifier le "rayonnement" sidérant et sidéral émis par une quinzaine d'écrans vidéo, incarnation de la quintessence de l'art contemporain français.
Dans une immense salle, un seul écran fonctionne à la fois (4 à 20 secondes) ; ensuite il s'éteint, redevient bleu, et l'écran voisin s'allume aussi brièvement. Les spectateurs suivent le Manège (titre de l'œuvre, voir photo), en effectuant une rotation sur eux mêmes ; ou opèrent consciencieusement un tour de salle pour essayer de comprendre la série d'images qui défile.
"L'épuisement du corpus"
La brochure de Beaubourg dit explicitement de ces images que "leur définition est faible, et [que] les sujets traités ne se veulent ni spectaculaires ni esthétisants" ; ailleurs on qualifie ces "innombrables" schémas, clichés, ou détails agrandis, trouvés sur l'Internet, d'absurdes, d'insignifiants. "On ne parvient jamais à l'épuisement du corpus dont les limites restent indécelables car c'est un système aléatoire qui distribue l'ordre de leur passage, autorisant leur retour éventuel" (sic). Quand Beaubourg écrit que Closky dilue "les effets d'univocité du sens, remettant formes et signes en circulation", on sent bien qu'il nous faut circuler parce qu'il n'y a rien à voir. D'autant qu'il n'y a pas grand chose à entendre non plus, l'accompagnement sonore étant tiré "des conventions de la musique commerciale".
Rien, ou presque, à entendre ; peu à voir ; pas grand chose à comprendre : notre esprit est incapable de mémoriser quoi que soit. On sort donc de la salle, la cervelle vidée, avec sept lettres clignotant au fin fond de la conscience : le cerveau a enregistré le seul message fixe qui se répète de moniteur en moniteur : le nom du fabriquant.
Et dans le vertige du manège des signes aléatoires, S.a.m.s.u.n.g devient le salut de nos neurones sous alimentées... Samsung acquiert une qualité métaphysique, et dans ce tournis d'inanité sonore et visuelle, Samsung incarne la puissance et la pureté de l'Être qui resplendit du néant...
Enfin ! Le commun des mortels accède à l'extase, grâce à l'art contemporain. Une extase à la hauteur de notre société consumériste : l'extase publicitaire !
Au chapitre "sponsors", la brochure ne cite pas Samsung qui a donc doublé les mécènes (la firme coréenne aurait passé un contrat de partenariat avec les musées, murmure-t-on... pour le plus grand resplendissement de notre industrie nationale). Le prix Duchamp est, en réalité, constitué du tandem Closky-Samsung, qui fonctionne en illustrant la phrase d'Orwell dans 1984 : "Nous allons vous pressez jusqu'à ce que vous soyez vides, et puis, nous vous remplirons de nous-mêmes"...
*Christine Sourgins est historienne de l'art, auteur des Mirages de l'art contemporain, La Table ronde, 2005.
Pour en savoir plus :
■ Sur l'exposition Claude Closky "Manège", Paris, Centre Pompidou, 17 mai-31 juillet 2006
■ D'accord, pas d'accord ? Envoyez votre avis à Décryptage
■