Affaire Sébire : le gouvernement sous pression
Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin, le 20 mars 2008

La justice française a rejeté lundi 17 mars la requête de Chantal Sébire demandant une mort administrée , corroborant la loi relative à la fin de vie votée à l'unanimité par le Parlement en avril 2005.

Deux jours plus tard, le Premier ministre confie à son auteur, le député Jean Léonetti, une mission d'évaluation visant à faire des propositions sur les insuffisances éventuelles de la loi en vigueur. Et le même jour, le ministère de l'Intérieur a annonce que la malade a été retrouvée morte à son domicile. On ne connaît pas les causes de son décès.

LE VERDICT du TGI de Dijon ne faisait pas le moindre doute. Conformément aux réquisitions du procureur de la République, les juges rejetaient la demande de Chantal Sébire. Atteinte d'une tumeur des sinus incurable, elle avait saisi la justice en réclamant le droit d'être euthanasiée par un médecin.

Depuis le début, l'affaire est orchestrée par l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) qui croyait tenir dans le cas de cette femme de 52 ans le moyen de relancer le débat sur la légalisation de l'euthanasie et de porter un coup fatal à la loi du 22 avril 2005, dite loi Léonetti. L'affaire Vincent Humbert, dont les dirigeants de l'époque s'étaient emparés, ne leur avait en effet pas permis d'aboutir à la dépénalisation de la mort par pitié . Je ne suis pas un charognard déclare le nouveau président de l'ADMD, Jean-Luc Romero, à la journaliste du Figaro qui l'interroge au début de l'affaire (27 février 2008). On sait pourtant que l'ADMD, qui ne se satisfait pas de la loi française, attendait en embuscade un nouveau drame de la fin de vie.

Instrumentalisation

Le bureau du lobby pro-euthanasie est très vite sur le pied de guerre pour avancer ses pions. Maître Gilles Antonowicz, l'avocat de Chantal Sébire qui dépose la requête auprès du TGI, n'est autre que le vice-président de l'ADMD et le responsable de sa commission juridique. Le docteur Bernard Senet, généraliste dans le Vaucluse, qui se dit prêt à être celui qui lui injectera le produit létal, est adhérent de l'association. Il se propose de le faire avec du penthotal, bien connu en Belgique puisque c'est le produit des kits euthanasie ou coffrets de la mort comme on les appelle là-bas. Comment ne pas ici condamner avec Christine Boutin l'instrumentalisation de la détresse légitime d'une femme pour légaliser l'euthanasie ?

Du côté des autorités politiques, ce qui frappe initialement dans cette affaire, c'est leur convergence. Empreintes tout à la fois d'humanité et de fermeté, à commencer par celle du chef de l'État. Tout en se disant très touché par la lettre que lui avait adressée la malade, Nicolas Sarkozy a rappelé que nous n'avons pas le droit d'interrompre volontairement la vie [1] . Les ministres de la Justice et de la Santé, concernés au premier chef, lui ont emboîté le pas. Rachida Dati plaide pour le respect de la vie en appuyant l'équilibre de la loi Léonetti : Cette dame demande à la justice de pouvoir exonérer de la responsabilité pénale le médecin pour lui administrer une substance létale. Ce n'est pas notre droit. Nous avons fondé notre droit, comme la Convention européenne des droits de l'homme, sur le droit à la vie . Roselyne Bachelot, dans la même veine, assure ne pas vouloir revenir sur la loi Léonetti, précisant que la médecine ne peut avoir pour effet dans notre droit et dans notre philosophie de la vie de mettre fin à la vie des patients ; la mort ne peut en aucun cas procéder d'un projet auquel le corps médical est associé , ajoute-t-elle.

La justice garde également son sang-froid. Le vice-président du TGI rend son ordonnance d'irrecevabilité en expliquant dans ses attendus que la demande de Chantal Sébire s'oppose à la législation et au code de santé publique, au code de déontologie médicale, au code pénal, à la Convention européenne des droits de l'homme. On peut d'ailleurs parler de consonance éthique tant l'ensemble de ces sources est cohérent sur le fond.

En dépit des ambiguïtés que nous avons à plusieurs reprises soulevées en ce qui concerne les directives anticipées et l'alimentation artificielle abusivement classée dans la catégorie des traitements que l'on peut suspendre, la législation relative à la fin de vie adoptée à l'unanimité par le Parlement français en 2005 prohibe de manière très ferme toute forme d'acharnement thérapeutique ainsi que toute pratique euthanasique.

Le code de déontologie médicale, mis à jour en décembre 2006, stipule en son article 38 que le médecin doit accompagner le mourant jusqu'à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d'une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort . Passage inscrit dans l'article R. 4127 du code de la santé publique. Et le code pénal criminalise l'euthanasie puisque l'article 221 énonce que donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre puni de 30 ans de réclusion criminelle .

Jurisprudence

Autre déclaration fondamentale à laquelle s'est référé le magistrat du TGI, et qu'à évoqué le garde des Sceaux : la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) de 1950. Dans le célèbre arrêt Pretty rendu le 29 avril 2002, les juges de la Cour européenne avaient débouté une Anglaise, Diane Pretty, qui réclamait une aide au suicide. Pour expliciter cette position, les juges avaient rappelé que l'article 2 protège le droit à la vie, sans lequel la jouissance de l'un quelconque des autres droits et libertés garantis par la Convention serait illusoire [...]. Il doit être considéré comme une des clauses primordiales de la Convention et comme consacrant l'une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l'Europe (Aff. Pretty c. Royaume-Uni, § 49).

Ainsi, la Cour affirmait que l'article 2 de la Convention consacre d'abord et avant tout une prohibition du recours à la force ou de tout autre comportement susceptible de provoquer le décès d'un être humain, et il ne confère nullement à l'individu un droit à exiger de l'État qu'il permette ou facilite son décès (§ 55) , de même qu' exiger de l'État qu'il accueille la demande, c'est l'obliger à cautionner des actes visant à interrompre la vie, [...] obligation qui ne peut être déduite de l'article (id.) . Selon le tribunal européen, aucun volet négatif ne peut être attribué au droit à la vie garanti par l'article 2 qui n'accorde pas de droit diamétralement opposé comme un droit de mourir, ou le droit à l'autodétermination si celui-ci désigne un quelconque droit d'un individu à choisir la mort plutôt que la vie.

Les juges européens s'étaient également servis de la Recommandation 1418, adoptée par le Conseil de l'Europe le 25 juin 1999 et reconduite solennellement le 27 avril 2005, qui acquis à cette occasion une valeur jurisprudentielle remarquable. Ce texte est on ne peut plus clair dans ses conclusions : L'Assemblée recommande [...] au Comité des ministres d'encourager les États membres du Conseil de l'Europe à respecter et à protéger la dignité des malades incurables et des mourants à tous égards, [...] en maintenant l'interdiction absolue de mettre intentionnellement fin à la vie des malades incurables et des mourants : vu que le droit à la vie, notamment en ce qui concerne les malades incurables et mourants, est garanti par les États membres, conformément à l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme qui dispose que la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement ;

vu que le désir de mourir exprimé par un malade incurable ou un mourant ne peut jamais constituer un fondement juridique à sa mort de la main d'un tiers ;

vu que le désir de mourir exprimé par un malade incurable ne peut en soi servir de justification légale à l'exécution d'actions destinées à entraîner la mort.

En outre, dans le même texte, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe requiert de ses États membres que chacun reconnaisse les soins palliatifs comme un droit à part entière. Alternative

Le président Sarkozy a donc bien fait en mandant auprès de Chantal Sébire son conseiller spécial pour les questions de santé et de bioéthique, le professeur Arnold Munnich, pour lui proposer de rencontrer un collège de spécialistes de la douleur. Afin de s'assurer que tout a été mis en oeuvre pour soulager ses souffrances. Car la question de l'analgésie est avant tout un problème de très haute technicité, requérant compétence et expérience médicales.

En l'occurrence, il était proposé à la malade de recourir à une sédation palliative. Contrairement à ce qu'en a dit son avocat, présentant cette solution comme une mise sous coma sans nourriture et eau jusqu'à ce que mort s'en suive, la sédation fait partie des bonnes pratiques en fin de vie. Elle consiste, en cas de symptômes douloureux réfractaires, à induire une baisse de la vigilance de la personne, en utilisant des moyens pharmacologiques adaptés que les praticiens des soins palliatifs maîtrisent avec à-propos.

Les molécules employées sont le plus souvent de la classe des benzodiazépines, dont l'effet amnésiant peut être précieux dans une situation de détresse. Marie-Sylvie Richard, chef de service des soins palliatifs à la maison médicale Jeanne Garnier, rappelle que l'objectif de la sédation est d'aider le malade à passer cap [...] et ne vise que le soulagement du malade. Provoquer volontairement la mort ne relève pas du soin, pratiquer une sédation réfléchie et appropriée, oui [2] . Elle explique d'ailleurs que les médecins sont en mesure, en cas de douleur persistante, de maintenir l'altération de la conscience tout en laissant la possibilité d'un mode de communication non verbale. À aucun moment, il ne s'agit de laisser mourir de faim et de soif car une alimentation assistée médicalement peut être prévue si nécessaire.

La sédation est également couverte par la théorie du double effet puisque les molécules peuvent parfois accélérer le processus du mourir. L'effet bon et premier délibérément recherché est de calmer la souffrance tandis que l'effet secondaire non voulu mais prévu et accepté comme un risque peut être une précipitation du décès. Cette conséquence est elle-même envisagée tout simplement parce que le malade est en fin de vie. Vouloir le bien d'une personne n'implique donc à aucun moment de lui vouloir du mal. Soulager la douleur au risque de la mort ne relève pas de la même intention réelle qu'induire la mort pour supprimer cette douleur [3] . Pourquoi alors refuser cette solution ?

Pour Martine Perez, chef du service santé au Figaro, si la souffrance de Chantal Sébire est incontestable, [...] elle refuse ces soins pour choisir de transformer cette ultime bataille personnelle en un combat emblématique pour l'euthanasie (14 mars 2008). Et de s'interroger : Comment transmettre la puissance de la vie, son caractère plus fort que tout, aux générations à venir, si l'homme descend de son piédestal et accepte de banaliser la mort en légalisant le droit à se la donne ? L'être humain, qui combat l'adversité depuis des millénaires, peut-être pour retrouver le jardin d'Eden, peut-il abdiquer désormais face aux difficultés qu'il a jusqu'à présent affrontées de face ? Dans quel engrenage mettons-nous le doigt, si on légifère sur l'euthanasie en autorisant des hommes à en finir avec les plus faibles, les plus malades, les plus difformes, même à leur demande ? Alors qu'un nombre croissant de pays bannissent la peine de mort, au nom du respect absolu de la vie, la demande d'élimination des malades incurables et qui souffrent fait paradoxalement le chemin inverse. Déchaînement

Or c'est bien la voie que l'on semble vouloir aujourd'hui choisir. Depuis la décision de justice rendue lundi, c'est à une déferlante de communiqués que l'on assiste. Dans la seule journée de mercredi, Bernard Kouchner, dont certains auraient souhaité la même fermeté dans certains dossiers de politique étrangère, passe outre le jugement du TGI de Dijon et plaide pour qu'on puisse administrer la mort à Chantal Sébire. On sait que c'est un militant de la première heure en cette matière. Ses amis socialistes annoncent la création d'un groupe de travail sur l'euthanasie dans le but de proposer et de déposer dans les mois à venir un texte de loi améliorant notre législation .

Du côté de la majorité, le député UMP Nadine Moreno, à peine installé dans son fauteuil de secrétaire d'État à la Famille, déclare qu'elle est favorable à la création d'une commission nationale d'exception d'euthanasie . Ce qui n'est pas surprenant puisqu'elle a toujours estimé que la loi relative à la fin de vie n'allait pas assez loin.

Mais la mauvaise nouvelle est venue de Matignon en fin d'après-midi. François Fillon, contre toute attente, a chargé le rapporteur de la législation en vigueur, le député Jean Léonetti, de lui faire des propositions pour remédier à la méconnaissance ou la mauvaise application des textes et éventuellement à l'insuffisance de la loi . Il précise également que le débat pourrait s'ouvrir dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique.

Pour enterrer un dossier, rien de tel que la création d'une commission. Mais en matière de droit fondamental, la formule est à haut risque. La commission sur l'accompagnement de la fin de vie créée en septembre 2003 et présidée par Jean Léonetti avait réalisé un travail de très grande qualité en faisant apparaître l'ampleur des questions soumises à sa réflexion. De l'avis de nombreux observateurs, le document de synthèse qui en avait résulté, Respecter la vie, accepter la mort, témoignait de la prise en compte de la réalité complexe des enjeux éthiques liés à fin de vie. Ce fut le socle de la loi du 22 avril 2005 qui reste un modèle, malgré les ambiguïtés rappelées plus haut, pour nos voisins européens.

Alors même qu'elle demeure mal enseignée dans le cursus universitaire de toutes les professions soignantes, comment escompter déjà l'amender ? La psychologue Marie de Hennezel remettait il y a quelques semaines à Roselyne Bachelot un énième rapport dénonçant l'insuffisance des soins palliatifs en France. N'est-ce pas dans une politique sanitaire volontaire de développement de la médecine palliative, que le chef de l'État avait promis dans son programme, que se trouve la bonne réponse à la problématique de l'euthanasie ?

 

Quels que soient les coups de butoir qui vont se déchaîner dans les jours qui viennent pour ouvrir une brèche dans l'interdit de l'euthanasie et enfoncer un coin dans la loi du 22 avril 2005, le gouvernement doit tenir bon.

[1] Les citations des responsables politiques sont tirées de l'agence d'information www.genethique.org

[2] Sous la direction de Patrick Verspieren et Jacques Ricot, La Tentation de l'euthanasie, La Sédation en fin de vie par Marie-Sylvie Richard, Desclée de Brouwer, Paris, 2004, p. 87-106.

[3] Conseil de l'Europe, L'Euthanasie, Evaluation des arguments en présence par Nicolas Aumonier, vol.I, Editions du Conseil de l'Europe, Paris, 2004, p.65-66.

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