Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 25 mai 2007
Le projet d'un "traité simplifié" avancé par Nicolas Sarkozy pour remplacer la défunte Constitution européenne refusée par les Hollandais et les Français, pourrait faire consensus comme l'a suggéré la rencontre ce mercredi à Bruxelles entre Nicolas Sarkozy et José-Manuel Barroso, président de la Commission européenne.
Il n'est pas à l'ordre du jour de la prochaine réunion au sommet qui se tiendra au mois de juin d'évoquer la question turque et encore moins de remettre sur le tapis la discussion à propos de la mention des racines chrétiennes de l'Europe pour sortir au plus vite de l'"impasse"actuelle. Surtout laisser de côté les sujets qui fâchent.
En revanche, l'on sait que le contenu de ce traité institutionnel allégé ne devrait pas se limiter, comme le candidat de l'UMP à la présidentielle l'avait proposé, à la seule partie I de l'ancien projet de Constitution (extension du vote à la majorité, mise en place d'un super ministre européen des Affaires étrangères,...) mais "pourrait" notamment incorporer la Charte européenne des droits fondamentaux. C'est bien pourquoi l'on ne parle plus de "mini-traité", expression jugée péjorative par certains, mais justement de "traité simplifié". Ce point est capital sur le plan éthique.
La Charte des droits fondamentaux : une rupture éthique
On se souvient que la Charte est un texte de type déclaratif qui fut adopté en grande pompe lors du Sommet de Nice en l'an 2000. Elle ne revêtait alors qu'un statut de recommandation non coercitive sur les États membres. Or sa possible intégration dans le futur traité simplifié au cours du prochain Conseil européen signifierait pour elle une sorte de consécration institutionnelle qui lui donnerait toute sa force juridique. Ce serait une avancée considérable pour ceux qui souhaitent l'instauration d'un droit communautaire effectif pour la bioéthique.
Là où le bât blesse, c'est que l'esprit du texte restreint le domaine de la protection du respect de la vie humaine et atténue la portée du droit à la vie. Il représente une rupture intellectuelle avec d'autres grandes formulations juridiques comme la Convention européenne des droits de l'homme signée par tous les pays membres du Conseil de l'Europe. Ainsi, selon le juriste Bertrand Mathieu, directeur du Centre de recherche en droit constitutionnel, la Convention européenne des droits de l'homme reconnaît dans son article 2 l'interdiction d'infliger à quiconque la mort intentionnellement. En revanche, l'article 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne pose pas l'interdiction de donner la mort. C'est ainsi le renforcement d'une vision subjective au détriment de la vision objective [1].
C'est par exemple sur la base de la Convention que fut rendu le 29 avril 2002 par la Cour européenne le fameux arrêt Pretty, du nom de la requérante, une malade anglaise réclamant le droit de mourir. La protection du droit à la vie des mourants fut rappelée à cette occasion par le Tribunal européen stipulant que l'article 2 de la Convention de 1950 ne donne aucun droit à choisir la mort plutôt que la vie. De même que la Recommandation 1418 adoptée le 25 juin 1999 par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe concluait qu' en ce qui concerne les malades incurables, [...] la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement conformément à l'article 2 de la Convention européenne des Droits de l'Homme . Autant de décisions lourdes de sens faisant de la protection intangible de la vie humaine l'une des valeurs fondamentales de la culture de notre continent.
Le fait que cette précision juridique – la mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement – ne fasse plus partie de la Charte européenne est incontestablement un pas en avant vers une tolérance accrue en faveur de l'euthanasie et du suicide médicalement assisté. D'ailleurs le principe de consentement qui figure juste après dans l'article 3 renforce le concept de consentement substitué illustré par l'instauration des testaments de vie et la mise ne place d'un mandataire dans les décisions médicales en fin de vie. C'est ici la suprématie d'une certaine vision de l'homme et de la bioéthique qui s'installe progressivement dans laquelle le droit à la vie est de plus en plus aliéné par le principe d'autodétermination sans que rien ne vienne le contrebalancer. La Recommandation 1418 par exemple avait su mettre au cœur de son raisonnement le respect de la volonté du patient pour autant qu' elle ne porte pas atteinte à sa dignité et sans préjudice de la responsabilité thérapeutique ultime du médecin . Autrement dit, tout soignant pouvait s'opposer à l'expression d'une demande d'euthanasie du patient, fût-elle la marque de son choix souverain.
Qu'est-ce qu'une personne humaine ?
Enfin, en ce qui a trait au début de la vie, l'article 2 de la Charte insiste sur le fait que c'est la personne humaine qui a droit à la vie. Ce n'est pas nouveau mais montre clairement que l'embryon humain, qui n'a pas dans l'esprit des rédacteurs le statut moral de personne, n'est pas concerné par une quelconque protection pénale. Par ailleurs, l'interdiction du clonage littéralement citée dans le document ne vise que la seule technique à but reproductif.
Pour Bertrand Mathieu, les auteurs de la Charte ont refusé d'interdire la clonage thérapeutique faisant prévaloir les perspectives médicales qu'il est susceptible d'offrir [2] . Recherche sur les embryons surnuméraires, diagnostic préimplantatoire, clonage scientifique,... autant de pratiques transgressives qui ont de beaux jours devant elles à l'échelon communautaire.
Là encore, la Charte constitue une certaine régression par rapport aux précédents instruments juridiques européens, en particulier la Convention de biomédecine du Conseil de l'Europe adoptée en novembre 1996, dite convention d'Oviedo, dont les termes précisaient qu' est interdite toute intervention ayant pour but de créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain vivant ou mort . Cette formulation ne faisant pas appel à la notion de personne avait le mérite d'être un bon garde-fou à l'encontre de la création d'embryons clonés. Ce qui explique d'ailleurs que certains pays ne l'aient toujours pas ratifiée, dont la France.
On voit donc que l'incorporation de la Charte européenne des droits fondamentaux constituerait un nouvel avatar de l'émiettement du droit fondamental à la vie en Europe. Sa force et sa nature sont en train de changer. Le droit à la vie est de plus en plus conditionné et dérogeable. Il y a tout lieu de craindre que l'adoption du traité simplifié entérine cette vision utilitariste et subjective de l'être humain.
*Pierre-Olivier Arduin est responsable de la Commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon.
[1] Bertrand Mathieu, Le Droit à la vie, Editions du Conseil de l'Europe, Strasbourg, 2005, p. 13.
[2] Bertrand Mathieu, Noëlle Lenoir, Les Normes internationales de la bioéthique, Puf, Paris, 2004, p. 84.
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