Article rédigé par Thierry Boutet, le 19 janvier 2012
À cent jours du 22 avril, la moitié des Français répondent aux sondeurs qu’ils n’ont pas fait leur choix. La cristallisation de l’opinion ne semble donc pas avoir encore eu lieu. La physionomie des élections du printemps commence cependant à se dessiner, bien différente des précédentes.
En 2002 les Français s’étaient déterminés tardivement. À la surprise générale, Lionel Jospin était battu. Jean-Marie Le Pen présent au second tour, Jacques Chirac avait bénéficié d’une élection de Maréchal. En 2007, François Bayrou s’était envolé dans les sondages (23%) avant de voir sa cote fortement s’effriter. Il est certainement prématuré de chercher dans les mouvements de l’opinion depuis septembre le pronostic final. En octobre, les jeux étaient faits, la victoire de François Hollande était acquise. Trois mois plus tard, ils n’ont jamais été aussi ouverts. Il n’en reste pas moins que l’évolution récente des intentions de vote traduit des courants profonds de l’opinion quel que soit le résultat final.
Le paradoxe de l’élection 2012
L’écart entre les candidats se resserre. Entre François Hollande, Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen il y avait à la fin de l’automne 10 points de différence dans les sondages. Ils ne sont plus que dans une fourchette de 5,5 points.
Ce resserrement est dû à l’effritement de François Hollande, à la remontée relative de Nicolas Sarkozy et surtout à la poussée de Marine Le Pen et de François Bayrou. Lors des trois précédentes élections, les intentions de vote pour Jean Marie Le Pen à ce stade de la campagne tournaient autour des 10 %. Elles sont, pour sa fille, à plus ou moins 20 % selon les instituts, soit le double.
Quant à François Bayrou, il fait un retour impressionnant. Les intentions de votes en sa faveur ont quasiment doublé en un mois et demi, passant de 7 à 13 ou 15 % selon les instituts de sondage. Cette remontée n’est sans doute pas terminée. Sa cote dite « d’avenir » a progressé dans le même temps de 14 points. Après François Hollande, il apparaît aujourd’hui comme la personnalité politique à laquelle les Français souhaitent le plus voir jouer un rôle important demain.
À ce stade de la compétition, trois candidats peuvent donc être au second tour, et trois seulement peuvent l’emporter, mais paradoxalement ce ne sont pas les mêmes. Marine Le Pen ayant contre elle un front républicain n’a aucune chance au second. François Bayrou qui a peu de chances d’être dans le ticket final pourrait l’emporter au second. C’est le paradoxe de l’élection 2012.
La cote des 20%, passeport pour le second tour
Le second tour se gagne habituellement au premier. Mais en raison de la configuration actuelle de l’opinion, les dernières élections présidentielles ne nous apprennent pas grand-chose.
En effet, à la mi-janvier 2002 et 2007, 18 points et 22 points séparaient le candidat de la droite et de l’extrême droite. Jamais trois candidats de tête ne se sont trouvés aussi près l’un de l’autre aussi loin de l’élection. En 1995, en 2002 ou en 2007, le rapprochement s’était fait fin mars - début avril et les trois candidats étaient alors au-dessus de 20 %. Aujourd’hui, François Hollande est à plus ou moins 27%, Nicolas Sarkozy à plus ou moins 25 %, Marine Le Pen à plus ou moins 20%, François Bayrou en challenger s’approche peu à peu des 15 % (Entre 11 et 15 selon les instituts).
Or, selon Jérôme Jaffré, « un candidat qui s’installe dans la zone des 20 % d’intentions de vote au premier tour est un candidat sérieux à une qualification au second ». En revanche l’écart entre les deux finalistes selon Michel Noblecourt « ne laissent pas toujours présager de l’issue du scrutin ».
La clef, le rapport droite/gauche
Ainsi, en 1974, François Mitterrand devançait Valérie Giscard d’Estaing de 10,6 % au premier tour mais avait perdu de justesse au second. A l’inverse, avec 2, 4 % d’avance au premier tour, Valérie Giscard d’Estaing avait été battu au poteau. Idem pour Lionel Jospin en 1995. En 2002, l’écart entre Jean Marie Le Pen et Chirac n’était que de 2,2 points et ce dernier avait été réélu avec 82,21 % !
Ce n’est donc pas la position des deux candidats retenus qui est déterminante mais le poids des deux camps qui se retrouvent face à face au second et leur capacité de mobilisation. En 1974, l’ensemble de la droite pèse 51,4 % ; en 81 c’est la gauche qui sort majoritaire du premier tour avec 50, 7% : François Mitterrand est élu. En 1988, la droite avec l’extrême droite domine d’une très courte tête au premier tour (50,8%), mais elle est largement battue au second. Les voix du Front national s’étant peu reportées sur Jacques Chirac. En 1995, 2002 et 2007 elle ne mobilise au premier tour que 30 % environ de l’électorat (36 avec l’extrême gauche), et elle est battue. Lors de la dernière élection l’électorat Le Peniste est en déroute. La droite est majoritaire. Celui de François Bayrou à 18, 57 arbitre l’élection et donne la victoire à Nicolas Sarkozy.
Le pronostic est donc difficile pour cette année. L’écart entre François Hollande et de Nicolas Sarkozy est de 3 à 4 points. L’écart entre l’ensemble de la gauche et de la droite est difficile à évaluer en termes de reports. Favorable à la gauche d’au moins 10 points, il est inférieur à 1981 et 1988 avec une extrême droite très forte et une extrême gauche faible.
Quelle sera l’équation finale ? Si l’on retient le critère de 20 %, il y a potentiellement trois candidats pour le 2ème tour, éventuellement quatre si François Bayrou continue à grignoter : François Hollande et Nicolas Sarkozy. Dans les mois qui viennent, tout va donc dépendre de l’évolution des intentions de vote à l’égard de François Hollande ; ou il continue de s’essouffler dans les sondages et les jeux sont faits, ou il remonte et la gauche conserve une chance. A droite, la remontée de Nicolas Sarkozy ne semble pas pouvoir dépasser quelques points. L’homme plus encore que son programme est largement rejeté des Français, toutes tendances confondues. Peut-il les séduire en trois mois après les avoir exaspérés pendant cinq ans ? S’il est au second tour contre François Hollande et plus encore contre François Bayrou, le risque est pour lui un plébiscite à l’envers. Sa meilleure chance est la configuration de 2002, certains disent qu’il y travaille ! Entre la candidate qui séduit même à gauche mais qui fait peur et le candidat qui déplait même à droite mais qui rassure, la France n’hésitera pas. Au centre de ce dispositif le candidat du Modem croit à ses chances mais ce n’est pas fait. Marine le Pen espère être au second tour mais contre qui et avec qui aux législatives ? Reste François Bayrou. Il a réussi sa primaire mais ne semble plus très en forme pour le vrai premier tour. Or face à la pugnacité d’un Nicolas Sarkozy, il ne suffit pas d’être présent, il faut y aller. Or même Marianne sous la plume de Nicolas Domenach et de Laurent Neumann ne parvient pas à y croire : « On craint l’énarque, on redoute l’anarchie qui l’entoure, tous ces technocrates qui nous ont tant baladés avec leur prétendue compétence, avant de se résigner devant les forces supérieures du marché…il faudrait qu’Hollande soit une lame aiguisée, quand, avant même le choc contre les intérêts supérieurs, il paraît se rétracter dans son fourreau. Il ne s’avance pas au feu alors que c’est reculer que d’être stationnaire ». Est-il à la hauteur cet homme d’appareil ? La gauche a besoin de rêver. En 2005, elle avait rêvé avec Ségolène. En 2012, elle a beau détester Sarkozy, François Hollande ne l’a fait pas rêver. Même s’il promet de conserver tous les petits privilèges et de libérer en grand les mœurs, cela suffira-t-il pour donner au peuple de gauche le désir de se déplacer un deuxième dimanche pour lui ? De sa mobilisation dépend une grande partie de la solution de l’équation. Elle n’en prend pas pour le moment le chemin.
(Sources : Le Monde du 16 janvier, Le Figaro du 15 janvier, Marianne du 14 au 20 janvier)