Article rédigé par Hélène Bodenez, le 25 septembre 2009
Faites-le passer à tout mon peuple [1] . L'homme courbé avance à pas hésitants, sa canne le soutient vaille que vaille. Malgré le vent, il accroche son béret qu'il enlève par respect pour la Dame qu'il vient prier. Il cale méthodiquement sa canne et se met à genoux sur l'étroit banc de bois.
Une longue main, ridée et tremblante, se tend vers la statue de bronze tandis que l'autre assure l'équilibre on ne sait comment, les lèvres remuent des paroles d'une prière douloureuse.
L'homme semble seul au monde dans ce vallon de La Salette où le temps se suspend. Pourtant nous sommes le 19 septembre, jour d'affluence, jour mémorial de l'apparition de 1846. Le colloque intime ne durera pas plus de trois minutes. L'homme déjà debout s'en retourne. Pas besoin de longs palabres pour dire la vérité de son cœur. Dialogue sobre avec le ciel, sans fioritures, ici à La Salette. Reste encore une étape d'humilité, celle de la source à laquelle boira le vieil homme recueilli.
C'est bouleversant et provoquant La Salette.
La Reine du Ciel est descendue du Paradis ainsi que le disait Léon Bloy pour annoncer une grande joie. Et pourtant elle pleure. Les fidèles en 2009, une fois de plus, ne manquent pas le rendez-vous d'une invitation dérangeante : celle qui pleure continue de toucher les cœurs des pauvres gens qui viennent encore aujourd'hui répondre à l'appel plus que jamais urgent de réconciliation.
La grâce du lieu
On est loin bien sûr des cinquante mille fidèles du premier anniversaire de l'apparition. Loin des premiers enthousiasmes, loin surtout des liturgies porteuses. Comme dans beaucoup de lieux de pèlerinage, on peut ici comme ailleurs s'arrêter aux choses extérieures et être tenté de bougonner contre le manque de silence et d'intériorité, une liturgie cahoteuse, des fresques d'Arcabas qui ne vous parlent pas. Affamés et assoiffés de Dieu ou simples curieux peuvent avoir du mal à entrer dans le mystère, ébranlés qu'on ne laisse pas confiteor, gloria et credo descendre dans le sacré d'une terre bénie, loin des chansonnettes périmées.
Mais la grâce des lieux vient à bout peu à peu des murmures intérieurs. La simplicité et la chaleur de l'accueil touchent. La Sainte Vierge sait ce qu'elle fait en apparaissant là. Les moutons, leur berger et même les lapins en sont témoins. Le regard s'élève vers les montagnes imposantes, vers les rocs puissants où planent les aigles ; les pas se laissent porter dans des chemins de processions et les paroles du message céleste se gravent peu à peu dans le cœur.
Allons les enfants, faites-le bien passer à tout mon peuple . Se convertir, se réconcilier. Prier chaque jour au moins un Pater et un Ave, vivre chaque semaine par un dimanche sanctifié, respecter chaque année le carême. Jour, semaine, année. Le temps est à Dieu. Le temps de Dieu est toujours le meilleur [2].
Un vrai combat... que d'arriver
N'avaient-ils pas tout fait, ces lieux, pour vous décourager de venir ? n'avez-vous pas dû affronter une pluie aveuglante en pleine nuit sur une route dangereuse, un brouillard à couper au couteau, au matin, sur ce mont austère ? Certes, vous n'arrivez pas presque mort par temps de neige comme Massignon [3]. Mais avouons-le, c'est un vrai combat que d'arriver là-haut, très haut, au Vallon des larmes de la Vierge Marie, celle qui rencontre ses enfants, converse avec eux et s'élève devant eux au ciel. Rencontre, conversation, assomption, trois stases, trois bronzes.
Pas d'endroit plus conforme à la vallée de larmes du Salve et à la force de son bras du Magnificat. En 2009, comme au temps de Maritain on peut affirmer que les fidèles considèrent l'événement de La Salette avec un respect particulièrement fervent et y trouvent, avec cette leçon de pénitence qui a été réitérée à Lourdes et à Fatima, une source de conversion intérieure et de vie spirituelle qui leur est chère entre toutes.
Après une visite aux Ablandins, vous montez la rue Passe-vite à Corps et terminez votre pèlerinage dans la maison de Mélanie, la voyante de La Salette. Depuis que vous connaissez sa vraie vie [4], l'étape devient incontournable.
Incomprise, jugée instable, injustement dénigrée, cette stigmatisée à la vie pauvre et cachée offre l'exemple héroïque d'une vie d'union au Christ crucifié hors du commun [5]. Les doubles signes que portait la Mère de Dieu lors de l'apparition et offerts à la liberté de chacun, le marteau et les tenailles, la lourde chaîne et les roses, ont marqué pour longtemps la jeune adolescente. Mélanie Calvat a manifestement choisi à vie les tenailles qui libèrent et les roses multicolores des nuances de l'amour, rejetant le marteau qui enfonce les clous de la Passion et la chaîne qui asservit. Pour que sa mère du ciel ne pleure plus, pour que ne soit plus neutralisée la miséricorde de son Fils [6].
Laissons à Gustave Thibon le mot de la fin dans son interprétation fulgurante de ce haut lieu de spiritualité mondiale : Le message de la Vierge pourrait être résumé dans ces simples mots : si vous ne cherchez pas le Ciel, vous perdrez la terre [7].
De Jean-Paul II à Mgr Louis Dufaux, évêque de Grenoble
Le message de La Salette fut délivré à deux jeunes pâtres en un temps de grandes souffrances des peuples, affectés par la famine et en butte à bien des injustices. De plus, l'indifférence ou l'hostilité à l'égard du message évangélique augmentaient. Notre Dame, en se faisant contempler portant sur elle l'image de son Fils crucifié, montre que, associée à l'œuvre du salut, elle compatit aux épreuves de ses enfants et souffre de les voir s'éloigner de l'Eglise du Christ au point d'oublier ou de rejeter la présence de Dieu dans leur vie et la sainteté de son Nom.
Le rayonnement de l'événement de La Salette atteste bien que le message de Marie n'est pas tout entier dans la souffrance exprimée par les larmes ; la Vierge appelle à se ressaisir : elle invite à la pénitence, à la persévérance dans la prière et particulièrement à la fidélité de la pratique dominicale ; elle demande que son message passe à tout son peuple par le témoignage de deux enfants.
Du Vatican, 6 mai 1996.
[1] Titre d'un excellent DVD diffusé par les Missionnaires de La Salette au sanctuaire.
[2] J.-S. Bach, Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit , Actus tragicus, BWV 106.
[3] Musée au sous-sol de la basilique très intéressant à visiter avec des témoignages et toute une mémoire des objets sacrés ou objets de piété de La Salette.
[4] Hyacnthe Guilhot, La Vraie Mélanie de La Salette, Pierre Tequi éditeur, 2005.
[5] Saint Annibal-Marie de France (béatifié par Jean-Paul II en 2004), Courte biographie et son éloge funèbre de Mélanie Calvat, voyante de La Salette, Pierre Tequi éditeur, Paris, 2009.
[6] Par le non respect du dimanche et du Nom divin.
[7] Une minute avec Marie des 18, 19 et 20 septembre 2009, Notre-Dame de La Salette, Réconciliatrice des pécheurs , www.mariedenazareth.com
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