Article rédigé par Hélène Bodenez, le 16 octobre 2009
Seize octobre 1978, Karol Wojtyła, l'homme au nom imprononçable, le cardinal venu d'un pays lointain est élu pape. Seize octobre 2009, nous nous souvenons de lui et de son irremplaçable façon de prononcer le mot homme . Nous faisons mémoire de son message et voulons en ce jour anniversaire lui rendre hommage, lui le pape qui ne meurt pas [1], en publiant un extrait d'un de ses discours au monde du travail.
L'actualité, la crise économique et la souffrance des hommes, nous porte naturellement à nous tourner vers ses paroles si humaines concernant le travail. Au moment où des salariés ne voient pas d'autre issue que la mort, où le chômage augmente tant, au moment où les syndicats cherchent un peu seuls à défendre le repos dominical, convoquons le discours que Jean-Paul II, à peine remis de l'attentat place Saint-Pierre, a prononcé le 15 juin 1982, à la 68e Conférence internationale du travail.
Nous sommes au palais des Nations-unies de Genève. L'ancien ouvrier dans une carrière de pierre a pris place dans la salle de conférence, Jean-Paul II en Suisse pense encore à la Pologne : le mot solidarité rebondit plusieurs fois. L'Évangile du travail ? une éthique de solidarité (Joseph Tischner)... Sept ans plus tard, le communisme et son symbole tombait, le mur de Berlin s'écroulait. On en fêtera les vingt ans le mois prochain.
Travail, sens de la vie humaine
7. La raison fondamentale qui me pousse à vous proposer le thème de la solidarité se trouve donc dans la nature même du travail humain. Le problème du travail a un lien extrêmement profond avec celui du sens de la vie humaine. Par ce lien, le travail devient un problème de nature spirituelle, et il l'est réellement. Cette constatation n'enlève rien aux autres aspects du travail, aspects qui sont, pourrait-on dire, plus facilement mesurables et auxquels sont liées des structures et des opérations diverses de caractère "extérieur", au niveau de l'organisation; cette même constatation permet au contraire de replacer le travail humain, de quelque manière qu'il soit exécuté par l'homme, à l'intérieur de l'homme, c'est-à-dire au plus profond de son humanité, dans ce qui lui est propre, dans ce qui fait qu'il est homme et sujet authentique du travail.
La conviction qu'il existe un lien essentiel entre le travail de chaque homme et le sens global de l'existence humaine se trouve à la base de la doctrine chrétienne sur le travail — on peut dire à la base de l'"évangile du travail" — et elle imprègne l'enseignement et l'activité de l'Eglise, de manière diverse, à chacune des étapes de sa mission dans l'histoire. "Jamais plus le travail contre le travailleur, mais toujours le travail . . . au service de l'homme": il convient de répéter encore aujourd'hui ces paroles prononcées voici treize ans, en ce même lieu, par le pape Paul VI. Si le travail doit toujours servir au bien de l'homme, si le programme du progrès ne peut se réaliser qu'à travers le travail, il existe alors un droit fondamental à juger du progrès selon le critère suivant : le travail sert-il réellement l'homme? Correspond-il à sa dignité ? Par lui, le sens propre de la vie humaine s'accomplit-il dans sa richesse et sa diversité ?
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À propos de la liberté syndicale : liberté et souci du bien commun
13. Une société solidaire se construit chaque jour en créant, d'abord, et en défendant ensuite les conditions effectives de la participation libre de tous à l'œuvre commune. Toute politique visant le bien commun doit être le fruit de la cohésion organique et spontanée des forces sociales. C'est là encore une forme de cette solidarité qui est l'impératif de l'ordre social, une solidarité qui se manifeste d'une façon particulière à travers l'existence et l'œuvre des associations des partenaires sociaux. Le droit de s'associer librement est un droit fondamental pour tous ceux qui sont liés au monde du travail et qui constituent la communauté du travail. Ce droit signifie pour chaque homme au travail de n'être ni seul ni isolé; il exprime la solidarité de tous pour défendre les droits qui leur reviennent et qui découlent des exigences du travail ; il offre, de manière normale, le moyen de participer activement à la réalisation du travail et de tout ce qui y a trait, en étant guidé également par le souci du bien commun.
Ce droit suppose que les partenaires sociaux soient réellement libres de s'unir, d'adhérer à l'association de leur choix et de la gérer.
Bien que le droit à la liberté syndicale apparaisse sans conteste comme un des droits fondamentaux les plus généralement reconnus — et la convention numéro quatre-vingt-sept (1948) de l'Organisation internationale du travail en fait foi -, il est pourtant un droit très menacé [2], parfois bafoué, soit en son principe, soit, — plus souvent — dans tel ou tel de ses aspects substantiels, de sorte que la liberté syndicale s'en trouve défigurée. Il apparaît essentiel de rappeler que la cohésion des forces sociales — toujours souhaitable — doit être le fruit d'une décision libre des intéressés, prise en toute indépendance par rapport au pouvoir politique, élaborée dans la pleine liberté de déterminer l'organisation interne, le mode de fonctionnement et les activités propres des syndicats.
L'homme au travail doit lui-même assumer la défense de la vérité et de la vraie dignité de son travail. L'homme au travail ne peut pas par conséquent être empêché d'exercer cette responsabilité, à charge pour lui de tenir compte aussi du bien commun de l'ensemble.
[1] Le pape qui ne meurt pas. L'héritage de Jean-Paul II : titre du livre du vaticaniste italien Gian Franco Svidercoschi, qui vient de paraître aux Éditions San Paolo. Information Zenit.
[2] Travailler plus pour gagner moins, La menace Wal-Mart, Gilles Biassette, Lysiane J. Baudu,, Paris 2008, Hachette Littératures. Avec deux millions de salariés aux États-Unis et ailleurs, Wal-mart est le premier employeur privé de la planète , p.14. Ce modèle triomphant, a ses ratés, sa face sombre. Car l'engagement pour le pouvoir d'achat a un coût. Coût social d'abord, avec des salaires très faibles [...], une couverture santé minima [...]. Les conditions de travail sont difficiles – la flexibilité à outrance est la règle [...], et pas question de s'appuyer sur les syndicats : ils n'ont pas droit de cité. , p. 15.
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