Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 07 février 2011
La commission spéciale sur la bioéthique a modifié le projet de loi du gouvernement relatif à la bioéthique en prévoyant d'autoriser les jeunes femmes n'ayant jamais procréé à donner leurs ovules. Cette éventualité, considérée comme dangereuse et irresponsable, avait jusqu'ici été toujours écartée. Le rapporteur Jean Leonetti a fait adopter ce dispositif sans véritable débat et une fois de plus contre son propre rapport de janvier 2010. Les députés qui viennent de débuter l'examen du texte en première lecture résisteront-ils à cette nouvelle fuite en avant ?
Augmenter le pool des donneuses
Le professeur René Frydman a obtenu gain de cause. Alors que la loi dispose qu'un donneur de gamètes doit déjà avoir procréé, la commission parlementaire spéciale l'a suivi en élargissant le champ des donneuses d'ovocytes aux femmes nullipares (étymologiquement qui n'ont pas eu enfants). Cette modification ne concernerait pas les donneurs de spermatozoïdes.
Les raisons de cette (r)évolution sont connues. L'Agence de la biomédecine estime qu'il manque pas moins de 700 donneuses par an pour satisfaire les besoins des couples en ovocytes. De surcroît, la qualité des ovules en France est très médiocre en raison de l'âge avancé des donneuses, plombant les résultats des fécondations in vitro (FIV).
Soutenus par l'Agence de la biomédecine, une partie des médecins de la reproduction – René Frydman en tête – réclame la levée de la condition de procréation antérieure afin d'optimiser la qualité biologique des cellules et accroître le pool des donneuses. En effet, en ouvrant la possibilité à des femmes nullipares de donner leurs ovules, on abaisserait mécaniquement l'âge des donneuses et du même coup on doperait les taux de succès des techniques de procréation artificielle. Jean Leonetti, qui n'avait pas retenu cette proposition il y a un an, a réussi à la faire adopter par la commission spéciale contre l'avis de plusieurs de ses collègues UMP [1].
Jusqu'à présent, le législateur s'était toujours opposé à franchir le pas. Pour deux raisons.
Maternité éclatée
En premier lieu, il s'agissait d'éviter de recruter des donneuses très jeunes insuffisamment matures pour mesurer la portée d'un tel don, forcément abstrait quand on n'a pas été mère soi-même. Faut-il encore le rappeler, le don de gamètes n'est pas comparable à un don de sang ou d'organe, tout simplement parce qu'une cellule reproductrice utilisée par les biologistes dans une FIV est à l'origine de la conception et de la venue au monde d'une personne humaine.
Avec le don d'ovocyte, la maternité est éclatée entre la mère génitrice qui fournit l'ovule et la mère gestationnelle qui deviendra la mère sociale et éducatrice de l'enfant. Une jeune femme peut-elle réellement donner un consentement libre et éclairé à un tel acte sans n'avoir jamais vécu l'enfantement ? N'est-ce pas justement parce que les femmes doivent être mères de famille et avoir déjà éprouvé l'expérience de la maternité qu'un nombre infime d'entre elles passent à l'acte en donnant leurs ovules ? Une mère ne sait-elle pas intuitivement que donner un ovule, c'est permettre la conception d'un enfant qui sera charnellement le sien ?
Les années passant, une femme qui aurait donné ses ovules sans forcément penser à toutes les conséquences de son geste ne pourrait-elle pas amèrement le regretter, voire chercher à retrouver ses enfants biologiques ? Quelles seront les conséquences psychologiques sur elle ? N'y aura-t-il pas des répercussions sur ses propres enfants ?
Stérilité induite
Le second argument qui a retenu jusqu'ici le législateur de dispenser les donneuses d'avoir déjà procréé est le risque de cet acte sur leur santé. Une dizaine de jours d'injections hormonales pour hyper-stimuler les ovaires, un recueil par voie vaginale sous anesthésie, autant de gestes qui présentent un danger de stérilité iatrogène. Le docteur Jacqueline Mandelbaum avait mis sérieusement en garde les députés de la mission d'information parlementaire :
Il ne serait pas du tout raisonnable d'autoriser le don par des femmes qui n'ont pas eu d'enfants, en dépit de tous les avantages qu'offrirait la disposition d'ovocytes de femmes de vingt ans : les taux de succès exploseraient ! Mais on ne peut pas négliger les risques, mêmes faibles, que la ponction d'ovocytes et les traitements afférents font peser sur la fécondité de la donneuse [2].
L'autorisation de la vitrification des ovocytes étant également au menu du projet de loi – technique de refroidissement ultra-rapide qui permet de cryoconserver les cellules reproductrices féminines avec un certain succès – René Frydman a trouvé une parade imparable à cet argument de poids en proposant aux députés de la commission spéciale d'offrir à ces jeunes femmes l'assurance de pouvoir disposer pour elles-mêmes, en cas de nécessité, d'une partie de leurs ovocytes congelés (audition du 16 décembre 2010).
Autrement dit, après prélèvement de 8 à 10 ovocytes, une partie serait allouée au don tandis que le reste serait conservé en vue d'une éventuelle utilisation autologue dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation si d'aventure la donneuse devenait infertile. Il s'agit de compenser le risque de l'acte par une assurance grossesse sensée rassurer les femmes. C'est cette disposition adoptée en commission sans réel débat – et pour tout dire avec beaucoup de légèreté – qui est discutée cette semaine en première lecture à l'Assemblée nationale.
Banques d'ovules surnuméraires
À brève échéance est visée la constitution de banques publiques d'ovules vitrifiés surnuméraires comme l'a réclamé René Frydman lors de son audition. D'ailleurs, avec la possibilité de constituer un surstock d'ovules par vitrification, il est plus que certain qu'à moyen terme toutes les femmes engagées dans un parcours classique d'AMP seront encouragées à donner leurs précieuses cellules. En autorisant la vitrification des gamètes féminins au détour de n'importe quel parcours de fécondation in vitro, il sera en effet tentant de proposer à chaque femme de faire un geste de générosité en faveur d'une autre moins chanceuse qu'elle, l'information risquant bien vite de se transformer en promotion.
Quant aux femmes sans enfants qui auront congelé leurs ovules en contrepartie de leur don, une fois qu'elles seront devenues mères de famille naturellement , ne seront-elles pas contactées ultérieurement par les centres de fécondation in vitro pour écouler les ovocytes restants ? Après tout, la loi autorisant depuis 2004 la conception de 10 enfants à partir d'une seule donneuse (contre 5 en 1994), rien n'empêche de féconder l'ensemble du panel d'ovules recueillis chez une seule femme.
Enfin, contrairement à ce qu'a expliqué Jean Leonetti dans son rapport rendu au nom de la commission spéciale, intégrer les jeunes femmes nullipares dans la filière du don d'ovocytes ne va pas résoudre les dérives observées. Bien au contraire. On sait en effet qu'il existe très peu de donneuses spontanées, 92% sont relationnelles , une partie des autres sont dites de réciprocité .
Trafic d'ovules
Le don par réciprocité ou en miroir est une variante du donnant-donnant imaginé par les Britanniques : tout individu qui sollicite un système sanitaire est tenu de contribuer à son bon fonctionnement en payant éventuellement de sa personne. Ainsi chez un couple demandant à bénéficier d'un don de sperme en raison d'une stérilité masculine sera proposé à la conjointe fertile de donner en retour ses ovocytes, le bénéfice étant une réduction du délai d'attente.
Peu de députés savent que certains centres en France utilisent cette procédure. L'équipe du Cecos de Rennes a fait savoir qu'en 2007, 85% des couples demandeurs qui se sont adressés à elle en vue d'une seconde insémination artificielle avec sperme de donneur ont également réalisé un don d'ovocytes (et 45% des couples lors d'une première IAD)[3].
Le don relationnel , largement majoritaire en France, est à l'origine du développement d'un véritable trafic lui aussi largement méconnu. Devant le déficit chronique d'ovules, les centres d'AMP incitent fortement les couples demandeurs à venir accompagnés d'une donneuse d'ovocytes qui sera certes ponctionnée au profit d'un autre couple inconnu puisque le don dirigé est strictement interdit mais dont la démarche bénéficiera en contrepartie au couple demandeur qui se verra là encore attribué un temps d'attente largement réduit. Or l'article L. 1244-7 du Code de la santé publique dispose que le bénéfice d'un don de gamètes ne peut en aucune manière être subordonné à la désignation par le couple receveur d'une personne ayant volontairement accepté de procéder à un tel don en faveur d'un couple tiers anonyme , la méconnaissance de cette disposition étant punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende (art. 511-13 du code pénal).
Comme l'a expliqué le docteur Patrick Fénichel devant les députés de la mission d'information, les médecins bravent en toute connaissance de cause cet interdit :
En principe, la loi nous interdit de subordonner notre réponse à la présentation d'une donneuse, mais aucun des douze centres qui fonctionnent actuellement n'applique ce principe, car dans l'état actuel des choses, il est inapplicable. Concrètement, nous informons les couples que ceux qui présentent une donneuse verront leur attente réduite [4]. Plus de 90% des donneuses relèvent de cette catégorie selon le rapport de la mission d'information parlementaire.
Conséquence de ce chantage exercé sur les couples demandeurs, ces derniers sont prêts à tout pour recruter une donneuse. Il existerait ainsi une rémunération occulte des donneuses d'ovocytes comme l'a confirmé le docteur Ginette Guibert devant la mission : Nous recevons des femmes qui sont les employées de celle qui a besoin d'ovocytes ou qui sont en tractation financières avec elle. Il existe réellement un phénomène de marchandisation et l'anonymat ne préserve absolument pas de cela [5]. Les députés ont-ils pris la mesure de ces dérives ?
Permettre à de jeunes femmes sans enfants de donner leurs gamètes, c'est les exposer à subir elles aussi des pressions inavouées de la part de femmes qui seraient en position de force sur le plan hiérarchique (pression au travail), familial (pression sur une sœur plus jeune) ou amical (pression sur la meilleure amie). Des avantages en nature ou pécuniaires associés à la certitude de pouvoir utiliser ses ovules stockés en cas de stérilité n'auront-ils pas raison d'elles ?
Abuser de la vulnérabilité des ces jeunes filles en l'organisant par la loi n'est pas digne de la responsabilité qui incombe à nos parlementaires. Le ministre de la Santé a émis de sérieuses réserves quant à ce mode recrutement de nouvelles donneuses[6]. Espérons qu'il soit entendu.
On rappellera enfin que vouloir accaparer les cellules reproductrices féminines, c'est élargir encore plus le fossé entre maternité biologique et maternité d'intention, avec sa cohorte de problèmes insolubles de levée ou non de l'anonymat des donneurs. Comme le spermatozoïde, l'ovule est porteur de l'aspect généalogique de la personne. Il n'est pas possible de le déconnecter de la femme dont il est issu et qui sera la mère biologique de l'enfant ainsi conçu.
En donnant ses ovules, une femme ne peut ignorer qu'elle contribue de manière décisive à la venue au monde d'un être humain qui lui sera profondément lié comme le montre la quête éperdue des enfants nés de gamètes inconnus . Parce qu'ils ont un statut anthropologique bien spécifique, l'unique progrès moral consisterait à rendre indisponibles les gamètes.
[1] Rapport n. 3111 fait au nom de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, tome 1, p. 53-56.
[2] Mission d'information sur la révision des lois de bioéthique, Favoriser le progrès médical, respecter la dignité humaine, Rapport parlementaire n. 2235, tome 2, janvier 2010, Audition de Jacqueline Mandelbaum, chef de service de biologie de la reproduction et responsable du Cecos de l'hôpital Tenon, procès-verbal de la séance du 11 février 2009, p. 317-326.
[3] Le Lannou D., Griveau J.-F., Veron E., Jaffre F., Jouve G., Descheemaeker, Gueho A., Morcel K., Pour un don d'ovocytes à la française , Gynécologie obstétrique & Fertilité 38 (2010) 23-29. Je remercie le professeur Dominique Le Lannou, directeur du Cecos du CHU de Rennes, qui m'a adressé cet article. Depuis 2006, son équipe a organisé ce don par réciprocité en informant systématiquement les couples en demande de don de sperme des besoins en don d'ovocytes. Le système inverse vaut également, à savoir : les couples ayant bénéficié d'un don d'ovocytes peuvent aussi réaliser un don de sperme.
[4] Mission d'information sur la révision des lois de bioéthique, Favoriser le progrès médical, respecter la dignité humaine, Rapport parlementaire n. 2235, tome 1, janvier 2010, p. 98.
[5] Ibid., p. 99.
[6] Je m'interroge sur la possibilité pour une jeune femme de donner des ovocytes avant d'avoir eu elle-même des enfants. Certains, comme le rapporteur Jean Leonetti, défendent cette idée afin d'augmenter les dons [...]. Mais je m'interroge sur les risques pour la femme qui pourrait peut-être avoir à regretter son choix, et j'attends beaucoup du débat parlementaire, où j'apporterai aussi mes réponses au nom du gouvernement , La Vie.fr, 4 février 2011.