Article rédigé par Élizabeth Montfort, le 13 avril 2011
Après un examen minutieux en Commission des affaires sociales, les Sénateurs ont adopté à leur tour en séance publique le projet de loi relatif à la bioéthique. Le texte voté par les députés a été substantiellement modifié dans un sens encore plus transgressif.
Trois modifications majeures ont été apportées : 1/ suppression du principe d'interdiction de la recherche sur l'embryon, 2/ recours à l'Assistance médicale à la procréation pour tous les couples, y compris les couples de femmes, 3/ généralisation du dépistage, notamment de la trisomie 21, à toute femme enceinte.
La détermination de sénateurs courageux comme Marie-Thérèse Hermange (Paris), Anne-Marie Payet (Réunion), Bruno Retailleau (Vendée), et bien d'autres, n'ont pas empêché la majorité des sénateurs de voter ces modifications contre l'avis du gouvernement. Le député Hervé Mariton a annoncé qu'il reviendra sur ces votes en deuxième lecture à l'Assemblée nationale pour réaffirmer nos convictions .
La recherche sur l'embryon
Les députés dans leur majorité avaient suivi le projet du gouvernement : maintenir le principe d'interdiction de la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires, non plus à des fins thérapeutiques, mais, et c'était la nouveauté, à des fins médicales. Ce qui ouvrait considérablement le champ de la recherche. Un groupe de députés déterminés avaient relevé que les dérogations vidaient de sa substance le principe d'interdiction lui-même. D'où leur vote contre le projet de loi.
Les sénateurs ont souhaité sortir de l'ambiguïté en levant l'interdiction et en autorisant la recherche d'une manière très encadrée. Il est vrai qu'à plusieurs reprises, le gouvernement avait déclaré que, interdiction ou non, les scientifiques pourraient toujours continuer leurs travaux... Il n'empêche ! Maintenir le principe d'interdiction, même de manière symbolique, signifie que l'embryon n'est pas un matériau de laboratoire. Et que son utilisation doit être considérée avec précaution. Mais de deux choses l'une : soit l'embryon est un être humain, et il doit bénéficier de tout le respect dû aux êtres humains, soit il ne l'est pas, et cette position n'est pas tenable puisqu'on a jamais vu l'embryon d'un humain être autre qu'un être humain. Dans le règne animal, on se pose moins de question sur l'identité de l'embryon.
Reste à traiter la question du pourquoi de ces autorisations : pour quelles fins autoriser la recherche sur les embryons ou leurs cellules souches ?
Nous nous souvenons de la présentation des travaux du Professeur Peschanski le 31 mars dernier : le laboratoire I-Stem annonçait une première scientifique obtenue grâce aux cellules souches embryonnaires humaines. Pour la Fondation de Service politique, il s'agissait d'une opération de communication malhonnête, quelques jours avant la discussion en séance publique du projet de révision de la loi de bioéthique au Sénat : Non seulement la découverte annoncée sur la dystrophie myotonique de Steinert a été obtenue dans des conditions éthiques et légales inacceptables, mais des alternatives scientifiques existent (communiqué 31/03/11).
La méthode est maintenant bien rôdée : Avant chaque décision législative importante, des laboratoires ou des équipes de recherche annoncent, à grand renforts de supports médiatiques, des prouesses dans l'utilisation des cellules souches embryonnaires. Reste aux parlementaires d'en déduire qu'il faut passer du système d'interdiction avec dérogation au système d'autorisation encadrée.
D'ailleurs le Professeur Peschanski ne s'en est pas caché lors de sa conférence de presse. Le but de cette annonce était bien d'obtenir des sénateurs la levée de l'interdiction de la recherche sur l'embryon.
Les sénateurs ne sont pas restés indifférents puisqu'ils ont voté la levée de l'interdiction de la recherche sur l'embryon, contrairement à la position du gouvernement.
Cependant, deux scientifiques, Alain Privat et Monique Adolphe, remettent en cause cette prouesse technique au motif que le Professeur Peschanski tente d'ignorer que les cellules reprogrammées (iPS) peuvent être utilisées pour la modélisation de pathologies et le criblage de cellules pharmacologiques. Dans une tribune du Figaro, le 1er avril, le professeur Alain Privat précise :
Il n'y a pas besoin de cellules embryonnaires pour de telles recherches. Les cellules iPS peuvent être et sont utilisées par les chercheurs pour la modélisation des maladies. Le criblage des molécules peut se faire de manière aussi efficace et probante avec des cellules iPS. Ces annonces [celles de l'équipe du Professeur Peschanski, Ndlr] enferment les patients, les familles, l'opinion publique, les média et les responsables politiques dans l'idée erronée selon laquelle la recherche sur les maladies génétiques ne pourrait désormais progresser que grâce aux cellules souches embryonnaires humaines.
Ce même professeur, ainsi qu'une équipe de chercheurs, lancera le 9 avril une Alerte à la conscience scientifique : Dans le contexte des modèles existant, les cellules souches embryonnaires humaines (ES) ne constituent pas un outil unique et irremplaçable. Et de rappeler que l'expérimentation sur les animaux fait l'objet d'un encadrement étroit par des textes européens, transcrit dans notre droit national .
Pourtant, en France, on discute sur le fait que l'embryon ne serait peut-être pas une personne... À ce stade de développement, il est déjà un être humain et ce statut lui suffit pour bénéficier d'un respect absolu et d'une dignité inviolable. Ce n'est pas une opinion, mais une réalité confirmée par la science : l'embryon de l'homme et de la femme ne peut pas être autre qu'un être humain.
La manipulation des esprits et des consciences par le pouvoir scientifique est grave. En attaquant l'Église catholique qui commettrait une agression anti-scientifique , en accusant Xavier Breton, député courageux, et Arnold Munnich, conseiller de l'Elysée, de proférer des mensonges, M. Peschanki a perdu son sang-froid. Il est vrai qu'il faut une grande humilité à un scientifique pour reconnaître qu'on a fait fausse route. Mais c'est le propre du scientifique : chercher inlassablement la voie qui concilie progrès scientifique et respect de la dignité humaine. Car les recherches scientifiques ne sont pas une fin en soi. A chaque objectif de recherche et de traitement, le respect de nos principes commande de chercher l'alternative à l'utilisation des embryons.
Le recours à l'AMP
La nouveauté du Sénat restera l'ouverture de l'Assistance médicale à la procréation à tous les couples. Alors que la Commission des affaires sociales avait rétabli l'exigence de deux ans de vie commune pour les couples non mariés, signifiant la différence entre couples mariés et couples non mariés, les sénateurs ont non seulement abandonné cette condition, mais ils ont inventé un nouveau concept : l'infertilité sociale , pour les couples de femmes, au nom de l'égalité des couples. Cette AMP de convenance consacre le droit à l'enfant sur les droits de l'enfant. Cette disposition entrainerait de fait une modification de notre droit de la famille et de la filiation et consacrerait une filiation abstraite, sans père.
La France peut-elle refuser à certains de nos enfants de vivre avec leur père et leur mère ?
D'autre part, l'argument d'égalité est fallacieux, car au nom de cette même égalité entre les couples d'hommes et les couples de femmes, le législateur doit-il accepter la maternité pour autrui ? Ce n'est pas la décision des sénateurs, malgré les pressions d'un grand nombre d'entre eux, comme celle du rapporteur, Alain Milon. Avaient-ils pris connaissance de la résolution du Parlement européen sur la lutte contre les violences faites aux femmes, adoptée le 5 avril, en particulier ses articles 20 et 21 ?
20. Invite les États membres à reconnaître le problème grave de la maternité de substitution, qui constitue une exploitation du corps de la femme et de ses organes reproducteurs;
21. Souligne que femmes et enfants sont soumis aux mêmes formes d'exploitation et peuvent être vus comme des marchandises sur le marché international de la reproduction; fait remarquer que les nouvelles méthodes de reproduction, comme la maternité de substitution, entrainent une hausse de la traite des femmes et des enfants ainsi que des adoptions illégales par-delà les frontières nationales [...].
Et pourtant, les sénateurs ont maintenu l'interdiction de la gestation pour autrui et ont refusé toute inscription à l'état-civil d'enfants nés de mères de substitution ou porteuses à l'étranger, conformément à la décision de la Cour de cassation du 6 avril dernier.
Le transfert d'embryons post mortem n'a pas été retenu par les sénateurs, au motif qu'on ne pouvait pas faire naître un enfant orphelin de père. On s'étonne que cet argument n'ait pas été rappelé pour l'élargissement de l'AMP aux couples de femmes.
La systématisation du dépistage de la trisomie 21
Les députés avaient desserré l'étau du projet de loi en supprimant l'obligation systématique de proposer un dépistage à toute femme enceinte. Ils laissaient au médecin la liberté de proposer ces examens en fonction des risques potentiels (âge, antécédents familiaux). Cette mesure avait deux objectifs : mettre fin au climat anxiogène qui pèse sur les femmes en début de grossesse et refuser la stigmatisation de la trisomie 21 qui fait l'objet d'une véritable traque puisque 96 % d'enfants diagnostiqués sont éliminés. Cette proposition marquait une prise de conscience et une rupture avec les pratiques eugéniques du tout dépistage , suivi dans la plupart des cas d'annonce d'une affection grave, par une élimination du fœtus.
Au nom de l'égalité de traitement et du droit à l'information, les sénateurs ont supprimé cette modification positive ignorant que devant la grossesse et les risques potentiels d'affection grave, l'égalité n'existe pas.
Les députés avaient rencontré des personnes porteuses de trisomie 21, notamment Eléonore, devenue au fil des mois leur porte-parole. Ils avaient compris que leur handicap ne pouvait pas être la cause de leur élimination, comme les citoyens des états généraux de bioéthique qui déclaraient à Marseille : La solution au handicap passe exclusivement par la recherche et non par l'élimination [1].
La question est plus large, c'est celle de notre regard sur ces personnes qui aiment la vie, et qui ont toute leur place dans la société.
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D'autres points méritent notre attention, car ils traduisent un dérapage éthique et une entorse à nos principes juridiques fondateurs.
Le refus de la levée de l'anonymat du don de gamètes
Alors que la Commission des affaires sociales avaient admis la levée de l'anonymat du don de gamètes en respect de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'enfant qui stipule Tout enfant a le droit de connaître son père et sa mère , les sénateurs sont finalement revenus à la position adoptée par les députés, au motif que la filiation sociale est supérieurs à la filiation biologique . Grave erreur d'appréciation : la filiation est sociale ET biologique. L'oublier conduit à une déconstruction de la filiation dans ses composantes biologique, juridique ET sociale, pour ne retenir que celle qui convient à ses désirs. Il est vrai qu'en classant le don de gamètes dans la catégorie juridique des dons d'organes, le législateur s'expose à une impasse : les gamètes ne sont pas des cellules comme les autres. Elles sont reproductives et portent ainsi la marque indélébile du père ou de la mère qui ne sont pas que des géniteurs.
En refusant la levée de l'anonymat du don de gamètes, les sénateurs dénient aux enfants ainsi conçus le droit irréfragable de connaître leurs origines et établissent ainsi une discrimination avec ceux qui en auront l'accès.
Le bébé-médicament
Autorisée par la loi de 2004, à titre expérimental, cette technique avait été reconduite sans moratoire par les députés. Les sénateurs maintiennent sous réserve d'avoir épuisé toutes les possibilités offertes , c'est-à-dire après avoir exploré les autres voies thérapeutiques. On pense bien sûr aux greffes de sang de cordon.
Qui a oublié l'annonce médiatique à grands coups de propagande du premier bébé-médicament français par le Professeur Frydman, la veille du vote des députés ? Ce scientifique annonçait la naissance d'un enfant conçu pour soigner son frère aîné atteint d'une maladie hématopoïétique (maladie du sang). Or c'est précisément ce type de maladie qui peut être traitée par des cellules souches issues du sang de cordon. Pour réussir une telle greffe, il est nécessaire de disposer d'un très grand panel d'unité de sang de cordon afin de trouver l'unité immunocompatible avec l'enfant malade. La France est considérablement en retard dans ce domaine : ses besoins sont de 50 000 unités alors qu'elle ne dispose que de 10 000 unités.
Ce traitement est déjà utilisé avec succès : le Pr Eliane Gluckman a réussi à traiter cette même maladie en utilisant des cellules de sang de cordon, un mois avant l'annonce de René Frydman. Ce résultat est passé sous silence, alors qu'il concilie une prouesse technique avec l'éthique qui doit guider le comportement de tout scientifique.
Le bébé-médicament est un procédé inutile sur le plan technique et transgressif sur le plan éthique, puisqu'une quinzaine d'embryons sont détruits après un tri embryonnaire. Si la proposition des sénateurs est retenue, sous réserve d'avoir épuisé toutes les possibilités offertes , le bébé-médicament n'aura plus aucune raison d'être maintenu.
Graves régressions
Le projet de loi de bioéthique tel qu'il a été voté au Sénat est un révélateur de graves régressions au regard de la dignité de tout être humain. Ce texte est le résultat d'un formidable lobbying de chercheurs scientifiques et d'industriels, soucieux de leurs intérêts particuliers, dans une compétition mondiale, sans pitié.
Servir les intérêts de certaines entreprises pharmaceutiques ou scientifiques n'est pas le but des lois de bioéthique. Certes, la compétition économique est rude, mais la France, patrie des droits de l'homme s'honorerait à respecter les principes fondateurs dont le premier d'entre eux, la dignité, sert de matrice à tous les autres principes. Ce respect est la garantie que nul être humain, fut-il embryonnaire, ne pourra faire l'objet de manipulation ou d'utilisation.
Le texte ainsi adopté, traduit un glissement vers une conception utilitariste de ce qui est humain : les gamètes, les embryons surnuméraires, les embryons ou les fœtus atteints de maladie faciles à dépister, l'enfant comme objet de désir...
C'est en ce sens que le projet de loi marque une régression : elle tend de plus en plus à satisfaire une catégorie de citoyen, au mépris de ce qui est commun, au mépris du respect absolu de tout ce qui est humain . En d'autres termes, au mépris du bien commun.
Les citoyens qui se sont exprimés dans le cadre des états généraux de la bioéthique l'avaient bien saisi : S'interroger sur le contenu des lois de bioéthique oblige à se prononcer au fond sur une philosophie de la vie.
Il est encore temps pour les députés de s'en nourrir. Il leur faudra un sursaut de courage et un regard de vérité sur ce qu'est l'homme ou le petit d'homme. Ils en sont capables et nous les y aiderons !
*Elizabeth Montfort est ancien député au Parlement européen, porte-parole de la Fondation de Service politique, présidente de l'Alliance pour un Nouveau Féminisme européen.
Sur ce sujet :
Le sénat fait le choix de l'eugénisme, 8 avril 2011
Au sénat, la vie humaine, don de Dieu ou matériau à gérer ? 15 avril 2011
[1] Bilan des états généraux de la bioéthique.