Article rédigé par Bruno de Seguins Pazzis, le 19 novembre 2021
Texas, 1979. Mike Milo est une ancienne star de rodéo, devenu éleveur de chevaux après une grave blessure. Alors qu’il vient d’être remercié par le patron du ranch où il travaille, il est recontacté par Howard Polk un ancien patron. Celui-ci lui demande de se rendre au Mexique pour ramener son jeune fils Rafael qui vit là-bas avec sa mère alcoolique. Un long et mouvementé voyage l'attend…
Le cycle de la rédemption… Le thème de la rédemption est présent dans une grande partie de la filmographie de Clint Eastwood mais trois films, du moins jusqu’à ce jour, constituent indubitablement un cycle qui lui est spécialement consacré, Gran Torino (2008), La Mule (2018) et Cry Macho (2021). Il est d’ailleurs intéressant de noter avant d’aller plus loin dans ce qui justifie cette affirmation que dès 1988, Clint Eastwood montre un intérêt pour adapter a cinéma, « Cry Macho » le roman de N. Richard Nash, mais il est à cet époque engagé dans d’autres projets. En 1991, le tournage d'une adaptation est entrepris, mais le film ne sera jamais achevé. Et donc, en octobre 2020, Clint Eastwood reprend le projet comme producteur, réalisateur et interprète du rôle principal. Il se base sur le scénario original écrit par N. Richard Nash lui-même et qui, à l’époque, n’avait intéressé aucun studio. N. Richard Nash étant décédé entre temps en 2000, Clint Eastwood fait retravailler le scénario par Nick Schenk, qui a déjà collaboré avec lui pour Gran Torino et La Mule. Ainsi le lien entre les différents films est déjà bien établi !
Répétitions thématiques
Suggérons, sans exhaustivité car ceci nous amènerait à écrire un ouvrage important, quelques parentés visuelles ou scénaristiques entre ces trois oeuvres. Immédiatement après la séquence d’ouverture et avant son départ en voiture pour le Mexique, un plan nous montre Mike Milo assis au crépuscule sur une chaise longue devant sa maison. Ce plan nous renvoie directement à Walt Kowalski, le héros de Gran Torino se balançant sur son fauteuil sur le pas de la porte de sa modeste demeure.
Mike Milo comme Walt Kowalski et comme Earl Stone, personnage central de La Mule, sont des hommes murs, avancés en âge et relégués en marge de la société pour des raisons diverses. Ils ont tous les trois un passé lourd qu’ils portent non sans un certain désabusement, mais surtout avec un regret que l’histoire qu’ils vont vivre va leur permettre de transformer en contrition. Dans Gran Torino, Walt Kowalski va « confesser » sa faute à Thao, le jeune voisin Hmong. Ici, dans Cry Macho, Clint Eastwood nous sert une « confession » très comparable de Mike au jeune Rafo dans une séquence centrale, splendide et d’une simplicité fulgurante, qui se déroule dans un petit sanctuaire dédié à la Vierge Marie.
Le « road movie » initiatique que vivent Mike (un chemin de rédemption) et Rafo (un chemin de l’adolescence vers une majorité) est à mettre en parallèle avec celui de La Mule mais aussi avec la relation que connaissent Walt Kowalski et Thao dans Gran Torino.
Il n’y a également pas beaucoup d’effort à faire pour faire un parallèle entre les séquences qui ont lieu à Mexico dans Cry Macho et celles qui se déroulent également au Mexique chez le chef du cartel de la drogue dans La Mule.
Enfin, les trois films, chacun d’une manière on ne peut plus originale, traitent de l’importance de l’amour conjugal et filial, de la famille, de la transmission, du temps qui passe et de la vieillesse.
Autoportraits
Cet angle d’approche de l’analyse de Cry Macho nous amène à nous interroger sur l’intérêt qu’il y a à raconter toujours la même histoire ou presque. Considérons d’abord que les grands réalisateurs de cinéma comme les grands artistes dans les autres disciplines, racontent la plus part du temps toujours la même chose. Ici, ce qui vient se greffer en plus, c’est que Clint Eastwood se met lui-même en scène dans ces trois films. Il n’est donc pas stupide de supposer qu’il utilise les personnages de Walt Kowalski, Earl Stone et Mike Milo pour porter un regard sur sa propre vie, imprimant une allure métaphorique à ces trois films, se questionnant sur l’époque, sur le temps et sur ses fautes, le faisant devenir du même coup ses films les plus personnels. Réalisons qu’il a 78 ans lors de la sortie de Gran Torino, 88 ans lors de celle de La Mule et qu’aujourd’hui il en a 91 !
Sur l’époque, dans ces trois films, Clint Eastwood observe et jette un regard critique (sur l’immigration et la crise économique dans Gran Torino, sur la violence, la drogue et leurs ravages dans La Mule et Cry Macho).
Sur le temps, celui qui passe, il l’évoque au travers de ces trois personnages dont l’avenir est derrière eux.
Sur ses fautes, le cinéaste n’a évidemment ni crime comme dans GranTorino, ni quelconque forfait à se reprocher ni à avouer, mais certainement des épreuves plus ou moins douloureuses, des regrets à cicatriser. Ainsi, ces trois films ont une allure de catharsis.
Ce qui par contre différencie Cry Macho, C’est une approche mélodramatique et sentimentale sensiblement plus prononcée et un final plus optimiste que les fins dramatiques et radicales des deux opus précédents. Souvenons-nous de Walt qui s’offre en sacrifice dans Gran Torino et de Earl qui n’assure pas sa défense au tribunal pour se laisser enfermer en prison dans La Mule, un final offrant au spectateur un magnifique dernier plan général du jardin de la prison montrant Earl qui traverse l’écran du coin supérieur à droite au coin inférieur à gauche avant de disparaître hors-champ. Image qui pouvait laisser penser que Clint Eastwood ne réapparaîtrait plus à l’écran, mais seulement derrière la caméra. Il n’en a rien été et fort heureusement car le cinéaste est toujours un grand comédien, ici dans les sommets de son art.
Un aboutissement dans l’art de la mise en scène et dans l’esthétique
Le cinéaste est également toujours au sommet de son art de la mise en scène qui se fait d’une discrétion impressionnante, s’effaçant devant le fond pour le servir du mieux possible. Le découpage est ferme, ne laissant la place à aucun plan inutile. Le premier quart d’heure du film qui plante le décor et l’intrigue est d’une concision remarquable, exigeant une attention particulière du spectateur et lui indiquant qu’il n’est pas là pour un simple divertissement au demeurant parfaitement réglé tout du long avec un dosage subtil des rebondissements. Cette mise en scène virtuose est servie par la très belle photographie du britannique Ben Davis (Three Billboards : les panneaux de la vengeance de Martin McDonagh en 2017) qui passe avec une aisance remarquable de plans aux tonalités crépusculaires à ceux d’une grande luminosité. Nous sommes face à un équilibre parfait qui permet d’atteindre un très large public avec un divertissement de grande qualité qui procure de l’émotion et permet une réflexion.
Toujours aussi américain, intelligent et sensible, Clint Eastwood nous livre ici un troisième testament cette fois-ci plus mélancolique et plus tendre.
Bruno de Seguins Pazzis
Avec : Clint Eastwood (Mike Milo), Dwight Yoakam (Howard Polk), Minett (Rafael « Rafo » Polk), Natalia Traven (Marta), Horacio Garcia Rojas (Aurelio), Fernanda Urrejola (Leta, l’ex épouse de Hoxard Polk). Daniel V. Graulau (le douanier mexicain), Amber Lynn Ashley, Brytnee Ratledge et Alexandra Ruddy (les filles hyppies), Jorge-Luis Pallo (le sherif adjoint), Rocko Reyes (le capitaine Garcia), Paul Lincoln Alayo (le sergent Perez). Scénario : Nick Schenk et N. Richard Nash, d'après le roman « Cry Macho » de N. Richard Nash. Directeur de la photographie : Ben Davis. Musique : Mark Mancina.