Article rédigé par Père Edouard-Marie Gallez, le 19 mars 2021
Il est possible de mettre en lumière la figure de St Joseph comme modèle paternel, alors que son image s’est effacée dans la culture chrétienne – ou dans ce qu’il en reste en notre Occident. C’est dans un contexte prophétique que sa figure peut réapparaître. L’objectif de cette contribution n’est pas directement de fournir un tel discours prophétique « clef sur porte », mais d’en montrer les fondements dans l’histoire et l’anthropologie, à la lumière de la Révélation. À chacune des générations et malgré les erreurs des précédentes, des cartes se présentent providentiellement, et il faut les jouer ; la place de saint Joseph aujourd’hui en est une.
Deux expressions présentes dans le titre sont essentielles : « la mission paternelle » et le « monde post-chrétien ». Nous allons les regarder successivement.
La paternité comme « mission »
L’existence d’une spécificité masculine ou féminine est radicalement combattue aujourd’hui par les courants LGBT, mais plus largement par la pensée « constructiviste » dont ils ne sont que des phénomènes émergents extrémistes. On pourrait les qualifier aussi de libertaires, de néo-marxistes ou néo-positivistes. L’idée principale, c’est que l’homme se construirait lui-même, il serait naturellement indéterminé. L’indétermination ou l’indifférenciation serait la condition de la liberté. Chacun devrait pouvoir devenir ce qu’il se sent être à l’instant présent. D’où l’importance de détruire tous les enracinements, et en particulier l’enracinement naturel qui différencie les garçons et les filles dès la petite enfance : c’est un objectif prioritaire que s’est fixé l’Education Nationale.
Notons dès à présent que ces mêmes objectifs se trouvent imposés ailleurs qu’en France, ce qui montre bien qu’ils ne faut pas en chercher les origines simplement dans l’histoire des idées propre à l’Hexagone ; en fait, il faut plutôt situer ces objectifs en rapport avec des intérêts se situant au niveau du monde entier. En effet, l’indifférenciation sexuelle – ou, si l’on préfère, la variation arbitraire du genre humain qui est normalement masculin ou féminin –déstructurer profondément ; l’intention ainsi poursuivie est manifestement d’obtenir des « citoyens » manipulables, puisque dépourvus de toute identité structurée solide – nous supposons qu’avant l’identité liée au sexe, les autres identités fortement structurantes aient été préalablement mises à mal : l’identité culturelle-familiale et l’identité religieuse. Tel est le cas chez la plupart de nos contemporains, qui n’ont plus en effet qu’un ersatz de famille ou de religion. En fait de « religion », la plus répandue aujourd’hui est le laïcisme des droits de l’homme, encore appelée « religion de la République »[1].
Le fait est qu’aujourd’hui, il est devenu culturellement très difficile d’exprimer la réalité de la spécificité masculine et paternelle, car, bien sûr, celle-ci ne peut pas être tirée simplement de la biologie ou l’observation de animaux.
Difficultés de percevoir l’identité sexuelle
La biologie nous indique une différence de chromosome, celui des femmes étant XX tandis que celui est hommes est XY ; mais les choses semblent être un peu plus complexes. De fait, la partie qu’on juge non signifiante du génome humain pourrait jouer un rôle plus important qu’on le pense, dans la détermination pratique du sexe comme dans d’autres domaines.
À ce dossier s’ajoute celui de la pollution. En effet, les phtalates, les oestrogènes et beaucoup d’autres perturbateurs endocriniens déversés par notre chimie dans l’environnement attaquent les caractères sexués, surtout masculins : ils entravent leur développement comme on le voit chez les poissons, chez nombre de mammifères et… chez nos enfants. Déjà petits, certains de nos enfants peuvent avoir des difficultés quant à leur caractéristiques sexuelles. Il va sans dire que ces perturbations ou déficiences, même subtiles au plan du développement sexuel, peuvent avoir des retombées au plan psychologique. Au lieu d’aider les enfants, l’Education Nationale tend à accentuer ces éventuelles difficultés en cherchant à persuader les garçons qu’ils pourraient être de petites filles (et inversement). Ainsi, la biologie, spécialement dans le domaine médical, est confrontée à des problèmes qui, certes, ne contredisent pas du tout l’identité sexuelle mais n’aident pas à l’éclairer de manière absolument déterminante. On peut en dire autant de la psychologie, qui ne peut pas non plus aller au-delà de constatations statistiques (selon des courbes de Gauss) : si des caractéristiques propres apparaissent clairement chez les garçons et chez les filles, elles ne permettent cependant pas de déterminer purement et simplement ce qu’est un garçon ou une fille.
Perspectives tirées de la biologie ou de l’éthologie
On est donc conduit à essayer de fonder la différence sexuelle, en tant qu’elle est « naturelle », sur l’observation des animaux.
Mais ici non plus, le résultat ne peut pas être déterminant : il n’aura jamais qu’une valeur indicative. Les variantes des conduites ou des organisations sociales animales sont trop grandes pour qu’on puisse en tirer des caractéristiques simples et universelles. On peut néanmoins avancer quelques affirmations basiques :
– La génération avec différence sexuée apporte un plus à l’héritage transmis, au sens où le croisement de lignées génétiques différentes favorise la préservation de l’ADN. Les biologistes y voient le fondement de la différence sexuelle. Ils évoquent d’autre part l’intérêt que revêt la gestation des embryons chez les mammifères : elle permet un développement plus complexe et plus long, qui assure une supériorité de l’espèce en termes d’autonomie et de domination de l’environnement.
– Chez ces mêmes mammifères supérieurs, du côté des mâles, les comportements de combat permettent un mécanisme d’élimination des plus faibles et moins adaptés, donc assurent un héritage génétique éliminant probablement des tares. Cependant, le modèle tribal avec un mâle dominant n’est pas universel : il existe d’autres manières de préserver l’héritage génétique.
– Dans toutes les espèces supérieures, les rejetons ont besoin de protection pour continuer leur développement après leur naissance : ceci implique une répartition des rôles selon le sexe, mais aussi selon les espèces : cette répartition ne peut pas être ramenée à un modèle simple et unique.
– les comportements des mâles et celui des femelles diffèrent, même en dehors du contexte générationnel ; mais évidemment, l’intervention de l’homme qui injecterait diverses hormones modifierait ces comportements.
– enfin, les mécanismes de la reproduction sont toujours liés au déroulement de l’année, mais là, le modèle est plutôt opposé aux mœurs humaines.
L’observation des animaux nous dit donc peu de choses sur l’être humain, « fait mâle et femelle » selon le livre de la Genèse ; on ne peut en tirer des modèles exploitables, c’est-à-dire qu’il suffirait d’appliquer à la vie humaine, familiale ou sociale.
Au reste, cette démarche serait très dangereuse. Prendre pour modèle tel ou tel type de comportement ou d’organisation observé parmi les animaux serait inhumain. Le véritable effort culturel de l’être humain à travers les âges est justement de se dire à lui-même qu’il n’est pas un animal.
Et dans cette volonté de culture, la question religieuse est toujours première, en particulier dans la question de « l’âme ». L’être humain diffère de l’animal en ceci que son être est en quelque sorte repris par un principe spirituel présent en lui, qui subordonne les déterminismes de la nature tels qu’on peut les voir en particulier chez les animaux supérieurs. Ce serait cependant suicidaire de nier cet « enracinement naturel » qui fonde le fait brut de l’existence distincte des hommes et des femmes, et le fait également brut que les uns et les autres auront à se conduire de manière spécifique. Simplement, il faut aller plus loin.
Intériorité et extériorité de la vie spirituelle
La « nature humaine » – une expression qu’il faut garder même si sa définition est difficile – est parfois confondue avec « l’enracinement naturel », non sans l’intention parfois de l’y réduire. En réalité, la « nature humaine » comprend la dimension spirituelle de l’être humain, et c’est même son facteur essentiel Il s’agit de CE EN VUE DE QUOI NOUS SOMMES FAITS. Les animaux sont programmés pour se perpétuer, selon les deux instincts de survie individuelle et de conservation de l’espèce. Nous ne sommes pas simplement sur terre pour survivre le plus longtemps possible et avoir des descendants.
Il y a bien un principe spirituel personnel en nous : il n’est pas, comme notre corps, le produit d’un morceau de spirituel animant notre père génétique et d’un morceau de spirituel de notre mère génétique. Il vient d’ailleurs. Et donc la question de son origine – la première question que posent les enfants : « D’où est-ce qu’on vient ? »– rejoint et détermine la question de ce en vue de quoi nous sommes faits. La seule réponse qui tienne vraiment la route est celle que donne la Révélation hébréo-chrétienne : chacun de nous a reçu en lui une puissance spirituelle dans une relation à Celui qui est la source de toutes ces puissances et aussi le Créateur de tout ce qui existe.
Ainsi, le commencement de toute vie humaine est radicalement marqué par un don, celui de la vie spirituelle, qui donne le sens et le but de note vie, et qui nous permet déjà de dire « je » devant les autres et d’abord devant Celui qui nous a fait ce don. Nous sommes davantage les enfants de Dieu que ceux de nos parents, au point que le langage traditionnel dit que nous sommes confiés à nos parents, et que les parents ont ou reçoivent les enfants qu’ils ont conçus à deux, et non pas qu’ils les fabriquent ou les font, à la manière dont le langage médiatique en a imposé l’usage depuis une trentaine d’années.
Dans cette lumière, le rôle – ou disons-le : la « mission » – de parents prend une dimension qui dépasse de loin la nécessaire survie ainsi que la perpétuation de l’espèce humaine. Ce qu’il s’agit d’abord de préserver et de mener à sa plénitude, c’est le don de chaque vie humaine, et cette plénitude ne peut qu’être en rapport avec Celui qui a fait ce don de la « vie spirituelle ».
Pourquoi parle-t-on de « vie spirituelle »? L’analogie s’impose avec la vie biologique car, comme celle-ci est faite d’un intérieur séparé par une membrane de l’extérieur avec lequel il échange mais qui représente une menace de dissolution et de mort, de même la vie spirituelle ne peut pas exister sans une intériorité propre à chacun, séparée du monde extérieur qui ne la partage pas et qui est marqué au contraire par des projets mortifères de domination, de tromperie et de meurtre. Il faut le rappeler clairement : le prince de ce monde est Satan, nous dit Jésus.
Dans cette perspective, la maternité acquiert une dignité nouvelle. Elle n’est plus circonscrite à la mise au monde d’enfants qui appartiendront ensuite (ou plus tard) au père et qui, de toute façon, aux yeux des sociétés anciennes, n’avaient pas beaucoup de « valeur » tant qu’ils sont petits. Elle devient l’enfantement pour une vie éternelle d’enfants qui ont chacun une valeur unique. Qui mieux que la femme elle-même peut percevoir ce mystère de la vie, d’une vie orientée vers une finalité éternelle ? La femme chrétienne est appelée à être celle qui perçoit cette vie de l’intérieur d’abord parce qu’elle en vit elle-même. Paul Evdokimov a magnifiquement mis en lumière la place que la femme occupe désormais dans le « plan » de Dieu tel qu’il se déroule dans l’histoire : autant la paternité reçoit la première place dans l’ancienne Alliance, autant la maternité devient première dans la Nouvelle Alliance [2]. Certes, ce retournement se préparait : il fallait la paternité des « saints » de l’histoire hébraïque pour que le sens du mystère émerge. Il se concentre précisément en Jésus. La femme chrétienne, qui est appelée à porter la vie et à en partager la croissance, devient celle qui en fait toucher le sens, en particulier aux hommes qui ont toujours plus de mal à le percevoir. Et cela même si elle-même n’a pas pu avoir d’enfant ou s’est consacrée à la Source de cette vie pour La servir. On est loin désormais des jeux de pouvoir et de séduction : si la femme est attirante, c’est d’abord en ce qu’elle attire vers ce dont elle témoigne et qui est plus grand qu’elle. En Marie, la féminité se réconcilie totalement avec la maternité.
Dimension spirituelle, maternité et mission paternelle
Dès lors, la paternité prend tout son sens à a lumière de la maternité ; elle est seconde. Ce n’est plus une nécessité ou un déterminisme biologique de notre histoire humaine mais une responsabilité, une mission assumée au service de la maternité, et par extension de la famille et de la société. La vie humaine, dans ses dimensions matérielles et spirituelles, doit pouvoir grandir ; elle doit être protégée. Aux femmes, la chance doit être offerte d’investir leur énergie, leur cœur et leur intelligence dans cette croissance. Aux hommes revient de permettre autant que possible qu’il en soit ainsi, et d’organiser la société dans cette perspective de paix, de vie et de justice – c’est-à-dire le contraire de la volonté d’asservir et de tuer, où les hommes s’illustrent trop souvent.
La révolution chrétienne apportée par les apôtres au 1er siècle a donc mis la maternité à la première place et a donné à la paternité sa mission, qui lui devient relative : la maternité chrétienne donne tout son sens à la maternité humaine. La figure de la Vierge Marie dit tout cela ou, mieux encore, le fait toucher sans avoir besoin de le dire avec des mots – avec en complémentarité la figure de Saint Joseph. Cette mission de saint Joseph n’est pas à regarder en négatif, en rapport avec le fait qu’il n’est pas le père biologique de Jésus. Mais positivement. Déjà, si l’on veut une comparaison, la paternité du pater familias romain antique avait au moins ce côté positif : par un acte, il reconnaissait le nouveau-né mis au monde par sa femme (le côté négatif et terrible, c’est quand il ne le reconnaissait pas). La paternité vraiment humaine va plus loin au sens d’une responsabilité assumée dans et face au monde, une responsabilité de la vie qui est là, qui est à chaque fois unique, et qui est appelée à s’épanouir dans l’éternité. Et l’aspect chrétien nouveau, c’est celui du service qui est lié à l’autorité responsable, une autorité qu’accepte la Vierge Marie à cause du service qui est rendu à sa maternité. “Le Fils de l’Homme est venu non pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude” (Mt 20,26-28 ; Marc 10,42-45)
Saint Joseph nous dit l’essence de la paternité et nous donne un véritable modèle.
Inversement, il n’y a rien de plus anti-masculin que l’irresponsabilité, et on peut ranger dans cette catégories les responsabilités diluées par les conseils et autres assemblées de consensus où personne n’est plus là pour assumer quoi que ce soit et pour « répondre »: on est là devant un travers caractéristique de notre époque que beaucoup ont dit être féminisée, c’est-à-dire où les hommes ne sont plus vraiment des hommes. Et la caricature culturelle du modèle masculin n’arrange rien : qu’y a-t-il de paternel dans des héros musclés et pas très subtils qui écrasent tout sur leur passage pour accomplir des missions (contre les méchants) mais que le cinéma ne montre quasiment jamais mariés de manière stable et responsable, avec des enfants ?
Pour des raisons diverses, on peut dire que les « hommes » sont devenus rares. Comment en est-on arrivé là, dans un monde qui a pourtant été ensemencé par l’Evangile ?
Saint Joseph, modèle dans un monde « post-chrétien »
Pour y voir clair et sans remonter trop loin, nous pouvons retracer globalement et de manière assez simple l’évolution de la paternité-masculinité et de la maternité-féminité depuis la Révolution française jusqu’à nos jours. Que pouvons-nous constater ?
Étapes historiques d’une déstructuration globale
La Révolution française, qui s’est continuée sous une forme bonapartiste, est profondément anti-féministe. Elle a exalté la puissance de l’homme masculin de domination rationnelle et de force (notamment militaire) au détriment des valeurs de l’intériorité. La femme a été déclarée sujette de l’homme et rabaissée dans ses droits civils. En quelque sorte, la paternité, transformée en paternalisme et en autoritarisme, a été retournée contre la maternité-féminité, en vue d’asservir celle-ci. Elle a été dénaturée.
Comme elle n’exerçait plus son rôle véritable, cette paternité dévoyée a été mise en question dès la fin du 19e siècle, en particulier par les maîtres du soupçon que furent Freud et Marx. Le mouvement féministe a trouvé là son terreau. Même si ce fut parfois coûteux, il n’était pas difficile de dénoncer des aspects trop souvent arbitraires ou même oppressifs du paternalisme. Mais le bébé a été jeté avec l’eau du bain : le 20e siècle a vu l’effacement des pères et de la masculinité – bien diminuée également par l’hécatombe de la guerre 14-18.
L’étape suivante était prévisible, hélas. Quand la maternité n’est plus protégée par la paternité, elle ne tarde pas à être attaquée à son tour. Au 20e siècle, les hommes ont eu du mal à tenir la route, mais les femmes et les mères la tenaient encore. Aujourd’hui, elles ne sont pas moins déstabilisées que les hommes : leurs repères et leurs structures propres sont tout autant mises en cause que chez les hommes, et la société a évolué pour leur rendre la vie de plus en plus difficile quand elles sont mères. Et comme mères, elles sont désormais souvent ridiculisées par la toute-puissance médiatique.
Par ailleurs, la drogue et toutes les dépravations ont atteint presque autant les femmes que les hommes, celles-ci étant particulièrement trompées par le modèle de la femme dominatrice, c’est-à-dire qui domine à la fois les proches et la vie. C’est le modèle de la séductrice d’une part, et de l’autre de celle qui détient un pouvoir de mort sur l’être humain qu’elles pourraient porter. Dans ce domaine, des cas se sont multiplié de mères qui, ayant accouché seules et discrètement, ont tué leur enfant puis l’ont congelé pour le garder : cette folie monstrueuse n’est que l’expression délirante et pathologique d’un esprit largement répandu de toute-puissance sur la vie. C’est en ce sens qu’elle est significative et choque. La société médiatique nie les conséquences des avortements, qui se sont banalisés extérieurement, alors qu’il n’y a rien de plus déstructurant – ainsi que les abus sexuels, notamment les incestes. La femme n’est pas la grande-prêtresse de la vie et de la mort mais la gardienne de la vie, celle qui la reçoit, la transmet et la nourrit. Beaucoup, dans la souffrance, découvrent cela trop tard : on le leur avait caché.
Bien évidemment, l’ultime étape du processus de désagrégation de la famille concerne l’enfant. Si la maternité n’est plus là dans sa force et sa beauté, l’enfant n’est plus protégé. Il tend à devenir un produit, un produit qu’on « fait » soit pour sa propre satisfaction, soit en vue de sa valeur marchande sur le marché de l’adoption. Telle est le modèle qui veut s’imposer d’aujourd’hui, où Mammon, le dieu de l’argent, finit par dominer et diriger les rapports humains autour de ce qu’il y a de plus sacré : le mystère de la vie. Le projet prométhéen qui s’impose ainsi par la coercition invisible de la finance – par la chosification de l’enfant et notamment déjà par des « usines à bébés » qui se sont instaurées en Inde et ailleurs – vise à substituer totalement l’homme et sa technique procréatrice au mystère de l’accueil de la vie au sein du corps de la femme et dans un couple qui sait ce qui lui est confié par le Créateur. On peut penser que les projets d’utérus artificiel et de clonage sont voués à l’échec – il y a là une grosse interrogation –, il n’en demeure pas moins que le but poursuivi est celui d’un contrôle absolu de l’homme sur lui-même, c’est-à-dire en pratique sur l’enfant [3], spécialement depuis sa conception. Deux traits caractérisent ce projet ultime qui veut exclure Dieu totalement : d’une part la haine de l’enfant réel qui, qu’on le veuille ou non, manifeste quelque chose du Créateur dans son être même ; c’est pourquoi l’enfant est de plus en plus chosifié, à l’intérieur d’une volonté de le retirer complètement de sa famille ou en tout cas de son influence. Et d’autre part, le second trait caractéristique révèle l’asservissement de l’humanité à une petite élite qui se vit elle-même comme « Dieu ». Ces deux traits, qu’il faudrait développer tous deux longuement dans un autre exposé, nous rappellent les romans de Georges Orwell ou d’Aldous Huxley, ainsi que d’autres plus en phase avec la Révélation et qui évoquent l’instauration del’anti-christ (Mgr Benson).
Face à cette machinerie infernale, nous ne reconstruirons pas un sens « naturel » de la paternité et de la maternité : les hommes et les femmes, et d’abord les enfants, sont trop abîmés et trop incapables de réfléchir. Mais il souffrent et sentent bien qu’ils sont manipulés. Nous avons simplement à mettre devant leurs yeux les seuls modèles qui ne puissent pas être dénaturés ou contestés : la Vierge Marie, comme accomplissement parfait de la mission féminine et maternelle, et Saint Joseph comme modèle du père réalisant sa mission d’homme. Et, bien sûr, tous deux se placent dans la lumière de Dieu qui est source de Vie, et qui veut conduire ses créatures vers Lui. C’est là que s’enracine ultimement la mission féminine de recevoir la vie et de montrer son sens, et aussi la mission paternelle qui consiste à faire en sorte qu’effectivement cette vie puisse grandir et atteindre son but qui est de « toucher » Dieu Lui-même – pour reprendre une manière de parler araméenne si suggestive, venant probablement des apôtres mêmes [4].
En d’autres termes, la mise en lumière du modèle qu’est saint Joseph est inséparable d’un discours résolument prophétique sur notre temps, un discours qui dénonce clairement le projet fou d’un monde livré à un projet prométhéen délirant.
Dire le sens de l’histoire face à la souffrance qui paraît absurde
Un tel projet, cause de tant de souffrances, n’est pas né de rien. Il a un lien, mais en négatif, avec le véritable salut de l’humanité, celui que nous apporte Jésus. Ce salut en Jésus est en germe mais doit encore se réaliser plénière de manière plénière en lien avec sa venue dans la gloire. Qui sera un jugement. Nous n’annonçons pas du tout un meilleur des mondes mais le jugement de ce monde, tout en préparant et en préfigurant selon nos pauvres moyens ce qui devrait advenir selon la volonté de Dieu.
Au premier siècle de note ère, il n’a pas fallu longtemps après la prédication de l’Evangile pour qu’apparaissent des contrefaçons de ce salut dans le Christ porté par les apôtres de par le monde. Jésus l’avait d’ailleurs prédit quand il parle des faux prophètes et faux messies qui viendront après lui.
Il s’agit des phénomènes post-chrétiens qui reprennent l’espérance chrétienne en la pervertissant et en prétendant apporter à l’humanité un salut autre que celui qui passe par la croix et la résurrection du Christ. Ces phénomènes, qui se sont répandus sur la terre à la suite de la prédication chrétienne, sont tous destructeurs.
Il était tentant de vouloir prendre la place du Christ non pas sur la croix bien sûr (la croix sera discrètement évacuée au second plan), mais en tant que sauveur, donc aussi de Maître et de Roi universel. Ceux se veulent être les maîtres du monde ou simplement des gourous travaillent pour leur propre compte, sans plus aucun sens moral ou humain : ils se voient au dessus. Les projets fous des anti-christianismes [5] n’existeraient pas s’il n’y avait pas eu d’abord le christianisme – dans ses formes (occidentales ou orientales). En effet, la prédication chrétienne a marqué un tournant dans l’histoire : désormais celle-ci ne fonctionne plus simplement selon des raisons « naturelles » – c’est-à-dire en fonction de la seule nature humaine, quelle que soit la définition qui en soit donnée, en incluant ou non la propension au mal ; Jésus y a introduit les ressorts de la Révélation. Et ces ressorts sont utilisés par les contrefaçons de la Révélation, afin de mieux manipuler et asservir les gens.
Les souffrances humaines qui en résultent sont inouïes au sens fort : elles ne s’étaient jamais vues (ou entendues) à un tel point dans l’histoire de l’humanité. Les choses ont un sens, et la charité chrétienne première consiste à le clamer au milieu de personnes désorientées et en souffrance. Un grand combat est à l’œuvre aujourd’hui, et s’il a un sens, c’est que l’espérance chrétienne est juste et fondée. Et dans ce cadre que la figure de saint Joseph prend toute sa signification et sa force pour l’homme d’aujourd’hui.
Père Edouard-Marie Gallez
[1] Selon Claude Bartolone, président de l’assemblée nationale en 2015, ou précédemment selon Vincent Peillon, ministre de l’Education Nationale Nous n’abordons pas ici la question de savoir en quoi la religion islamique, de son côté, procure une identité faussée d’appartenance à un groupe cultuel – le culte et une sens de la vie humaine étant en principe, au regard de l’anthropologie, les caractéristiques d’une « religion ».
[2] Paul Evdokimov, La femme et le salut du monde, Paris, DDB, 1991 (préface de Olivier Clément).
[3] On relèvera cet aveu significatif : www.egaliteetreconciliation.fr/Je-suis-venu-pour-endoctriner-vos-enfants-dans-mon-agenda-LGBTQ-31830.html.
[4] La « messe » se dit Qourbana en araméen, c’est-à-dire le fait « d’aller jusqu’à toucher » Dieu, ou inversement le fait que Dieu vienne nous « toucher ». C’est un mot bouleversant de simplicité.
[5] Voir http://eecho.fr/vatican-ii-et-les-religions-le-point ou encore http://eecho.fr/le-christianisme-et-les-religions