Article rédigé par Bruno de Seguins Pazzis, le 23 mai 2018
New York, 1943. Arturo, Sicilien émigré en Amérique, maladroit et sans le sou, aime d'un amour partagé Flora, la nièce du propriétaire du restaurant où il travaille comme garçon, maladroit et sans le sou. Mais elle a déjà été promise par son oncle à Carmelo, fils du bras droit de Lucky Luciano. Flora suggère à Arthur d’aller directement demander la main à son père à Crisafullo en Sicile ! Elle pense ainsi naïvement surmonter la volonté et les engagements de son oncle auprès de la mafia. Arturo accepte immédiatement, mais Flora lui signale que son père est en Sicile, et devant l'étonnement d'Arturo, lui demande s'il y a un problème. Arturo lui répond que le seul problème est qu'il y a la Deuxième guerre mondiale : de fait, l'armée américaine se prépare au débarquement en Sicile. Avant de partir, il se prend en photo avec Flora pour disposer d'une preuve de leur amour. Avec : Pierfrancesco Diliberto (Arturo Giammarresi), Andrea Di Stefano (Philip Catelli) Aurora Quatrocci (Annina), David Mitchum Brown (Franklin Delano Roosevelt), Lorenzo Patané (Carmelo), Mario Pupella (Don Tano), Maurizio Marchetti (Don Calo), Mriam Leone (Flora), Orazio Stracuzzi (Oncle Alfredo), Stella Egitto (Teresa), Vincent Riotta (Commandant James Maone) , Sergio Vespertino (Saro), Maurizio Bologna (Mimmo), Antonello Puglisi (Agostino), Samuele Segreto (Sebastiano), Lorenzo Patané (Carmelo), Forest Baker (général Patton), Rosario Minardi (Lucky Luciano), Salvatore Ragusa (Tommaso Lo Presti), Domenico Centamore (Tonino). Scénario : Marco Martani, Michele Astori, Pierfrancesco Diliberto. Musique : Santi Pulvirenti.
Entre rires et larmes !...Totalement inconnu du public de ce côté des Alpes, Pierfrancesco Diliberto, surnommé Pif en Italie, est un réalisateur, scénariste, acteur et écrivain dont la renommée monte rapidement dans son pays. Après avoir été assistant réalisateur de Franco Zeffirelli puis de Marco Tullio Giordana, il signe en 2013 son premier long métrage, La Mafia tue seulement en été (La mafia uccide solo d'estate). Récompensée par onze prix, cette comédie dramatique raconte la vie d’Arturo, un sicilien qui croise depuis ses plus jeunes années la route de la Mafia qui connait à Palerme dans les années 1980 et jusqu’au début des années 1990 une période sanglante de son histoire. Pour son deuxième long métrage, In guerra per amore, traduit par le distributeur français, Saje distribution, par Bienvenue en Sicile, le cinéaste confirme son gout pour le mode tragicomique (le film est très justement dédié à Ettore Scola) et place de nouveau la mafia en toile de fonds de son récit. Né à Palerme en 1972, Pierfrancesco Diliberto, dans son enfance et sa jeunesse, a pu observer de près les méthodes mafieuses. Aussi, dispose-t-il d’une vraie légitimité pour en parler, d’autant qu’il s’appuie sur une documentation sérieuse.
La petite histoire à la merci de la Grande Histoire…
Cette fois, le décor passe des années 1970 à celui des années 1940 et l’histoire se déroule pendant une période de l’histoire de la Sicile qui courre des préparatifs du débarquement américain (opération Husky) jusqu’à la fin de la guerre. Dire le décor est insuffisant, tant les personnages de cette tragicomédie font partie même des bouleversements historiques majeurs qui sont décrits. Ainsi, le spectateur peut voir à l’écran le patron de la mafia, Lucky Luciano, en prison à Sing Sing, le général Patton ou encore Franklin Delano Roosevelt, 32ème président des Etats-Unis ! Excusez du peu ! Car il s’agit ni plus ni moins, de montrer comment les évènements conduits par les grands décideurs de ce monde peuvent peser, parfois heureusement mais le plus souvent dramatiquement, sur le destin des gens ordinaires, le commun des mortels. Occasion pour le cinéaste de passer avec aisance de la comédie au drame et à la dénonciation, ou du moins à la mise en évidence, de la manière dont les Américains ont débarqué en Sicile avec l’aide de la mafia, ayant passé un pacte avec Lucky Luciano qui croupissait en prison et qui leur a procuré les contacts nécessaires pour leur donner toutes les chances de réussir. Le cinéaste va plus loin dans la critique en mettant en évidence comment ceci a permis à la mafia de retrouver toute sa puissance à la fin et au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. « (…) La conduite des Alliés avant et après l'occupation a été un facteur de première importance pour le rétablissement sur l'île de l'activité mafieuse. L'action des Alliés a servi au moins en partie à restaurer la force de la mafia, de la réimplanter, avec une nouvelle énergie (…). » Ainsi s’exprimait en 1976, le sénateur Luigi Carraro, membre de la Commission anti-mafia de la sixième législature dans son rapport final. C’était sans doute la première fois qu'a été évoqué et écrit noir sur blanc, que la mafia en Sicile s’était épanoui à partir d'une date précise, celle du 10 juillet 1943, lorsque plus de 160 000 hommes des forces alliées entamèrent l'opération Husky, le début de la campagne d'Italie. Le cinéaste lève ici le voile pudique déposé sur ce fait strictement historique.
Un mode résolument paradoxal…
Le ton du film passe en permanence de celui de la comédie, parfois burlesque, à celui de la comédie sentimentale, ou à celui du drame quand ce n’est pas à certain moment une touche de romantisme qui vient adoucir un mode qui est pratiquement en permanence ironique et paradoxal. C’est bien ce mode à la fois ironique et paradoxal qui serait la caractéristique la plus forte du film et qui en fait tout l’intérêt. Pour la comédie et le burlesque on appréciera la séquence au cours de laquelle Arturo Giammarresi, assisté du duo de mendiants, l’aveugle Saro et son compère Mimmo, demande la main de Flora à son père alité et sur le point de mourir, mais aussi toutes les scènes avec Saro et Mimmo, son guide et faire-valoir, personnages tout droit sortis de la tradition comique italienne et plus loin de la commedia del arte, ou encore celle au cours de laquelle Arturo s’évertue à essayer de prononcer correctement le mot « water ». Et puis, il faut bien l’admettre, il n’y a qu’un cinéaste italien qui peut faire voler un âne et faire pendre une statue de Mussolini par les pieds à une corde à linge ! Pour le drame, tout se concentre sur le personnage du lieutenant Philip Catelli, officier de l’OSS (Bureau des services stratégiques) d’origine italienne et qui s’est porté volontaire en raison de la dette qu’il considère avoir envers sa patrie adoptive, les Etats-Unis. Sa découverte et sa compréhension des dessous de la stratégie employée par le commandement américain dans cette phase de la guerre lui enlèvent toutes ses illusions et son destin dramatique est responsable du dénouement de cette belle histoire. L’une des plus belles fulgurances du film réside précisément dans le destin heureux d’Arturo qui se croise avec celui, tragique, du lieutenant Philip Catelli. Enfin pour la dénonciation, souvent acerbe et désenchantée, des méthodes utilisées par ceux qui font la Grande Histoire, c’est le mafieux don Calo, personnage d’une ambiguïté inquiétante, qui en est le véhicule essentiel et qui la fait culminer dans un discours final sur la démocratie, discours, brillantissime et terriblement glaçant.
Une mise en scène exempte de maniérisme mais soignée…
La mise en scène est très soignée, avec un grand soin apporté aux lumières, à la photographie mais aussi à la reconstitution des décors de grande qualité dans les très beaux décors naturels d’Erice et de Realmonte, aux costumes et aux effets spéciaux, le tout, magnifié par une très belle bande originale qui épouse les changements de tonalités du récit. Le cinéaste est attentif à créer de belles liaisons visuelles dans les changements de séquences. Pierfrancesco Diliberto (Pif) est remarquable dans le rôle d’Arturo, tour à tour désopilant et émouvant. Le choix d’Andrea Di Stefano (Le Prince de Hombourg de Marco Bellochio en 1993, L’Odyssée de Pi de Ang Lee en 2012 entre autres, et comme réalisateur, Escobar : Paradise Lost en 2014, Three Seconds en 2018), comédien parfaitement bilingue (italien et anglais) est excellent et il révèle parfait dans le rôle moins démonstratif et plus nuancé du lieutenant Philip Catelli. Mais les rôles plus secondaires sont également très bien servis avec principalement l’acteur de théâtre Sergio Vespertino et Maurizio Bologna respectivement dans les rôles bouffons de Saro et Mimmo et bien entendu, Maurizio Marchetti (Il premio d’Ermanno Olmi en 2009, La mafia uccede solo d’estate de Pierfrancesco Diliberto en 2013) dans celui de don Calo. Il faut également signaler dans le rôle de Flora, la charmante Miriam Leone (Fais de beaux rêves de Marco Bellochio en 2016) qui après avoir débuté comme présentatrice à la télévision semble amorcer une belle carrière d’actrice. Dans le rôle plus secondaire de Teresa, Stella Egite (Monica Vitale dans la série télévisée italienne Romanzo Siciliano) fait très bonne impression. L’imagination fantaisiste de Pierfrancesco Diliberto et celle de ses coscénaristes, sa mise en scène alternant des séquences tout simplement hilarantes avec d'autres recelant une réelle force dramatique et émotionnelle, le tout sans perdre de vue un propos historique et social, caractérisent le style faussement léger de ce cinéaste qui prouve une fois de plus, ce que d’autres de ses compatriotes ont déjà brillamment démontré, que la légèreté et la poésie sont un moyen efficace de faire passer des concepts et des messages plus complexes. Avec son propre style original, Pierfrancesco Diliberto s’inscrit dans la grande tradition du cinéma italien et on peut espérer de futures grandes surprises de ce cinéaste et comédien talentueux. Un propos grave et émouvant livré avec une brillante désinvolture.