Article rédigé par Bruno de Seguins Pazzis, le 27 février 2018
Jacques Mayano est grand reporter au quotidien Ouest-France. De retour de Syrie où il vient de perdre son ami journaliste au cours d’un reportage, il est contacté par le Vatican qui lui demande de faire partie d’un comité chargé de mener une enquête canonique sur plusieurs apparitions de la Vierge Marie aperçue par une jeune fille Anna dans une petite ville du sud-est de la France. Alors que des milliers de pèlerins viennent se recueillir sur le lieu des apparitions présumées, Jacques rencontre la sensible et dévote Anna, partagée entre sa foi et les nombreuses sollicitations qu'elle reçoit, mais il découvre également les motivations cachées et les pressions à l’œuvre. Il se trouve en même temps confronté aux opinions opposées des membres du clergé et des sceptiques du comité d'enquête. Avec : Vincent Lindon (Jacques), Galatéa Bellugi (Anna), Patrick d'Assumçao (Père Borrodine), Anatole Taubman (Anton Mayer), Elina Löwensohn (Docteur de Villeneuve), Claude Lévèque (Père Gallois), Gérard Dessalles (Stéphane Mornay), Bruno Georis (Père Ezéradot), Alicia Hava (Mériem), Candice Bouchet (Valérie). Scénario : Jacques Fieschi, Xavier Giannoli et Marcia Romano. Directeur de la photographie : Éric Gautier. Musique : Arvo Pârt.
L’apparition de la Sainte Vierge à la jeune novice Anna est-elle une imposture ?
Telle est la situation autour de laquelle Xavier Giannoli va faire évoluer ses personnages, mais essentiellement son personnage central, Jacques, grand reporter agnostique dont la pratique religieuse s’est arrêtée quelques temps après la première communion. Cela commence plutôt bien, lorsque celui-ci quitte Rome où il a pris ses instructions et arrive dans le sud-est de la France sur les lieux de l’apparition supposée, le propos apparaît cadré : Jacques, personnage qui doute se trouve confronter à l’épreuve qui consiste à essayer de discerner le vrai du faux. Mais dès que la première réunion du comité chargé de faire l’enquête canonique avec la jeune voyante a eu lieu, le film va s’égarer et se disperser. L’imposture était déjà au centre de son film A l’origine (2009). Ici l’imposture éventuelle, et sur laquelle la vérité ne sera jamais faite, est placée dans le contexte mystérieux que génère le phénomène des apparitions supposées. Le cinéaste touche donc au religieux mais traite-t-il du religieux ? Il faut admettre qu’il est bien difficile de s’y retrouver dans les arcanes d’un scénario qui se complet dans une certaine complexité.
De quoi est-il vraiment question ?
Cette complexité ne serait pas si gênante si l’ensemble n’était pas si confus et si le récit ne partait pas dans toutes les directions. De quoi est-il vraiment question ? du doute et du mensonge simplement ? ou de mystification ? ou de foi ? De foi certainement pas. Si le cinéaste s’appuie sur un travail de documentation sérieux qui lui permet de décrire de façon réaliste et équilibrée ce qui peut entourer des phénomènes de ce genre (bigoterie, escroquerie, commerce de bondieuseries, personnages plus ou moins troubles), il n’aborde jamais vraiment la question de la foi, restant en surface de son sujet et son enquête canonique devient une sorte d’enquête journalistique et quasi policière qui cherche à ménager un suspens tout en essayant de flirter avec le mysticisme. Car de mystique il n’en est également jamais question. L’Anna de Xavier Giannoli, retrouvée à demie consciente au petit matin couchée dans l’herbe au pied du lieu des apparitions supposées, n’a rien à voir avec la Mouchette (1967) de Robert Bresson qui roule dans une pente herbeuse pour disparaître de désespoir dans l’eau d’un étang. Beaucoup plus près de nous, son approche du monde religieux n’a pas de comparaison possible avec celle d’un autre agnostique, Xavier Beauvois, dans Des hommes et des dieux (2010). Xavier Giannoli peine à approcher de l’indicible et reste au niveau du fantastique, de l’inexpliqué et des interrogations que suscitent les phénomènes de guérisons subites ou d’apparitions. Passant, sans vrai fil conducteur, de son personnage principal à ceux qui l’entourent, la voyante au présent, la voyante au passé, le prêtre qui la protège, un autre qui tente de tirer profit de ces phénomènes, l’amie d’enfance d’Anna…, introduisant plusieurs sujets sans en traiter un seul vraiment, hésitant longuement, refusant de faire un choix puisqu’aucune conclusion positive ou négative ne sera apportée à l’enquête, le cinéaste, après avoir tenté de donner une colonne vertébrale à son récit en le divisant en 5 chapitres ( « Rome », « Le messager », « Anna », « L’icône de Kazan », « La révélation », « Meriem ») et devant cependant apporter une fin à cet exercice, se lance dans un épilogue (« Meriem ») totalement surfait et artificiel, qui ramène le grand reporter en Syrie d’où il revenait au début du film. Un épilogue exagérément surligné par une partition très mélodramatique du compositeur d’origine estonienne Arvo Pârt et qui fait venir à l’esprit cette réplique de Sganarelle à Géronte dans « Le médecin malgré lui » au sujet de sa fille Lucinde après qu’il ait donné des explications plutôt alambiquées et incompréhensibles : « Voilà pourquoi votre fille est muette »…
Des points positifs
Après avoir indiqué que dans le rôle du grand reporter, la prestation de Vincent Lindon, très monolithique, est particulièrement peu convaincante, il faut dire tout le bien qu’il convient de celle de la jeune actrice Galatea Bellugi (tout juste 20 ans et déjà sept rôles au cinéma à son actif) qui traverse le film comme un astre solaire, la révélation de L’apparition… Pour être juste, il faut également dire que le personnage d’Anna donne l’occasion au cinéaste du point le plus réussi de son film qui est la description de la grande solitude que peut éprouver une jeune personne voyante ou supposée voyante, prisonnière entre ce qu’elle a vu et qui est indicible, et les contingences des hommes avec leurs besoins de preuves, d’explications, de rationalité… Enfin, rien de désobligeant envers l’Eglise et la religion dans cette enquête. Mais tout ceci reste insuffisant pour compenser le vagabondage d’une fiction qui elle, loin d’être une imposture et adroitement mise en image, donne cependant l’impression de rester au niveau d’une simple posture et devient presque aussi impénétrable que les Voies du Seigneur. Plus de pesanteur que de Grâce.