Article rédigé par Pierre Selas, le 19 janvier 2017
[Source : Info Catho]
Alors qu’Amoris laetitia pourrait laisser croire à l’ouverture progressive d’un « divorce catholique », le cardinal Müller est intervenu pour rappeler qu’il n’en était rien.
Dans le même temps, la cour européenne des droits de l’Homme précise qu’il n’y a pas de droit au divorce.
Communiqué de l’ECLJ
Le 10 janvier 2017, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé, par une décision BABIARZ c. Pologne (n°1955/10), que la Convention européenne des droits de l’homme n’impose pas la légalisation du divorce ni ne contient de droit individuel au divorce. Le 22 novembre 2016, la Cour avait également conclu en ce sens dans l’affaire Andrzej PIOTROWSKI c. Pologne (n° 8923/12).
L’ECLJ avait été autorisé par la Cour européenne à intervenir dans ces affaires et à soumettre des observations écrites.
Les deux affaires mettent en cause le refus des juridictions polonaises d’accorder le divorce à des époux infidèles eu égard au refus de leur épouse légitime.
Dans l’affaire Babiarz contre Pologne, le requérant, marié en 1997 quitte son épouse infertile en 2005 pour vivre avec une autre femme avec laquelle il a un enfant. En 2006, il demande le divorce, mais les juges refusent de l’accorder, estimant M. Babiarz seul responsable de la détérioration du mariage et que son épouse a des motifs légitimes de s’opposer au divorce. En Pologne, un divorce demandé par le conjoint fautif ne peut être accordé qu’avec le consentement du conjoint délaissé, sauf à prouver que le refus de ce dernier est abusif.
M. Babiarz saisit alors la Cour européenne des droits de l’homme pour se plaindre d’une violation du droit au respect de sa vie privée et familiale et de son droit de se marier et de fonder une famille, droits garantis aux articles 8 et 12 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il estime en effet avoir « le droit » d’épouser sa compagne actuelle et qu’il en est empêché par le refus du juge de prononcer le divorce.
Dans une décision rendue le 10 janvier 2017, la quatrième section de la Cour européenne a conclu, par cinq voix contre deux, à la non-violation de la Convention. L’ECLJ se réjouit de cette décision.
Rappelant ses décisions antérieures (F. c. Suisse, n° 11329/85, Johnston et autres c. Irlande, n° 9697/82), la Cour a confirmé que la Convention ne requiert pas la légalisation du divorce et que, en outre, les articles 8 et 12 de la Convention ne peuvent pas être interprétés comme conférant aux individus un droit au divorce :
“The Court has already held that neither Article 12 nor 8 of the Convention can be interpreted as conferring on individuals a right to divorce. (…) It has also held that, if national legislation allows divorce, which is not a requirement of the Convention, (…)” (§ 49).
Tout en notant que la Convention européenne est certes « un instrument vivant devant être interprété à la lumière des conditions de vie actuelles », la Cour a rappelé à l’appui de ses conclusions qu’il était dans l’intention des rédacteurs de la Convention d’exclure explicitement un droit au divorce.
Dans ses observations, l’ECLJ avait aussi souligné que l’objet premier du droit « de se marier et de fonder une famille » est de conférer un cadre social stable à la fondation d’une famille. En conséquence, ce droit ne peut contenir un droit opposé à se « démarier », tout comme le droit à la vie ne peut être interprété comme contenant un droit à la mort (Pretty c. RU).
La Cour a noté que la présente affaire se distingue d’autres affaires où étaient en cause d’une part la durée excessive de la procédure de divorce faisant obstacle à un remariage (Aresti Charalambous v. Cyprus, n° 43151/04, 19 juillet 2007), et d’autre part le droit « de véto » conféré au conjoint innocent par la législation nationale lorsque le divorce est demandé par le conjoint fautif (Ivanov and Petrova v. Bulgaria, n° 15001/04). En l’espèce, l’épouse du requérant ne dispose pas d’un tel droit de véto, car le juge peut prononcer le divorce lorsqu’il estime le refus abusif.
Après avoir rappelé l’examen minutieux dont l’affaire a fait l’objet par les juridictions polonaises, les juges ont jugé ne pas pouvoir conclure à la violation de la Convention alors même qu’un enfant est né de la nouvelle relation, que celle-ci semble stable, et que le lien du mariage semble être définitivement altéré. Juger autrement, explique la Cour, signifierait que le divorce devrait être accordé à toute personne qui déciderait de quitter son époux et d’avoir un enfant avec un autre partenaire, sans considération pour le droit national en la matière. Cela confèrerait un droit au divorce s’imposant au préjudice du conjoint victime.
Concernant la protection de la vie familiale menée par le requérant avec sa nouvelle compagne, les juges notent que la protection accordée par la Convention (art. 8) aux familles et aux relations de facto (non mariées) ne contient pas un droit à une reconnaissance légale particulière de cette relation. (§ 54)
Deux juges dissidents, le président de la Section Andras Sajó, et le juge portugais Pinto de Albuquerque, ont estimé à l’inverse des cinq autres que les droits de requérants ont été violés en l’espèce.
Le juge Sajó estime, en substance, que la Convention garantit un droit à ne pas être forcé de rester marier, et que ce droit prévaut sur celui de l’autre conjoint de rester marier. Il estime également qu’une personne déjà mariée continue de jouir du droit de se marier, c’est-à-dire de se remarier, ce qui implique la faculté de divorcer.
Quant au juge Pinto de Albuquerque, il estime que la Cour n’a pas tenu suffisamment compte de la nouvelle famille de facto dont les intérêts et droits prévaudraient sur le mariage qui ne serait plus qu’une « fiction juridique ». Plus fondamentalement, le juge portugais reproche au droit polonais d’être trop lié à la morale et la religion. Il estime que « la croyance en la sainteté et l’indissolubilité du mariage, partagée par des millions de polonais et d’européens, ne devrait pas être imposée par l’Etat, c’est-à-dire par les politiques législatives et judiciaires. Il ne devrait pas en être autrement dans les sociétés démocratiques contemporaines construites sur les piliers de la neutralité de l’Etat et du pluralisme religieux et moral ». En d’autres termes, pour le juge Pinto, c’est par respect pour la laïcité que la Pologne devrait faciliter le divorce, ce qui ne l’empêcherait pas de condamner financièrement le conjoint fautif.
L’opinion de M. Pinto de Albuquerque est révélatrice qu’à travers la question du divorce sont confrontées deux compréhensions de la liberté : une conception individualiste qui conçoit la liberté comme une indépendance, et une conception responsable qui estime que la liberté s’exerce dans l’accomplissement de ses engagements.
Dans l’affaire Andrzej PIOTROWSKI c. Pologne, les faits étaient similaires, à la différence qu’aucun enfant n’était pas (encore ?) né de la nouvelle relation de l’époux infidèle. Rendues publiques à quelques semaines d’intervalle, les décisions Babiarz et Piotrowski sont presque identiques et énoncent le même principe de l’absence de droit au divorce, et de la conformité à la Convention de la faculté pour le conjoint délaissé de s’opposer au divorce, dès lors que cette faculté s’exerce sous le contrôle du juge.
Etonnamment, dans la décision Piotrowski, les juges Sajó et Pinto de Albuquerque ont souscrit à ces mêmes principes qu’ils ont contestés dans l’affaire Babiarz, sans que la considération de l’existence d’un enfant paraisse avoir déterminé fondamentalement leur position dans cette dernière affaire. Il est aussi assez étonnant que ces deux affaires n’aient pas été jointes par la Cour. Peut-être peut-on y voir un motif d’opportunité en vue d’un éventuel renvoi en Grande Chambre de l’affaire Babiarz, comme le suggère le juge portugais, considérant que les faits de l’espèce seraient plus propices à un éventuel renversement de jurisprudence.